L'idéologie entre les cornes

Publié le 28 juillet 2010 par Jlhuss

Il faut s’y faire, la politique en tant que telle, annoncée, proclamée, revendiquée, ne fait plus recette. Je veux dire la politique traitant des grandes questions : la répartition des richesses, l’organisation des échanges, la manière d’assumer ou non les solidarités et lesquelles, la régulation nécessaire des excès en tout genre, la recherche permanente des processus de paix etc. Circulez, il n’y a plus grand-chose à dire, sinon à voir, depuis que la « mondialisation » impose des Lois en apparence implacables et considérées comme “incontournables”. Pourquoi débattre quand on connaît ou croit connaître d’avance le résultat des courses ?
Alors les luttes politiques se faufilent empruntant le “masque” des débats annexes, sociétaux, régionaux, linguistiques, culturels. Il ne s’agit pas d’en nier les intérêts mais de regretter qu’ils servent souvent à éluder des questions plus importantes et surtout à entretenir l’hypocrisie. C’est la politique sous niqab.

Une actualité espagnole, ou plutôt catalane (attention!), nous éclaire sur cette pratique des débats substitutifs.

Les députés catalans s’apprêtent à se prononcer sur l’interdiction de la corrida. Les abolitionnistes, la main sur le cœur, assurent qu’il ne s’agit que de défendre les intérêts du taureau, de la condition animalière, rien d’autre. C’est-ce que déclarait hier soir au 20h une députée s’apprêtant à voter cette interdiction de la féria si bien décrite par Hemingway. « Il n’y a aucune revendication régionaliste » ajoutait-elle avec l’assurance très vive de ceux qui mentent.

Certes le taureau catalan va mourir au milieu des cris et dans la lumière d’un «soleil » qui va se coucher pour lui, mais quelle différence fondamentale avec le taureau Bourguignon, chahuté dans un camion avant de connaître la fin de son soleil au bout du couloir aseptisé de l’abattoir. Il pissera la peur et l’angoisse le gros blanc alors que son frère noir aura utilisé son adrénaline pour foncer dans la muleta.
La réalité est donc toute autre que ce faux débat pour défendre l’animal, c’est un débat identitaire, une revendication d’autonomie, qui n’ose pas s’avouer comme tel … Mais pourquoi ? Serait-il honteux ?
La corrida renvoie, pour certains, à une image trop « espagnole », ou le taureau est emblématique. La Catalogne elle, a choisi l’âne ! La féria renvoie à Franco qui l’avait en son temps déclarée « bien national »

Écologistes et indépendantistes sont pour l’interdiction, le parti populaire est contre alors que les socialistes et les nationalistes catalans conservent une liberté de vote dont-ils sont d’ailleurs bien embarrassés.
Dans le reste du pays, il semble que les espagnols aient bien compris qu’il s’agissait en fait d’un vote politique sur des sujets politiques plus ou moins masqués.
Les derniers pointages semblaient indiquer qu’une majorité des 135 parlementaires catalans penchaient pour la prohibition des corridas en Catalogne. Les journaux conservateurs, voient dans cette possible prohibition une volonté de revanche des politiques catalans, après un récent arrêt du tribunal constitutionnel rognant certains aspects du statut d’autonomie de la région. Ainsi le taureau n’est en fait qu’un bouc … “émissaire”
En France, on suit aussi le débat depuis des mois, en appréhendant ou anticipant avec joie, selon les convictions, l’impact que cette abolition pourrait avoir sur les arènes hexagonales.  Des élus français ont adressé une lettre aux parlementaires catalans avant le vote où ils leur demandaient de préserver : « Les valeurs de liberté individuelle, de contraste d’opinions et de respect pour les goûts, passions et traditions culturelles de chacun. » La centaine de signataires étant surtout des élus du Sud de la France, où la tradition taurine existe aussi.

Mais comment se fait-il que des débats “idéologiques” soient obligés de se cacher entre des cornes de taureaux ? Pauvre bête …

[cpr Rue89]