I dreamed a dream : Inception

Publié le 27 juillet 2010 par Darksroker

Le rêve. Cet artifice apparemment inutile de l’esprit, cette étincelle de vie au cœur des abysses  du sommeil. Ce foutu hippocampe, cette boîte noire, cette nausée sartrienne qui trouve le moyen de nous poursuivre jusque dans l’oblivion délicieux de la ronflette afin de nous tirer du néant auquel nous aspirons. Cette obsession de l’existence au prix de la réalité. Il faut qu’il y ait quelque chose, il faut qu’il se passe quelque chose. Le rêve est la fonction la plus constante de notre métabolisme. Sain, malade, heureux, malheureux, anesthésié, évanoui, comateux, il ne nous quitte jamais vraiment, malgré sa tendance à s’évaporer dès le fatal réveil. Nos neurones raclent les fonds de tiroirs, y délogeant les plus sombres angoisses, les pires abominations lovecraftiennes, ou, à défaut, les malaises du quotidien pour les projeter sur grand écran. D’après le « Grand Miam » Wikipédia, trois quarts des émotions engendrées par les rêves sont négatives. Et pourtant, qu’est-ce qu’on aime en parler. Bien au-delà de la météo, de l’amour, de la politique ou même de la mort, le rêve semble être l’aspirateur de conversation numéro un : les délires de maniaque que nous vivons chaque nuit génèrent une fascination sans bornes, bien souvent narcissique, il faut l’admettre. Samedi soir : vous voilà entre amis, autour d’un verre, à trois heures du matin. Un triste individu a le malheur d’évoquer le thème du rêve et vous voilà fichus : vous ne pourrez vous empêcher de raconter les divagations les plus absurdes de vos subconscients respectifs, saupoudrées de moult rires nerveux et de regards dans le vide. Il y a fort à parier que la conversation s’achèvera sur l’épuisement physique et mental des protagonistes. La copine capricieuse va avoir envie de dormir. Les fêtards resteront éveillés quelques instants de plus avant de céder à leur tour à l’appel de la couette, pour –ô comique de répétition- retrouver le cinéma-concept de Morphée, fidèle au poste, comme depuis toutes les nuits, depuis leur naissance… Ah, non, attendez. On rêve aussi avant notre propre naissance, pendant le stade fœtal. Saloperie. Ironique n’est pas l’anagramme d’onirique pour rien.

CE QUI NOUS AMENE A NOTRE CRITIQUE DU DERNIER CHRISTOPHER NOLAN ! INCEPTION ! ET C’EST SUR LES RÊVES ! HO-HOOOO ! « Avec Di Caprio, Marion Cotillard, Ellen Page ! » « Des rêves ! » « Oh regardez, Paris s’enroule sur elle-même comme une fajita de troisième choix ! » « Ca pète de partout ! » « Roll up, roll up for the Magical Mystery Tour ! » « Les mecs, j’espère qu’on va voir les trips psychédéliques les plus arrache-gueule de l’histoire du cinéma ! » « Moi je veux que Di Caprio vole ! Qu’il veu-hole ! ». J’exagère à peine le comportement et les attentes pré-visionnage d’un certain nombre de spectateurs d’Inception, qui s’attendaient fébrilement à voir une projection de leurs propres rêves dans les salles obscures.

Aujourd’hui, nous retrouvons les mêmes individus massés sur les sites Allociné et Première, descendant l’œuvre de Nolan en flammes pour son austérité et son absence de folie. Et pourtant, ils semblaient bien avoir pris en compte les multiples avertissements du papa du Dark Knight, qui a conçu très tôt Inception comme un thriller d’un réalisme dérangeant, malgré les multiples licences poétiques qui rendent le scénario viable. L’argument, vous le connaissez certainement déjà : nous avons d’une part Cobb, un malandrin vaguement scientifique incarné par Di Caprio, passé maître dans l’art de dérober les idées des puissants en entrant par la porte de derrière de leur subconscient. Une piquouze sauvage, une mallette bourrée de sédatifs, et la partie peut commencer : Cobb et son équipe s’infiltrent dans les rêves de la cible pour mettre la main sur tel secret convoité. L’intrigue commence alors que Cobb est appelé à travailler pour un industriel japonais, qui lui demande d’effectuer le processus inverse : implanter une idée dans la tête de Fischer (Cillian Murphy), le fils de son concurrent à l’article de la mort. Et pas n’importe laquelle : abandonner purement et simplement l’héritage familial. Cobb et ses comparses rétorquent que l’inception (le nom dudit processus) n’a jamais réussi une seule fois dans l’histoire du piratage de rêve. Mais, bien évidemment, vous pouvez vous douter que notre ami Cobb a plus ou moins les gonades prises dans un étau, ayant l’opportunité d’être lavé des charges qui pèsent contre lui. Awesomeness ensues.

Loin de moi l’idée de nier en bloc les critiques parfois constructives des détracteurs du film. Inception ne remplit effectivement pas une partie de son contrat. A charge, une bande-annonce tape-à-l’œil qui présente les effets spéciaux les plus éblouissants des deux heures et demie du produit final, avec –vous l’avez sûrement déjà vu aussi- notre gargantuesque taco citadin à la parisienne. L’idée de la recréation perpétuelle du monde, du rêve lucide omnipotent, de cette mécanique quantique du fantasme, Inception la développe de manière prometteuse pendant les premières vingt minutes, lorsque Cobb se voit forcé de faire appel à une apprentie « architecte de rêves » (Ellen Page, dont nous étions tous tombés amoureux depuis Juno), formée aux Escaliers de Penrose et autres rubans de Moebius, pour construire le décor du rêve king size destiné au fils à papa milliardaire. Lors de cette séquence, Paris en prend plein la tronche, mais c’est pour de faux bien sûr. Mais on assiste véritablement à une volée de claques esthético-techniques qui laissent déjà pantois, la bouche entr’ouverte et un sourire niais aux lèvres. C’est au-delà du cosmétique, une réelle puissance se dégage de ces explosions et de ces gerbes de couleurs qui jaillissent dans tous les sens. On s’attend à une révolution en termes de réalisation, peut-être même à une nouvelle ère de l’image. Mais Inception, à l’image d’une console de jeu dernier cri, délaisse rapidement l’impressionnant mode « démo » pour proposer un fond plus étoffé, parfois au prix de la forme. Le point de tension, le diviseur de fanbase, c’est justement ce principe entièrement défendable qu’un rêve doit être crédible pour être cru. Concrètement, ce parti pris implique des « troupes de défense du subconscient » qui se ramènent pour vous faire la peau si vous commencez à vous prendre pour Dieu. Le risque : faire capoter la fameuse inception. Par le fait d’une consigne scénaristique stricte, le petit grain de folie semé au début du film ne pourra jamais germer. Exit l’univers en chewing-gum. Infiltrer une base secrète en rêve est peu ou prou la même chose que dans la vraie vie (ou que dans James Bond), et les sbires du subconscient sont aussi interchangeables que dans un banal film d’action. Rédhibitoire pour les uns, secondaire pour les autres.

Oh, ben. Les uns passent simplement à côté de l’essentiel du film. Sur le plan du mélo et des sentiments, il y a ce savoureux personnage de Cobb, au passé d’un sombre bien plus poisseux et retors que ce que le cliché de la formule peut laisser entendre. Un type déjà presque mort dans sa tête, épuisé par des années d’allers-retours oniriques et de casse-tête existentiels. Harcelé par les projections impromptues de Mall, son épouse française disparue (interprétée sobrement par Marion Cotillard, qui rappelle qu’elle sait aussi jouer, entre deux pubs désolantes où elle se colle des seins en plastique sur le front), Cobb ne désire qu’une seule chose : revoir ses deux enfants, qui sont tout ce qui lui reste. Ce n’est pas un scoop, Di Caprio a réussi il y a de cela quelques années à s’extirper de la machine hollywoodienne du bankable-express et est un acteur-référence. Dans Inception, il déroule, tout en retenue. Cobb est un personnage déchirant, qui n’arrive plus à rêver sans son soma en valisette. Les dernières onces de « mec stylé » qui lui restent le rebutent. La découverte de son passé avec Mall est l’un des principaux moteurs du film et, fait notable, réussit à accrocher le spectateur sans jamais paraître lourdingue ou redondant. Comme cette phrase, d’ailleurs. Alors qui porte le badge de l’ultimerie dans ce film ? J’irais chercher du côté de Saito, l’industriel japonais philosophe (Ken Watanabe) ou Earnes, le Solid Snake du subconscient (Tom Hardy). Ces personnages secondaires, malgré leur modeste temps d’écran, apportent un peu d’air au spectateur par quelques petits traits d’humour bien sentis, entre deux ingurgitations d’axiomes essentiels à la compréhension de l’intrigue.

Car non, Inception n’est pas du genre à prendre l’aléatoire pour de l’absurde. Le projet de Nolan a mûri pendant une petite dizaine d’années pour obtenir l’aspect carré qu’il possède maintenant. Si complexité il y a, c’est une complexité rationnelle, un jeu équitable où le spectateur dispose de toutes les informations pour suivre le raisonnement tout en savourant les appréciables scènes d’action, par ailleurs correctement tournées et échappant au syndrome insupportable du changement de plan continuel. Inception n’est pas un film alambiqué. On ne compte plus ces demi-films qui se comptent par trillions : pétards mouillés qui passent une heure à ouvrir des pistes dans tous les sens, pour se retrouver à bredouiller une fin en queue de poisson, sans jamais avoir expliqué quoi que ce soit. A ce titre, le concept du rêve est un terreau fertile pour écrire un non-scénario qui ne respecte pas les règles les plus élémentaires de la continuité, un excellent alibi pour balancer des idées en l’air, et laisser le misérable spectateur tenter de débroussailler le tout sous le prétexte fumeux de l’interactivité. Inception n’est pas de ces films. Ainsi, il gagne en clarté, en crédibilité, et finalement, il devient très attachant. Nolan avait quelque chose à raconter. Il voulait un début, un développement, une fin. L’aspect décalé du rêve est toujours là, quelque part : dans une incroyable scène de sauvetage en apesanteur, dans ce ralentissement du temps au fil de l’enfoncement dans les méandres de l’esprit, ou dans les échos glauques d’une chanson d’Edith Piaf –référence à La Môme, bien sûr- d’une importance fondamentale dans le scénario. Pas, ou si peu, d’impasses scénaristiques, pas de mots en l’air, pas de fioritures : chaque réplique soutient la structure de la narration. Vous allez boire les paroles de Mall. Vous allez paniquer à chaque nouvel imprévu dramatique. Vous aurez les yeux rivés sur l’écran jusqu’au dénouement.  Vous vous gratterez la tête jusqu’au sang en vous demandant comment nos héros vont se tirer du formidable merdier métaphysique dans lequel ils se trouvent. Vous comprendrez que piégé dans votre boîte crânienne, il existe des destins bien plus atroces que la mort. Vous allez hurler de rage, aussi. Mmmh, motus sur ce point.

A la manière d’un Minority Report en son temps, Inception ressuscite encore une fois la véritable science-fiction avec brio. Je parle de LA science-fiction, ce genre fantastique transcendé, celle qui est fascinée par la nature humaine et le comportement de Messieurs-Dames Tout Le Monde face à une technologie qui  a progressé trop vite pour eux. Celle qui évite soigneusement le bip-bip du matos ultrasophistiqué pour renvoyer le spectateur à une bonne vieille torture psychologique. Le blockbuster, il est là : c’est un délice évènementiel. Le film d’auteur, il est encore là lui aussi. Chez Nolan, il y a eu du chemin depuis le casse-tête infernal de Memento. Ceci ne l’empêche pas de faire de l’œil à ce vieux Descartes ou à y aller de sa symbolique multidegrés. Alors, à froid, on peut décomposer le bidule, chercher les ficelles (ou les tropes), constater l’application (sensée) d’une certaine recette. On peut comparer à Matrix (holala y’a une confusion entre rêve et réalité donc c’est Matrix, kikoo lol) ou à un « film de casse » (si ne faire fonctionner que votre hémisphère gauche est votre truc). Pour ma part, je suis sorti avec un goût d’Eternal Sunshine of The Spotless Mind. Mais cette relative standardisation n’est que l’honorable clé dont a usé l’auteur pour nous faire entrer dans son rêve. Et il ne me semble pas en être sorti au jour d’aujourd’hui. Peut-être bien que c’est culte, écoutez.

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