Le FRAC Languedoc Roussillon récidive sa curieuse biennale: après Marcel et Rabelais, c’est au tour de Casanova, sous prétexte de son bref passage en Languedoc au début de 1769, d’être le lien entre la trentaine de manifestations qui parsèment la région jusqu’au 24 octobre. C’est l’occasion de parcourir de fort beaux lieux, de déguster de fort bons vins et de voir beaucoup d’expositions : comme on pourrait s’y attendre, celles qui collent de trop près au personnage, trop littérales, trop convenues, ne sont pas les meilleures. Celles qui séduisent sont celles où souffle avec légèreté l’esprit, libertin, frondeur, joueur, du grand séducteur. Est-ce pour autant une révolution dans l’art de l’exposition, une hétérogénéité temporelle passant de l’herméneutique à l’allégorique ? Parlons plutôt des artistes et de leurs oeuvres ! Tentons cela, dans les jours qui viennent, du Sud au Nord.
Le château viticole de Jau abrite les travaux réalisés ici en résidence par Frédérique Loutz, mais aussi de grandes sculptures en résine de Stephen Marsden en forme de préservatifs brillants, contournés, monstrueux, fantastiques (Bird Secret, bien sûr) : immaculée contraception en hommage au séducteur qui, paraît-il, inventa le terme ‘capote anglaise’ (jusqu’au 26 septembre).
Dans la superbe forteresse de Salses, qui sait fort bien marier art contemporain et vieilles pierres, c’est l’évasion de Casanova des Plombs qui réunit ici (jusqu’au 3 octobre) de grandes toiles bleutées de Jacques Monory face au ruban desquelles on est tenu à distance comme sur la scène du crime (Meurtres), deux vidéos sur les prisons (Didier Morin filmant clandestinement la non-présence de Jean Genet à Fontrevault, et Nicolas Daubanes avec une vraie-fausse représentation de la prison pour enfants de Lavaur) et une magnifique vidéo-liberté d’Anna Malagrida (dont j’avais aimé la Dormeuse), filmée dans le désert jordanien, projetée comme une illusion au fond d’un cachot, où le velum est un obturateur, où le souffle du vent nie l’enfermement, où une femme invisible se dévoile et s’envole (Dansa de dona).
Ce voyage est aussi l’occasion de découvrir Piet Moget, peintre hollandais qui s’installa à Sigean juste après la guerre et qui y a créé le LAC. Marchand et collectionneur, il montre dans ce superbe lieu des pièces époustouflantes de Donald Judd, de Robert Morris, de Roman Opalka (bien sûr !) et bien d’autres. Mais c’est surtout le travail épuré de Piet Moget qui m’a fasciné, la peinture éternellement renouvelée de cet homme qui ‘rêvait de ne peindre qu’un seul tableau’, la mer, la jetée et le ciel de Port-la-Nouvelle (ici avec son camion-atelier sur le port), travail quotidien, inlassable et insatisfait, quête incessante de perfection méditative jusqu’à la mort (La rive d’en face). À côté, l’arche de Noé goudronnée et dégoulinante de Vincent Olinet (Après moi le déluge) tient tête, mais les peintures rococo oniriques d’Alicia Paz ne font pas le poids, toutes casanoviennes qu’elles soient (jusqu’au 3 octobre).
Le Palais des Archevêques de Narbonne abrite au milieu de ses tableaux historiques, des portraits de Natacha Lesueur : cette femme nue au bouquet et cette belle poule, aussi fascinantes soient-elles, rivalisent pour notre attention avec le Torse d’homme renversé de Jean-Germain Drouais, au fond, homme endormi, épuisé d’amour, au sexe presque visible sous l’étoffe rouge. On peut ici se raconter des histoires, de séduction, d’amour et de rupture, ou bien relire les Mémoires de Casanova en ce lieu fort propice (jusqu’au 3 octobre). Ce musée a aussi, tout au fond, deux salles orientalistes du plus beau kitsch, à ne pas manquer…
La chapelle des Pénitents Bleus, voisine, à côté d’autres photos de Natacha Lesueur, femmes au regard caché derrière un voile de cheveux, mantille de veuve ou voilette de séduction, est envahie par la sculpture proliférante, piquante, tentaculaire, cancéreuse de Laurette Atrux-Tallau. Ces modules oursins-virus assemblés à l’infini semblent s’auto-générer, ils repoussent le visiteur, le menacent, semblent glisser vers lui, la sensation de danger, d’étouffement est bien réelle (jusqu’au 3 octobre).
Toujours à Narbonne, le Musée archéologique abrite une installation de Maurin et La Spesa, Dead Man Walking, corbillard à bras avec un cercueil à deux places, le couple d’artistes restant uni jusque dans la mort et créant ici un rituel à la fois tendre et inquiétant, mais trop grandiloquent à mon goût (jusqu’au 3 octobre).
À noter l’excellent et original catalogue, alternant textes critiques et extraits des Mémoires de Casanova. Suite du voyage demain et dans les prochains jours. Ce voyage a été fait à l’invitation du FRAC Languedoc-Roussillon.
Photos courtoisie du FRAC Languedoc Roussillon, excepté Drouais, par l’auteur. Jacques Monory et Natacha Lesueur étant représentés par l’ADAGP, les photos de leurs oeuvres seront retirées du blog à la fin de l’exposition.