Ça fait près d'une quinzaine de minutes que j'attends dans le parking de ce motel décrépit. De tous les motels de bas ordre qu'on retrouve le long de la rue Saint-Jacques, c'est de loin le plus délabré. Dans les reflets d'un soleil qui descend lentement, tout semble baigner dans la pisse. Accoudé à la balustrade rouillée du deuxième, un noir portant des verres fumés et un ensemble de basketteur défraîchi m'observe en grignotant un cure-dent. Plus loin, un homme vêtu seulement d'un pantalon joue avec sa longue barbe sale en discutant avec lui-même. J'observe ensuite une femme d'une maigreur horrible sortir d'une des chambres en claquant la porte. Flottant dans ses vêtements, elle porte sur elle tous les ravages du crystal meth. Tant bien que mal, je réponds au sourire édenté qu'elle m'offre en passant à côté du taxi.
Tout est sale ici. Même l'amour propre a foutu le camp.
Ça fait quinze minutes que j'attends. Je regarde le petit sac à main que la cliente a laissé et je ne tente même pas de deviner ce qu'il contient. Je sais que je ne verrai pas la couleur des 30 dollars qui s'affichent au compteur. La jeune amérindienne attend toujours devant une porte de chambre qui ne s'ouvre pas. Dans son regard hébété, je comprends que la réalité n'a plus grand emprise sur elle. Je comprends aussi que ça ne servira à rien de m'énerver. En fait, vu la destination de la course, je m'y attendais un peu.
Quand je réalise que je n'ai qu'à moi à m'en prendre, j'appelle la cliente, lui redonne son sac et reprends la route. Depuis, je songe aux êtres qui viennent s'échouer dans ce motel. Aux êtres qui se retrouvent tout au bout de ce que la vie a à offrir.
Pour certains, c'est le dernier motel avant le grand voyage.