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Agir, ne plus s’en laisser compter, ne plus se laisser impressionner, ni influencer, ni accepter la fatalité d’un temps qui nous invite à la dépossession. Ne plus rien admettre de cet engrenage qui nous enferme, si loin de nous-mêmes, si loin de nos besoins que plus rien ne nous effleure de nos sentiments qui nous paraissent vains. Embarqués, embarqués nous sommes sur ce rafiot qui fait eau de toutes parts. Il nous invite à confondre urgence et nécessité. Il nous convie en des noces barbares, à ne plus discerner ce qui relève de nos besoins élémentaires, ni du superflu. Il nous fait passer les lanternes de la consommation absolue pour la lumière de vérités absconses. Rien ne trouve grâce aux yeux de cet académie du médiocre, et surtout, il lui faut s’acharner sur l’échine de tout ce qui bouge, de tout ce qui s’émeut, se greffe au vivant et s’y cramponne. Vivant, ultime bouée avant naufrage. Vivant, ultime respiration avant noyade. Course effrénée et absurde que des hommes imposent aux autres, sans limites, sans frontières, sans horizons autres que leur propre ligne de flottaison. Qu’importe que les esclaves, à fond des cales, se noient, enchaînés aux parois de cette coque de noix mal entretenue. Car il faut tout envisager au rabais, ne plus rien préserver si ce secours venait à diminuer les marges. Il faut du dividende, non du travail. Il faut de la pacotille, non de l’œuvre. Il faut du superficiel, non de la profondeur. Nous en sommes à ce sommet d’une pyramide sans fondations, et sans bases. Et ceux qui se sont arrogé le droit de séjourner sur sa pointe, à grands coups de fouets sur les échines courbées, intiment l’ordre de combler le vide qu’ils sentent s’ouvrir sous leurs pieds. Ici commence et finit le monde qu’ils ont façonné depuis des lustres. Ils sont les charognards et les mécènes d’une perdition totale, n’offrent d’autre perspective que le brouillard et l’aveugle ressentiment. Point de direction, ni de transmission en ce véhicule lancé à grande vitesse à sa perte. Ceux-là n’ont tiré aucune leçon des précédentes chutes. Ils prônent une civilisation aux fondations noyées dans le sang et le meurtre. Ils ont oublié que toutes les dominations se sont toujours écroulées, dès lors que la répression, alliée à la pression fut trop forte. Ils sont les propres fossoyeurs du monde qu’ils ont forgé. Ils ne donnent aucune perspective, la barre folle du navire est désormais livrée aux vagues, aux tempêtes, les marins vomissent en leurs couches. Nulle côte en vue pour les vigies. Ce qui vient est un naufrage, programmé de longue date, sans autre avenir sinon larmes et peines, et labeurs sans salaires, et douleurs, dérives maladives, chutes vertigineuses.
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Nous sommes au seuil d’un monde ébranlé
Les contours du futur sont entre nos doigts
A nous d’apprendre à creuser nos paumes
Pour recueillir l’eau fraîche de l’avenir
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Manosque, 10 juin 2010
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