Poser la question, c’est y répondre.
Avec son ministère de la Culture, que la France est l’un des seuls pays à avoir conservé, la France soigne son exception du mieux possible. Chacun à sa façon, Catherine Trautmann, Marc Fumaroli et Maryvonne de Saint-Pulgent le souligne, cette politique d’une inflation constante des deniers publics dépensés - souvent par des énarques - pour le tout culturel ,tue à petit feu tout marché qui pourrait exister sans financement public.
Alors qu’on nous annonce toujours le fameux 1% culturel du budget, qu’on évoque à longueur de discours les 2,7 milliards d’euros consacrés à la culture en France, c’est en réalité 11 milliards d’euros de financements publics alloués chaque année aux activités culturelles publiques. 11 milliards d’euros auxquels il faut fixer des objectifs concrets ou qu’il faut supprimer. A l’heure de la LOLF où l’argent manque cruellement dans les caisses de l’Etat et des collectivités, il serait temps de faire le bilan et de déterminer quelles sont les dépenses qui, au sein de ces 11 milliards, mériteraient qu’on les pérennise. Mais pour cela il faudrait nommer aux postes-clés de vrais gestionnaires.
Deux signatures pour ce billet estival de l’IFRAP, officine libérale que vous connaissez déjà peut-être, Bernard Zimmern (ancien polytechnicien et énarque) et Agnès Verdier-Molinié auteur de cette impérissable adage :
La plupart des défauts que l'on attribue au capitalisme financier sont imaginaires ou proviennent de règlementations inadaptées
Eté particulièrement meurtrier, devoirs de vacances bâclés ou dernières cartouches avant fermeture pour congés ? Trois références en tout cas, pour ce plaidoyer ultra-libéral menant la charge contre les dispendieuses politiques culturelles.
Dans Le Gouvernement de la culture, Maryvonne de Saint-Pulgent explique :
« Depuis 1959, les crédits du ministère de la Culture ont doublé tous les dix ans (…) Les bénéfices de cette manne ont été inégalement répartis. Les évolutions structurelles du budget de la rue de Valois jettent une lumière crue et inattendue sur les priorités réelles des ministres successifs. Grâce à ces quarante ans de prospérité, toutes les disciplines ont vu leurs crédits croître en francs constants. Mais, si elles regardent leurs voisines, elles y voient des gagnantes et des perdantes. Du côté des perdantes : les archives et surtout le patrimoine (…), du côté des gagnantes : les frais de structure avec plus de 23%. »
Marc Fumaroli :
« Le grand reproche que l’on peut adresser à ce que l’on appelle « politique culturelle » en France, c’est de pousser l’Etat à préférer, par un souci obsessionnel d’« image », des interventions spectaculaires et coûteuses dans des domaines où beaucoup de choses pourraient fort bien se défendre toutes seules ; elles deviendraient même plus inventives et imaginatives si elles étaient moins ouvertement protégées par une administration sortie de ses compétences propres et se prenant pour impresario, voire, comme Néron, artiste elle-même.
Catherine Trautmann, député européen et ancien ministre de la culture.
« Le ministère de la Culture est-il réformable ? La réforme de l’Etat doit se faire de la manière la moins politicienne possible. Dans la durée, nous avons perdu beaucoup de temps dans la réforme de la culture parce que les différents ministres qui se succèdent ne s’intéressent pas à la question juridique ou économique du ministère. Seul l’artistique les intéresse. Il faudrait un débat très large sur ce sujet mais il n’y a pas de débat, il n’y a aucun débat sur le sujet. Les parlementaires qui s’y intéressent sont très peu nombreux. L’apport du privé doit être reconnu : l’Etat ne peut être présent sur tous les fronts, sinon, il obtient de mauvais résultats. » A méditer.
A méditer, ajoute le couple qui préside aux destinées de l’IFRAP. Cette dernière citation est particulièrement crapuleuse. D’abord, contrairement à celles de Fumaroli et Saint-Pulgent (Maryvonne, que je me garderai bien de qualifier de libérale), il n’y a pas d’indication de la source de ces propos. Ensuite, on enrage de voir celle qui s’est mis à dos une grande partie des « professionnels de la profession » pour avoir osé les rappeler à leurs obligations de service public enrôlée dans un douteux combat pour une conception ultra restrictive de l’intérêt général.
Opposons donc tranquillement aux tenants de la rigueur (comme aux protestataires permanents réclamant aveuglément des rallonges sans fin pour leurs structures) cette autre citation de la députée européenne et ancienne ministre qui rappelle que la politique culturelle est avant tout affaire de sens.
Nous sommes dans un pays qui a commencé son action culturelle par la conservation, la protection des monuments, des institutions. Mais nous avons été très vite empêtres dans l’ambiguïté du mot culture. Durkheim définissait la culture comme les valeurs et les coutumes qui lient un groupe. Il faut rajouter à ce sens, comme Finkielkraut l’y incite, la transformation de l’héritage par la connaissance ou l’éducation. Lukacs a défini la culture comme « l’humanité de l’humain », propos terrible si l’on repense au moment où il a été écrit. A partir de ces définitions, je conçois la culture comme ce processus d’autocréation de l’homme par Ia culture, et j’essaie de travailler sur ce que cela signifie pour la démocratie. Il ne peut pas y avoir de projet de démocratie réelle s’il n’y a pas de place pour la culture et la création. L’Europe est une idée, non pas un territoire, c’est une véritable création qui doit, à mes yeux, se fonder sur ce que dit Lukacs.
Dans nos débats politiques, il faut que nous nous sentions obligés à un devoir d’humanité. La question est donc : quel statut donner à la création, et qu’entend-t-on par culture ? Après viennent les questions techniques de l’organisation du financement.
C Trautmann : Lumière sur l’Europe, in Culture publique, Opus 3, Sens et Tonka éd., 2005
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