Cette loi, déjà commentée sur le fond à plusieurs reprises dans ces colonnes (* voir liens de bas de page), mérite qu'on s'arrête à sa forme:
Sa lecture intégrale vous donnera le loisir de parcourir 257 articles
de longueur très variable. En format Magazine, avec une police de
caractère de type Sérif 11 ou 12 points, de type Times new Roman,
avec une maquette bi-colonne par page, 101 pages sont nécessaires à son
impression. Un copier coller depuis Légifrance nous donne, dans mon
traitement de texte, 163 pages A4, 3826 paragraphes, 96 981 mots, et 648
074 caractères espaces compris. Pour vous donner une idée, mon ouvrage
"logement, crise publique, remèdes privés", 220 pages au format livre
"club", en compte moins de 200 000.
Si certains articles
tiennent en une phrase, beaucoup contiennent en fait un nombre important
d'alinéas et de sous alinéas qui en font toute la beauté foisonnante.
Ainsi, le très poétique article 121 intitulé "Trame verte et bleue"
nécessite 4 pages "moniteur" et environ 9 000 signes ou 1200 mots à lui
tout seul.
Ah, que la douce mélopée du verbe législatif s'instille suavement dans nos oreilles d'assujettis, faisant vibrer nos épidermes de doux frissons républicains et réveillant nos synapses endolories de fugaces caresses administratives.
Un spaghetti textuel illisible
La plupart des articles se présentent ainsi:
"L'article
L.NNN-nn du même code (**) est modifié par l'ajout de la mention
suivante à la fin du paragraphe terminé par "zone protégée" :
bla-bla-bla"
(**) "Le même code" a été défini 5 articles et deux pages auparavant...
Ce qui rend difficile la compréhension du texte pour quiconque ne
connaît pas par coeur le texte des articles de codes préexistants ainsi
modifiés. Pire encore, les mentions ajoutées se réfèrent, évidemment, à
des références du texte initiale qui deviennent implicites et donc non
rappelées dans le paragraphe ajouté.
Un petit exemple intégral, l'article 118 (nb. Il est question du code rural, vous l'auriez bien sûr deviné):
Il ne manque plus qu'une mention de la préservation de la biodiversité pour que le parachèvement de l'absolu bureaucratiforme, de l'extatique étatique, du saint-graal environnemental, soit total. Ah non, cela figure dans des articles ultérieurs, désolé.
Allez, un autre, l'article 6 (le "même" code est celui des impôts) :
Au premier alinéa de l'article 1391 E du même code, après le mot : « logements, », sont insérés les mots : « ainsi qu'aux organismes mentionnés à l'article L. 365-1 du même code, ».
Clair, non ?
A noter que Légifrance - le site du "Journal Officiel", tout de même - fait un usage très modéré du lien hypertexte (pas plus d'une référence sur 5 est liée), qui pourrait pourtant apporter non pas une solution, mais au moins un début d'amélioration, à la situation.
Trop compliqué, sans doute, avec les maigres moyens dont l'administration dispose ;-)
Une loi un peu courte, à compléter d'urgence par des décrets
Encore plus fort: nombre d'alinéas renvoient à de futurs décrets pour préciser le présent texte, il est vrai un peu court avec ses seuls 3800 paragraphes, pour pouvoir intégrer toutes les nuances législatives induites par le génie de Jean Louis Borloo. Ainsi, à l'article 8 :
"Les baux conclus ou renouvelés portant sur des locaux de plus de 2 000 mètres carrés à usage de bureaux ou de commerces comportent une annexe environnementale. Un Décret définit le contenu de cette annexe".
Comme l'article en lui même n'est pas très loquace sur le contenu de l'annexe, il faut en déduire que le législateur laisse toute latitude à la bureaucratie pour em...papaouter les co-contractants de baux commerciaux de droit privé, puisque le décret sera simplement validé en conseil des ministres, entre une loi sur le port du string à l'école et une autre sur le filtrage des méchants blogueurs sur l'internet, c'est à dire qu'en fait, c'est un simple fonctionnaire qui aura le pouvoir d'écrire la partie substantielle de la loi, sous une supervision lointaine des cabinets ministériels.
Egalement, à l'article 3, un beau cadeau à l'industrie du matériau isolant et de la chaudière à condensation, dont le détail sera précisé "par un décret en conseil d'état":
Après l'article L. 111-10-1 du code de la construction et de l'habitation, il est inséré un article L. 111-10-3 ainsi rédigé :
« Art.L. 111-10-3.-Des travaux d'amélioration de la performance énergétique sont réalisés dans les bâtiments existants à usage tertiaire ou dans lesquels s'exerce une activité de service public dans un délai de huit ans à compter du 1er janvier 2012.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine la nature et les modalités de cette obligation de travaux, notamment les caractéristiques thermiques ou la performance énergétique à respecter, en tenant compte de l'état initial et de la destination du bâtiment, de contraintes techniques exceptionnelles, de l'accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite ou de nécessités liées à la conservation du patrimoine historique. Il précise également les conditions et les modalités selon lesquelles le constat du respect de l'obligation de travaux est établi et publié en annexe aux contrats de vente et de location. »
La technocratie va pouvoir se défouler dans le décret, avec l'aide bienveillante de quelques lobb... pardon, de quelques industriels bienveillants qui leur prodigueront toute la connaissance technique nécessaire.
A qui profite l'illisibilité ?
Et comme par hasard, pratiquement un article sur 2 de ladite loi, quand on y regarde de plus près, est un prétexte pour donner aux bureaucraties de l'état du pouvoir supplémentaire de réglementations, contrôle, empêchement d'agir, justification de poste budgétaire, etc.
Comme le dit Christian Julienne, président de la fondation Héritage et Progrès, aucun conseil d'administration privé n'accepterait d'étudier une résolution de la direction présentée avec une telle désinvolture.
Le premier résultat est que très peu de députés auront effectivement lu le texte avant de le voter, et qu'ils seront encore moins nombreux à l'avoir compris, vu leur niveau d'implication général dans l'action législative (voir H16 pour les détails). Et il en est ainsi de 9 textes sur 10 votés chaque année au parlement. Pourtant, ces textes induisent à chaque fois des conséquences majeures pour les citoyens, qu'elles soient économiques ou qu'elles concernent nos libertés fondamentales.
Le second résultat est que chaque loi modifie quasiment tous les codes (impôts, urbanisme, ruralité, environnement, etc...) qui régissent le quotidien des français, participant d'une incessante instabilité des textes préjudiciable à la prévisibilité des décisions de justice.
Vous avez compris: ce sont les fonctionnaires d'état spécialisés qui ont rédigé (enfin, "rédigé"... façon de parler !) ce texte qui sont les véritables détenteurs du pouvoir. L'illisibilité de la loi est une des techniques dont la technostructure se sert pour façonner notre société selon les lubies de ses leaders d'opinion... Et ses intérêts de caste bien compris.La France crèvera de sa bureaucratie. Ah pardon, elle est déjà morte, mais elle ne le sait pas encore.
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(*) Lire aussi :
- Grenelle 2, une loi de guerre contre les français
- Grenelle 2, comment se loger après 2012
- Ne pas confondre "méchants lobbystes" et "gentils bénéficiaires du Grenelle"
- Dans quelle ville voulons nous vivre demain ?
Les a-côtés du Grenelle :
- Pour en finir avec la diabolisation de l'étalement urbain
- Les lois anti étalement urbain sont un échec : renforçons les
- De l'étalement à l'étoilement urbain
- Réglementation foncière et crise du logement, problèmes et solutions
- Immobilier anglais, ou l'archétype de la faillite de la planification spatiale
- Houston, Dallas, les grandes villes libres sont elles des enfers urbains ?
- Les causes immobilières et foncières de la crise des subprimes
- Droit des sols français: un vol légal au profit des bien nantis
- Vive la bagnole !
- En finir avec le fantasme ferroviaire
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