à propos de Les taupes

Par Larouge

Les Taupes

Christine Bini
 
BRUZZONE, Félix, Les Taupes, traduit de l'espagnol (Argentine) par Hélène Serrano, éditions Asphalte, 2010, 176 pages. (Los topos, Mondadori, 2008).
 
Félix Bruzzone est né en Argentine en 1976. Ses parents font partie des « disparus », ces opposants politiques que la dictature militaire des années 70 a torturés, puis tués. On n'a jamais retrouvé les corps de ces victimes, mais en1995 le capitaine Adolfo Scilingo a expliqué [1] que les corps avaient été jetés à la mer, depuis des avions de la Marine ou de la Préfecture. On estime leur nombre à 30 000. Dans la mémoire du public français (non spécialiste de la question), il reste sans doute de cette époque le souvenir des manifestations contre la Coupe du Monde de football en 1978, qui s'est tenue en Argentine ; les images des « folles de la Place de Mai », ces mères qui tournaient - et tournent encore - en brandissant les photos de leurs enfants, foulard blanc noué en fichu ; et la Palme d'or à Cannes en 1985 pour le film La historia oficial, de Luis Puenzo, film dont l'intrigue est centrée sur l'adoption des enfants des disparus, nés en captivité, et adoptés par les familles de la classe dirigeante.
 
Le roman de Félix Bruzzone se déroule après la dictature. Le protagoniste, fils de disparus, est élevé par ses grands-parents maternels. Sa grand-mère Léla est persuadée que sa fille a eu un autre enfant, en captivité, qu'elle veut retrouver. Le récit, à la première personne, livre une sorte d'épopée picaresque et sentimentale poignante. Le roman est articulé en deux parties d'égale longueur, la première se déroulant à Buenos Aires, et la seconde dans le sud du pays, à Bariloche, près de la frontière chilienne. Dans la première partie, le récit dessine l'errance du narrateur : deuils, déménagements, liaisons sentimentales et physiques, le tout sur fond d'engagements politiques et associatifs. Ce n'est pas le narrateur qui s'engage. Paradoxalement, c'est sa petite amie Romina, dont les parents n'ont pas disparu, qui milite au sein de HIJOS, une organisation qui réclame la vérité et la justice pour les enfants de prisonniers politiques nés sous la dictature des généraux. Le narrateur, lui, semble plus spectateur qu'acteur, il n'est guidé que par l'amour qu'il porte, dans un premier temps, à Romina - qu'il pousse à avorter et dont il ignore si elle lui a obéi -, puis au travesti Maïra. La quête de la grand-mère devient la quête du narrateur, qui se met à chercher son frère né en captivité. Petit à petit, il pense que le travesti Maïra est ce frère inconnu.
 
Le milieu des travestis joue un rôle prépondérant dans le roman. Le deuxième motif exploité est celui du bâtiment. Le narrateur en vient à s'installer dans la maison abandonnée de ses grands-parents défunts (dont il n'est pas propriétaire) et à la retaper. Il croisera sur sa route d'errance d'autres bâtisses en construction, il participera à leur construction mais ne les habitera jamais vraiment. Il va même se retrouver clochard, sans abri. Les motifs des travestis et du Bâtiment se rejoignent dans la deuxième partie du roman : le narrateur est employé comme manœuvre sur un chantier dont le chef (on l'appelle « El Alemán ») se vante de maltraiter, de torturer, les travestis. Le narrateur abandonne le chantier et se travestit à son tour, avec l'idée de devenir un « vengeur », un tueur d'homophobe, comme Maïra qui, elle (lui), assouvissait sa vengeance contre les policiers.
 
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source: cle.ens-lyon.fr/41693594/0/fiche___pagelibre/