Grotte Chauvet, 1 : A la conquête du record, par Guy Jouve

Par Fihrist

- Intervention de Guy Jouve sur Europe 1, samedi 17 juillet 2010 (le sujet sur Chauvet débute à la 33ème minute)

Avant-propos, par G.F.

L'étude de l'art pariétal, comme toute discipline, a aussi ses dogmes. L'un des plus célèbres énonce que la grotte Chauvet, découverte en décembre 1994 et située en Ardèche dans la commune de Vallon pont d'Arc, dispose des plus anciennes oeuvres de l'histoire de l'humanité. La thèse officielle, diffusée par Jean Clottes et le Ministère de la Culture à partir de datations au radiocarbone 14, méthode sur laquelle le livre de Guy Jouve revient en détail, annonce que les oeuvres datent sans contestation possible de la période aurignacienne, soit d'environ – 31000 BP (Before Present, c'est-à-dire Before 1950).

Devinant certainement que les analyses allaient déclencher quelque protestation de la part de la communauté archéologique, le Ministère n'hésite pas dès 1995 à repousser par avance toute interprétation différente. Gardons bien en mémoire la dernière phrase du communiqué publié à l'époque, soit à peine quelques semaines après le début des recherches, cruciale pour comprendre le déroulement de cette affaire, affirmant en substance que toute autre interprétation que la leur ne vaudrait pas même la peine d'être discutée :

« La datation (26 120 ±400) d'un mouchage de torche superposé à la calcite couvrant un dessin prouve que certaines au moins des représentations ont bien été effectuées à des dates très anciennes et que l'on doit écarter l'hypothèse, au demeurant fort improbable, de visiteurs solutréens ou magdaléniens qui auraient ramassé sur le sol des charbons aurignaciens et s'en seraient servi pour tracer leurs dessins des milliers d'années après le passage des premiers occupants de la caverne. » (l'auteur souligne)

Ou comment rejeter d'un revers de main, avec une arrogance incroyable, de prochains accrochages mettant en cause la thèse officielle, geste d'autant plus ahurissant qu'on ne comprend pas bien pourquoi l'hypothèse suggérée serait « improbable ». Par un étrange hasard, cette dernière sera justement développée dès 1997 par divers scientifiques, tels que Paul Bahn, Christian Züchner, Paul Pettit, celle-là même que les grands organes de presse français tenteront de discréditer en présentant leurs auteurs comme des étrangers jaloux de l'exceptionnel patrimoine de notre pays. Agression et mépris sont le lot de ceux qui, sur des bases scientifiques, mettent en lumière les failles et carences, pour ne pas dire les mensonges, d'une thèse officielle par ailleurs reprise telle quelle par l'encyclopédie Wikipedia. L'article « Grotte Chauvet » est ainsi un des exemples les plus caractéristiques du manque de sérieux de certains de ses contributeurs. On y lit d'entrée de jeu cette affirmation : « La communauté scientifique admet quasi unanimement que les oeuvres de grotte Chauvet datent de l'Aurignacien et comptent parmi les plus anciennes au monde. »

Non content d'être oublieux du conditionnel, ce qui me semblerait être la moindre des prudences, l'encyclopédie, moins libre qu'ouverte aux méthodes les plus contestables, possède une curieuse définition de la quasi unanimité. L'article se débarasse en une phrase, sèche et méprisante, des débats en cours depuis quelques années à propos de la datation des oeuvres rupestres courant les murs de la grotte : « Elles ont été mises en doute en  2003 par certains archéologues, Christian Züchner, Paul Pettitt et Paul Bahn notamment, qui estimaient ces peintures plus récentes sur la base de critères stylistiques. » Ce passage aux faux airs de souveraine objectivité dissimule très maladroitement son parti pris en faveur de la datation à 30 000 / 31 000 BP diffusée par Jean Clottes et son équipe, puis le Ministère : « La grotte Chauvet a toutefois bénéficié d'un nombre exceptionnel de datations directes, difficilement contestables et acceptées aujourd'hui par la majorité des préhistoriens. » (l'auteur souligne)

Affirmation doublement mensongère. En premier lieu, il est absolument faux de prétendre que les datations sont « acceptées » par la « majorité des préhistoriens » : en plus de Bahn, Züchner, Pettit, trois archéologues de réputation internationale, elles sont également remises en cause par José J. Gonzales, Rodrigo de Balbin, Guy Jouve et Jean Combier, Directeur de Recherche au CNRS. Autrement dit par un panel varié et compétent de spécialistes pour certains mondialement connus. En second lieu, l'entrée suggère que le jugement de ces derniers ne s'appuieraient que sur des « critières stylistiques », alors que leur argumentation repose également sur des preuves scientifiques, compilées dans le livre de M. Jouve.

Il ne faut donc pas s'étonner que l'ouvrage de ce dernier, pourtant le seul qui ait été écrit par un spécialiste indépendant, ni sa récente intervention sur l'antenne d'Europe 1, ne soient pas même mentionnées dans cet article clairement et scandaleusement orienté, encore moins relayés par la presse papier ou numérique. Il faut dire qu'une même indifférence touche l'état déplorable de la grotte de Lascaux dénoncé il y a peu par Clayton Eshleman. Précisons que le chapitre suivant, ainsi que celui qui sera publié demain, ne comporte pas les dernières preuves rassemblées par M. Jouve, son livre ayant été publié en 2009. Elles seront publiées dans quelques mois dans un article, en collaboration avec Paul Bahn.

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Publication des pages 121 à 129 de l'ouvrage érudit et richement documenté (nombreuses photographies couleur, plus de 80 figures) de Guy Jouve, La grotte Chauvet révélée, publié à compte d'auteur, 2009.

A la conquête du record

Un historique

L’histoire des découvertes archéologiques n’est pas avare de rebondissements. Les datations, nous l’avons dit, sont délicates, et plusieurs estimations sont souvent indispensables avant qu’une certitude ne s’impose. Les exemples ne manquent pas: les peintures de la grotte d’Altamira découverte en 1879 furent attribuées par son découvreur à la Préhistoire, mais le scepticisme de certains archéologues fit traiter celui-ci de faussaire, et l'authenticité de ces œuvres n’a été définitivement reconnue que vingt ans après.

Plus récemment, dans la vallée du Côa au Portugal, Nelson Rebanda découvrit, en 1992 et 1993, des gravures sur des rochers en plein air. Les archéologues reconnurent un style du Paléolithique Supérieur, mais des datations indirectes au carbone 14 et l’étude des grains de quartz fournirent des dates beaucoup plus récente, entre 2 000 BP et 7 000 BP. Il fallut attendre 1998 pour que l’on s’accordât sur un âge du Paléolithique Supérieur.

Les squelettes de l’homme Cro-Magnon découverts en 1868 près des Eyzies-de-Tayac sont classiquement attribués à l’Aurignacien et donc datés de plus 30 000 ans. De nouvelles datations ont montré en 2002 que l’âge serait au plus de 28 000 BP, ce qui exclut donc une appartenance à l’Aurignacien. Il en est de même du squelette de Bouil-Bleu que l’on présentait comme aurignacien, contemporain de la grotte Chauvet, mais il a été daté de l’époque romaine !

En 1931, dans la grotte de Vogelherd, en Allemagne, des ossements humains ainsi que des statuettes en ivoire furent exhumés ; le tout fut datés de plus de 30 000 BP et on considéra que tout cela provenait des plus anciens artistes de l’humanité. Malencontreusement, des datations récentes au radiocarbone réalisées sur ces ossements révélèrent des dates totalement différentes, comprises entre 5000 BP et 4 000 BP (1).

Il n’est donc pas rare que les premières datations soient démenties par les suivantes, ce qui peut déclasser certains records d’ancienneté trop hâtivement annoncés. Des péripéties, la grotte Chauvet en connaîtra elle aussi. C’est leur récit que nous allons reconstituer à partir des déclarations des protagonistes, pour bien situer dans quel contexte ont été obtenues les dates qui en ont fait la célébrité, et pourquoi elles ont déclenché ensuite des contestations.

La découverte de la grotte Chauvet - Combe d’Arc Au XIX siècle, les premières fouilles furent effectuées en Ardèche par des archéologues locaux. C’est ainsi que Ollier de Marichard (1824-1901), un archéologue enfant du pays, a exploré et fouillé la plupart des grottes situées dans la commune de Vallon Pont d’Arc ; l’instituteur L.Chiron ainsi que le docteur P. Raymond ont fait fouiller d’autres grottes situées un peu plus en aval. Les travaux se poursuivirent pendant les décennies suivantes et permirent de connaître une douzaine de grottes ornées, mais le faible nombre d’oeuvres pariétales ne suffit malgré tout pas à placer l’Ardèche parmi les grandes régions de l’art pariétal.

1994

C’est l’année de la découverte de cette nouvelle grotte dans le cirque d’Estre, le 18 décembre, par J.-M. Chauvet, agent de surveillance des grottes et spéléologue amateur, accompagné de deux amis. Ils avaient déjà à leur actif la découverte de plusieurs grottes, mais aucune d’une telle importance. Ils revinrent prendre des photographies et réaliser un film vidéo, puis communiquèrent leur découverte à leurs supérieurs du Service Régional d’Archéologie.

Première datation: l’archéologue J.Clottes visita la grotte, le 29 décembre 1994. En se fondant sur le style, grâce à sa longue expérience de l’art paléolithique, il déclara que les dessins avaient été réalisés de 21 000 BP à 17 000 BP. La datation venait de commencer. Tout cela avait réalisé dans le plus grand secret, à l’insu même des propriétaires de la grotte.

1995

Le 13 janvier, un arrêté préfectoral interdit l’accès à la grotte. Puis quelques jours plus tard, la population fut informée de l’existence de cette grotte et de son importance. Enfin, une autorisation de fouilles fut promulguée le 30 janvier.

Des nouvelles sensationnelles :

Au début du mois de février, J. Clottes et J.P. Daugas, conservateur de l’archéologie, effectuèrent des prélèvements de charbon de bois sur deux figures, les rhinocéros affrontés et un grand bison, afin de les faire dater au radiocarbone par le laboratoire de Gif-sur-Yvette. Les résultats bouleversèrent ceux qui en eurent connaissance: les dates dépassaient 30 000 ans, ce qui en faisaient les peintures les plus anciennes du monde qu’ils attribuèrent à la culture de l’Aurignacien, bien que le style correspondait à d’autres cultures et d’autres époques.

Un prélèvement sur un « mouchage  de torche superposé à de la calcite recouvrant l’un des rhinocéros » avait été daté de 26 120 BP, ce qui selon les auteurs était la preuve indiscutable des dates avancées pour le dessin (un mouchage est la trace laissée lorsqu’on frotte une torche sur le rocher pour raviver la combustion). Mais cela est bien obscur. On ne reconnaît pas sur les photographies ce mouchage de torche qui serait curieusement situé tout près du sol (à 40 centimètres environ) et, qui plus est, sur un dessin, alors que les mouchages de torches sont en général à hauteur d’homme.

Des lignes noires sont certes visibles sur les photographies, elles ne ressemblent guère à des frottements de torche, mais plutôt à des traits tracés par les artistes ; où est la calcite ? Les auteurs reconnaîtront en 2001, que l’identification de ces traces de torches n’était pas assurée, que ces traits verticaux noirs avaient été « qualifiés de traits de torche bien qu’ils aient pu servir davantage à marquer la paroi qu’à raviver un luminaire. » (2) Ce point est essentiel, car c’était le seul argument qui aurait pu prouver que les dessins étaient antérieurs à 26 120 BP.

Trois échantillons de charbon de bois ramassés sur le sol près des panneaux peints furent datés par un autre laboratoire à Lyon. Les résultats furent 28 980 BP, 24 770 BP et 22 800 BP.

Au début du mois de mai, c'est-à-dire quelques semaines seulement après avoir obtenu les résultats de ces datations, J. Clottes envoya un article à la revue de l’Académie des Sciences, dans lequel il exprima des conclusions péremptoires sur l’âge des peintures estimées selon lui à plus de 30 000 ans, et sur les conséquences que cela impliquait selon lui : « Les notions sur l’apparition de l’art et son développement se trouvent bouleversées. » Cette nouvelle conduit en effet à rejeter la datation stylistique qui était acceptée par tous et à admettre que 15 000 ans avant le Magdalénien, des artistes étaient arrivés au même degré de perfection de l’art, ce qui contredirait les notions admises sur l’évolution de l’art. « La preuve est faite que, dès l’Aurignacien, existaient de grands artistes qui maîtrisaient admirablement les ressources de leur art, alors que l’art aurignacien du Périgord, par exemple, est infiniment plus fruste. » (3) Si cette datation était vraie, elle confirmerait d’une manière éclatante la théorie qu’avait annoncée, un an auparavant, J. Clottes qui écrivait alors que : « l'art a des origines multiples, des tentatives avortées ou sans lendemain, suivies de résurgences et de réussites , peut-être à des centaines ou des milliers d'années d'intervalle. » (4)

Cette annonce fut largement diffusée. Elle eut un immense retentissement auprès du public en France et au-delà des frontières. Tout cela fut alors accepté sans discussion par bon nombre de préhistoriens dans le monde, bien que les dates mises en avant indiquaient seulement l’âge des charbons utilisés et ne renseignaient pas sur l’âge des dessins, ce qu’aucun archéologue ne pouvait ignorer.

1996

L’année suivante, les datations de prélèvements sur deux nouvelles figures (un aurochs et un mégacéros) fournirent des résultats semblables, c'est-à-dire antérieurs à 30 000 BP. Des articles de presse et des conférences répandirent ce thème des plus vieilles peintures du monde qui semblaient révolutionner les idées sur l’apparition de l’art.

1997

La grotte fut expropriée et devint la propriété de l’état.

1998

Sous l’autorité du Ministère de la Culture, une équipe et un programme de recherches furent constitués et la direction en fut confiée à J. Clottes jusqu’en 2001. À partir de ce moment là, plus aucune nouvelle date atteignant les 30 000 ans ne fut trouvée.

Les travaux archéologiques se poursuivirent, plusieurs équipes de spécialistes travaillèrent dans différents domaines de recherche : datation des charbons de bois et des ossements d’ours, étude et datation des stalagmites, étude des pollens, des ossements, des empreintes de pas, des silex, les dessins noirs, stratigraphie et style, le symbolisme…

C’est ainsi, qu’une anthropologue spécialiste des populations du Groënland et du Nord de la Sibérie a été chargée de l’interprétation des symboles contenus dans les peintures de la grotte Chauvet : « C'est donc en faisant appel à ma connaissance des cultures traditionnelles du Groënland et de la Sibérie septentrionale que j'ai participé à l'étude de la grotte et de son site, m'efforçant de les aborder avec le regard du chasseur et les croyances surnaturelles que peut lui inspirer son environnement. Du fait des similitudes de milieu et de mode de vie, une approche se fondant sur des analogies entre les populations de chasseurs – cueilleurs -pécheurs de régions arctiques ou subarctiques et les populations aurignaciennes de l'ère glaciaire n'apparaît pas dénuée de pertinence. » (5) On peut s’étonner que l'on cherche des ressemblances entre des régions de latitude très différente ayant pour conséquence un soleil beaucoup plus chaud en Ardèche, même à l’âge glaciaire, des longueurs de jours et de nuit qui n’ont rien à voir, avec des soleils de minuit et des nuits à midi dans les régions polaires ; les conditions de vie diffèrent en outre par l'absence de grotte, l'absence des grands animaux tels que les mammouths, les rhinocéros laineux, l'absence de félins. Comme on pouvait s’y attendre, l’anthropologue reconnaît l’impossibilité d’arriver à des conclusions fondées sur les dessins : « l est indispensable, pour approfondir la réflexion, de pouvoir s’appuyer sur les résultats des fouilles du sol de la caverne, comme sur les apports de l’archéologie dans les sites d’habitats aurignaciens voisins de la grotte Chauvet-Pont d’Arc ». Mais il n’a jamais été découvert de site aurignacien au voisinage de la grotte, dont le sol n’a pas été fouillé !

Des nouvelles datations ? Un prélèvement sur le dessin de la tête d’un cheval dans le panneau du même nom fut daté de 20 790 BP. C’était bien embarrassant. Alors, en 2001, dans la revue Nature (6) et dans un ouvrage sur la grotte, l’équipe de datation annoncera une autre date pour ce même prélèvement : 29 670 BP. Il s’agissait de la date du contaminant qui avait été extrait de l’échantillon et qui leur semblait plus juste, puis qu’elle correspondait à leurs attentes.

1999

Des charbons ramassés sur le sol de la galerie des Mégacéros et de la salle du Crâne furent datés par le laboratoire de Gif-sur-Yvette. Les dates obtenues allaient de 25 440 BP à 32 850 BP, mais si la majorité de ces échantillons dépassaient 30 000 BP, ils ne provenaient pas de peintures.

2001

Cette année-là, J.-M. Geneste succéda à J Clottes à la direction des travaux de recherche. L’équipe des archéologues de la grotte publia un ouvrage à destination du grand public, opérant une synthèse des travaux des trois années précédentes, en attribuant toutes les œuvres pariétales à l’époque aurignacienne, c'est-à-dire toujours au-delà de 30 000 ans. Le public était acquis à cette interprétation, puisque aucun avis contradictoire ne lui avait été présenté.

Cependant la même année, la datation d’un échantillon prélevé sur un « tracé chinois » dans la galerie des Croisillons avait donné un résultat de 27 130 BP. La diffusion de cette date se fera attendre, puisque ce n’est que quatre années plus tard qu’on en trouvera la trace dans une publication, mais sans commentaire. Le peu d’empressement à communiquer cette date là tranche avec la rapidité à laquelle avaient été diffusées les premières dates de 30 000 BP.

2002

La nouvelle devient une vérité qu’il faut enseigner. Un organisme placé sous la tutelle du ministère de l’Education Nationale, Le CERIMES, diffuse les dates aurignaciennes dans un film vidéo destiné aux établissements relevant du Ministère de l'Education Nationale... L’en tête est significatif : « Une découverte de la plus ancienne grotte ornée du monde, en compagnie du préhistorien Jean Clottes et de son équipe. Exceptionnel… nous pénétrons dans les profondeurs, à la rencontre des oeuvres dessinées par les Aurignaciens il y a 32 000 ans... ». C’est très alléchant, faux, et lourd de conséquences puisqu’il s’agit de la formation des étudiants.

2003

On apprend l’existence de la « datation directe d’un tracé noir d’un panneau des mains négatives », il s’agit donc d’un dessin, qui donna alors une date gravettienne, donc voisine de 26 000 BP ; cela fut certes cité oralement dans des journées de la Société Préhistorique Française en 2003 : « Cette datation est mentionnée dans le rapport d’étude annuel 2003 de l’équipe. » (7) Nous avons bien sûr demandé à consulter ce rapport d’étude, on nous a répondu que c’était impossible, car la grotte Chauvet était un sujet « sensible ». Mais les travaux de recherche sont financés par les contribuables, pourquoi les lui cacher ?

Depuis la constitution officielle de l’équipe de recherche, des campagnes de datation ont été réalisées en 1998, 1999, 2000, 2001 et 2002. Mais aucune date de plus de 30 000 ans n’a jamais été obtenue par cette équipe. Les dates trouvées et publiées, en catimini, sont alors comprises entre 20 790 BP et 27 130 BP. Nous n’oublions pas bien sûr les dates de quatre figures de 30 000 BP à 32 000 BP annoncées tout au début et avant la constitution de cet équipe, mais elles n’ont jamais été confirmées depuis par d’autres mesures sur ces peintures ou d’autres peintures.

Quant à la prise en compte des résultats, la procédure désormais adoptée est la suivante : toutes les dates de dessins qui sont plus récentes que 30 000 ans sont éliminées. On peut lire que la datation d’un échantillon prélevé sur un dessin de mammouth du panneau des rhinocéros ne sera prise en compte que dans le cas où elle « donnerait une date correspondant à notre attente. » (8) Or, quatre années après, cette datation du mammouth n’a pas été publiée, on doit donc légitimement en conclure que la date trouvée n’est pas 30 000, mais 26 000 ou moins. Il faut savoir que depuis plusieurs années, le doute sur la datation de cette grotte était exprimé par plusieurs scientifiques, mais les travaux archéologiques continuèrent en reposant sur la base de la date aurignacienne des dessins, sans prendre en compte la moindre objection.

Tracé d'un hibou (ou Moyen Duc) au doigt sur pellicule argileuse

2004 - 2005

L’équipe continue à soutenir le record d’ancienneté des dessins. Dans la revue « Dossier pour la Science », on pouvait encore lire : « La seconde période d’occupation révélée, entre 27 000 et 26 000 ans, pendant le Gravettien est attestée par 12 datations…, mais, aujourd’hui, par aucun dessin. ». Cela est assez bizarre sachant qu’un tracé noir a été daté de l’époque gravettienne (cf. supra 2003) et un « signe chinois » de  27 130 (cf. 2001) …

Dans un numéro de la revue de la Société Préhistorique Française : « Toutes les peintures datées à ce jour, qui sont situées dans la seconde moitié de la grotte (…), ont été attribuées à la période aurignacienne. »

Des conséquences logiques


Si l’assimilation qui a été faite entre les dates du radiocarbone et celles de la création des dessins de la grotte Chauvet était avérée, il serait bien venu d’en déduire toutes les conséquences. L’âge des nombreuses grottes voisines, dont les gravures ne peuvent être datées par le radiocarbone et qui présentent des styles communs avec la grotte Chauvet, devrait être reconsidéré. Cela a été réalisé par certains chercheurs qui datèrent dès lors les gravures de la grotte de l’Aldène et la grotte de Baume-Latrone de l’Auraignacien en raison des similitudes de style. Mais il ne faudrait pas s’arrêter en chemin et oser dater toutes les grottes de l’Ardèche de la même époque. Il conviendrait également de remettre en question l’âge de la grotte de Lascaux et des nombreuses autres grottes qui possèdent des convergences stylistiques avec la grotte Chauvet. Alors, la majorité des grottes auraient été décorées pendant l’Aurignacien, comme la grotte Chauvet ! On simplifierait singulièrement l’histoire de l’art, tout cela à cause de seulement quatre dates trouvées au début des recherches et interprétées avec précipitation.

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(1) N.J.Conard et al, Unexpectedly recent dates for humans from Vogelherd, dans Nature 2004, Vol 430, p198.

(2) Jean Clottes et alii, La grotte Chauvet. L'art des origines, Paris Seuil , 2001, p148.

(3) Jean Clottes et alii. Les peintures paléolithiques de la grotte Chauvet, dans CR Académie des Sciences, 320 IIa, 1995, p1140.

(4) Jean Clottes. La naissance du sens artistique, revue des sciences morales et politiques, 1993, 176-177.

(5) Joelle Robert-Lamblin, la symbolique de la grotte Chauvet, dans Bulletin Société Préhistorique Française, 1-2005, p 207.

(6) Table 1 Radiocarbon dates for charcoal from Chauvet cave, Supplementary Information for "Palaeolithic paintings: Evolution of prehistoric cave art" Nature, V413, 479.

Jean Clottes Hélène Valladas et al, La grotte Chauvet. L'art des origines, Paris Seuil , 2001, p 32.

(7) Yves Le Guillou, Circulations humaines et occupation de l’espace, dans Bulletin Société Préhistorique Française, 1-2005, Note11 p134.

(8) Valérie Feruglio Dominique Baffier, Les dessins noirs des salles Hillaire et du Crâne, dans Bulletin Société Préhistorique Française , 1-2005 p154.