Obstacle à une expulsion et condition de la femme en Afghanistan
par Nicolas Hervieu
Une ressortissante afghane, arrivée en Suède avec son mari en 2004, a sollicité en vain l’asile auprès de ce dernier pays en arguant de persécutions subies en Afghanistan liées à l’engagement politique du couple. Lors des recours formés contre cette décision de refus, l’intéressée se sépara de son époux et tenta d’obtenir le divorce auprès des juridictions suédoises mais ces dernières s’estimèrent incompétentes. Cependant, elle allégua qu’une telle situation - ajoutée au fait qu’elle entretenait désormais une relation avec un suédois - l’exposait à un grand risque de violentes représailles en cas de retour en Afghanistan, la famille de son époux tout comme la sienne ainsi que l’ensemble de la société afghane réprouvant très fortement le divorce et l’adultère. Faute pour les autorités suédoises d’avoir accueilli ces arguments, seule une mesure provisoire de la Cour européenne des droits de l’homme (Art. 39) a permis d’éviter l’expulsion, du moins le temps que cette dernière statue au fond.
Or la juridiction strasbourgeoise a fait droit aux prétentions de la requérante en jugeant que son retour en Afghanistan l’exposerait à un risque de violation de l’article 3 (interdiction de la torture) imputable, par ricochet, à la Suède. Une telle solution est le produit d’une analyse remarquable de la condition féminine actuelle en Afghanistan (analyse étayée par de multiples sources internationales, gouvernementales et non-gouvernementales - § 34-37). En effet, la Cour indique que “les femmes font face à un risque particulier de mauvais traitements en Afghanistan si elles sont perçues comme ne se conformant pas aux rôles [« gender roles »] qui leur sont assignés par la société, la tradition et même le système juridique” et qu’”un mode de vie moins conservateur culturellement” peut les exposer à “des violences domestiques et autres formes de punitions allant de l’isolement et de la stigmatisation aux crimes d’honneur pour celles accusées de couvrir de honte leur famille, leur communauté ou tribu“ (§ 55). Plus encore, une législation afghane récente et particulièrement critiquée - car particulièrement critiquable - est évoquée par les juges européens pour appuyer ce constat de grande inégalité de la femme vis-à-vis de son mari. Le Parlement afghan a ainsi adopté en 2009 un texte applicable aux Chiites (« the Shiite Personal Status Law ») qui oblige l’épouse à se soumettre aux désirs sexuels de son mari et à obtenir l’autorisation de ce dernier pour quitter sa propre maison (§ 57).
Or, en l’espèce et à de nombreux égards, la situation de la requérante est effectivement en contradiction avec ce “rôle” assignée aux femmes (§ 56). Après avoir vérifié que la démarche de séparation de son mari pouvait être regardée comme sincère et non comme une tentative de contourner la décision initiale de refus de l’asile (§ 56), les juges mettent en exergue le risque qui pèse sur l’intéressée d’être violentée par son mari (§ 57-58) et même d’être mise à mort pour adultère (§ 59), sans compter les difficultés conséquentes qui existent aujourd’hui en Afghanistan pour une femme vivant seule, rejetée par sa famille, et sans être accompagné d’un homme (§ 60).
Au terme de cet état des lieux édifiant de la condition contemporaine des femmes afghanes - dont 80 % seraient victimes de violences domestiques (§ 57) -, la Cour juge fondée le risque que la requérante subissent des actes contraires à l’article 3 en cas d’expulsion vers l’Afghanistan (§ 62).
N. c. Suède (Cour EDH, 3e Sect. 20 juillet 2010, Req. n° 23505/09) - En anglais
Actualités droits-libertés du 26 juillet 2010 par Nicolas HERVIEU, le vuvu-retour
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