L’Europe serait-elle comme le titrait Time Magazine du 12 juillet , “un continent perdu“? L’UE, il est vrai, sort à genoux d’une crise financière dont elle n’est pas responsable. Une crise, qui aura joué le rôle d’accélérateur et de révélateur du lent processus de déclin du vieux Continent dans le concert international. Mais, dépression n’est pas raison. Le déclassement ressemble plus à un rééquilibrage de la répartition des richesses. L’Europe conserve des atouts indéniables (éducation, santé, environnement, démocratie, infrastructures) qui doivent lui permettre, si elle s’en donne la peine, de se dessiner un avenir.
L’atterrissage est rude mais la réalité est pourtant simple. L’histoire est comme la vie, cyclique. Rien n’est acquis. Aux lendemains de la guerre, les européens ont cru un peu hâtivement, après avoir perdu leur âme dans l’enfer de deux conflits apocalyptiques, être engagés durablement sur la voie du progrès. Aux trente glorieuses ont succédé des décennies de déficits liés notamment à l’explosion de nos dépenses sociales et de santé qui ont fortement impacté notre niveau de croissance. Ce mode de vie à crédit est arrivé à son terme. La résorption incontournable de la dette publique impose de repenser le financement et le fonctionnement de notre modèle social ainsi que la place et le rôle de l’État. Pour autant, la réforme ne doit pas être synonyme de régression mais, de faire mieux, autrement.
La longue parenthèse de la domination occidentale (Europe puis USA) se referme doucement. Quelques chiffres permettent de mieux appréhender le basculement qui s’opère.
En 1815, la plus grande puissance manufacturière, n’est pas la Grande-Bretagne mais la Chine. Ce n’est qu’au début du XX ème siècle que les choses s’inversent. En 1913, l’Europe est alors plus peuplée que la Chine.
L’ascension vertigineuse de l’Europe au XIXème siècle est le fruit d’une triple domination : celle de l’industrie permise par une énergie abondante présente sur le territoire, le charbon; celle des armements qui lui permettront de se constituer des empires coloniaux et enfin, celle des idéaux hérités des Lumières.
Outre une ruine morale et matérielle, les deux grandes guerres du XXème siècle ont constitué des saignées dont le vieux monde peine encore à se remettre. Il nait aujourd’hui plus d’enfants dans le seul Nigeria que dans toute l’UE . Peuplée de 180 millions en 1950, le continent africain abritera 1,8 milliard d’habitants en 2050, soit le quart de l’humanité. Au même moment, l’Europe ne pèsera plus que 6% de la population mondiale. A lui seul, ce dernier chiffre confirme que l’Europe est l’échelle minimum, sinon pertinente, pour apporter des réponses efficientes aux défis du siècle actuel.
Confrontée à une redistribution des cartes, la société européenne faute de clés pour la comprendre sombre dans la neurasthénie. Les réponses classiques s’avèrent inadaptées aux nouveaux défis et les politiques sont bien incapables de rendre l’avenir lisible. Le paradigme a changé, les Européens doivent changer également. En commençant par mettre fin à leur autisme pour s’ouvrir au monde. Ce qui est vrai pour l’écologie l’est également pour les politiques nationales : penser global, agir local. “Comprendre aujourd’hui pour réussir demain” dirait Jacques Attali.
“A force d’obéir aux mêmes règlements, ils finiront par constituer un peuple” estimait Jean Monnet , l’un des pères de l’Europe. Un demi-siècle plus tard, ce concept doit être abandonné tout comme la course à l’élargissement destinée à enrayer l’érosion du poids démographique et économique de l’UE. Cette fuite en avant s’est faite au détriment de l’approfondissement et s’est traduite par une “somalisation” de l’Union condamnée à n’être qu’un marché intérieur certes vaste, mais orphelin d’institutions politiques supranationales efficaces. Que les souverainistes se rassurent, comme le disait Jacques Delors, l’Europe, peut et doit être “un moyen d’élever la France”.
C’est ce défi exaltant qu’il convient aujourd’hui prioritairement de relever. En donnant à l’UE de véritables institutions et une Constitution digne de ce nom, simple, lisible, compréhensible. L’exact contraire des traités en vigueur. Finissons-en comme l’écrit Pascal Bruckner avec ce vieux monde timoré et boulimique qui comme Rome, risque de mourir d’obésité. Finissons-en avec cette mini société des nations parfaite pour édicter des normes de boutiquier mais impuissante devant des États-membres à la culture démocratique vacillante. A cet égard, les menaces d’instauration d’un régime à la russe en Hongrie appellent à la plus grande vigilance.
Il suffit de voyager un peu pour se rendre compte que dans un monde tourmenté, l’Europe, demeure un havre de paix et de prospérité, un continent béni des Dieux : climat tempéré, autosuffisance alimentaire, ressources abondantes en eau, qualité des systèmes éducatif, de santé, des infrastructures… Ce n’est pas tout à fait un hasard si malgré tous les tableaux noirs qu’on se plaît à dresser, l’Europe continue d’attirer les investisseurs directs étrangers.
Baisser les bras c’est se résigner à tout perdre. En avril 2009, Barack Obama lors d’un remarquable discours à Prague avait lancé une double mise en garde aux cousins du vieux continent. Contre le fatalisme d’abord, qualifié “d’ennemi mortel“. Contre les voix ensuite “de ceux qui disent que le monde ne peut changer“.
Accepter l’évolution du monde ce n’est pas renoncer à toute ambition. C’est faire preuve de pragmatisme, c’est faire preuve de volontarisme en faisant sien le mot de François Mitterrand selon lequel, “là où il y a une volonté, il y a un chemin” pour trouver notamment les moyens de sauvegarder nos modèles de solidarité face à la mondialisation.
Et si le rêve américain peut se symboliser dans le “Yes we can ” de Barack Obama, l’esquisse d’un projet européen pourrait se résumer dans la formule de l’ancien président Bill Cinton : “Because we can, we must“. Parce que nous pouvons, nous devons.
Europe géopolitique : le dessous des cartes (vidéo)
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