C'est sans doute la vraie question du weekend : Eric Woerth tiendra-t-il encore longtemps au gouvernement ? Samedi dernier, l'hebdomadaire Marianne a lâché une nouvelle révélation, la preuve d'un rendez-vous entre Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et Eric Woerth, alors trésorier de l'Ump et de la campagne du candidat Nicolas Sarkozy en janvier 2007. On savait déjà que quelques jours auparavant, la milliardaire avait tenté de retirer 500 000 euros en liquide auprès de Dexia. Patrice de Maistre répondait le lendemain, dans un longue interview au JDD.
Un problème ? Ce n'est pas la seule affaire d'argent qui menace la Sarkofrance.
De Woerth à Sarkozy
«Il faut que tout cela s'arrête !» s'est exclamé Patrice de Maistre. Faut-il continuer à tirer sur l'ambulance ? Au vu du développement de cette affaire, comme d'autres, la réponse devrait être catégorique : oui, évidemment. Samedi dernier, Marianne révélait donc qu'Eric Woerth et Patrice de Maistre prenaient un «café» ensemble le 19 janvier 2007. Les témoignages concordent et livrent une séquence troublante:
1. Le 21 décembre 2006, Liliane Bettencourt souhaite retirer 500 000 euros en liquide. Dans son interview au JDD, de Maistre dénonce le fantasme, et explique que «la maison Bettencourt affiche un train de vie extraordinairement élevé (...). Je ne m'occupais pas de l'argent personnel des Bettencourt mais je remarque qye ce retrait important semble intervenir à quelques jours de Noël.»
2. Dans l'agenda de Claire T., l'ancienne comptable de Liliane Bettencourt, était fait mention du rendez-vous suivant, le 18 janvier 2007 à 13H30: « Patrice de Maistre, RV Mme Bettencourt », suivi d’une flèche indiquant sur la page de droite : « pour donner enveloppe qui donnera à Patrice ». De Maistre confirme.
3. La comptable a aussi noté, à la date du 19 janvier, 8h30: « Patrice et trésorier». Et comme le souligne Marianne, le même rendez-vous avec Eric Woerth est mentionné dans l'agenda de Patrice de Maistre saisi par la police.
Patrice de Maistre confirme cette séquence. Mais sa réponse est alambiquée. Jugez plutôt : «Résumons : nous avons rendez-vous le 18 à 12h30 avec "Mme T et Mme B". Le 19 janvier 2007 à 8 heures je prends un café avec "Eric W". Les banques ouvrent à ma connaissance vers 9 heures... et le 20, le cahier indique que "Mme T" remet 100 000 euros à M. Bettencourt.» Patrice de Maistre commet une erreur : primo, Claire T. a témoigné avoir remis 50 000 euros le 18, et non le 19. Inutile donc d'attendre l'ouverture des banques.
Dans sa défense, Patrice de Maistre explique que Claire T. a intérêt à l'accuser : il a rompu le contrat de prestations informatiques avec l'entreprise de son mari, en 2003; il l'a licencié, sur ordre de Mme Bettencourt; et, de surcroît, Mme Claire T. a reçu 400 000 euros de la fille de Liliane Bettencourt en juillet 2007. Comment expliquer que l'ex-comptable, malgré des dizaines d'heures d'interrogatoires devant la police et même une juge, a maintenu et répété ses affirmations ?
Eric Woerth ne trouvera qu'un motif de satisfaction dans cette interview : si Patrice de Maistre confirme bien qu'il a rencontré Florence Woerth à la demande de son mari quelques mois avant l'élection présidentielle, il précise cependant: «Eric Woerth ne m'a pas demandé d'embaucher sa femme.» Il ajoute: «j'ai engagé une femme compétente pour une mission précise qu'elle a bien remplie.» Lundi, Eric Woerth devrait être entendu par la brigade financière, tout comme Liliane Bettencourt. Il lui faudra démentir à nouveau.
De Karachi à Paris
En 1995, ni l'UMP ni son Premier Cercle de donateurs n'existaient. Le RPR (Rassemblement Pour la République) avait une trésorière occulte, Louise-Yvonne Casetta, auprès de laquelle le jeune Eric Woerth, pas encore sarkozyste, avait fait ses premières armes, et, depuis 1993, un trésorier officiel, Eric Woerth. Ce dernier s'occupait du financement de la campagne de Jacques Chirac. Dans l'autre camp, chez Balladur, on cherche des financements, puisque les caisses du parti gaulliste lui sont fermées.
Il y a un an, l'enquête sur l'attentat de Karachi, qui coûta la vie à 14 personnes dont 11 ingénieurs français de la DCN, a pris un nouveau tour. En résumé, l'avocat des familles de victimes accuse Sarkozy et Balladur d'avoir perçu des rétrocommissions dans le cadre de la vente de sous-marins nucléaires à l'automne 1994. Le Karachigate peut commencer. Le juge anti-terroriste Marc Trividic a confirmé l'existence de ces rétrocommissions illégales à l'avocat des familles, en juin dernier.
Nicolas Sarkozy a depuis été directement cité dans l'affaire baptisée le Karachigate. Au printemps dernier, le président français a été accusé par la police luxembourgeoise d'avoir supervisé la création de la société HEINE, une société offshore créée pour faire transiter les commissions d’intermédiaires lors de contrats de vente d’armes lorsqu'il était ministre du Budget et directeur de la campagne d'Edouard Balladur. L'Elysée a évidemment démenti. Début juin, le Parisien publiait des extraits de lettres d'anciens cadres de la société HEINE adressées à ... Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, quelques mois après la dissolution de leur société. Ces lettres prouvaient que Sarkozy était au courant de l'affaire, et en contact avec la société HEINE.
De Wildenstein à Sarkozy
Il est enfin une autre affaire qui finira bien par éclater. Le Monde, puis Libération lui ont consacré récemment deux longs articles. France 2 a diffusé un reportage sur l'affaire, mais sans révéler le lien qu'elle a avec Nicolas Sarkozy et Eric Woerth.
L'affaire vient de rebondir avec une nouvelle plainte. De quoi s'agit-il ? Une riche veuve, Sylvia Roth, est en conflit avec les deux fils de son époux, le collectionneur d'art Daniel Wildenstein, décédé en 2001. Elle cherche à évaluer la fortune de son mari, depuis que ces deux beaux-fils. L'un d'eux s'appelle Guy Wildenstein. La justice, saisie, a reconnu que l'essentiel de cette fortune, près de 4 milliards d'euros, a été placée dans des fonds offshore (Guernesey, îles Caïmans). Elle l'a même confirmé dans un jugement indiquant que ce type de trusts faisait partie de la «tradition familiale» (sic !)
L'administration fiscale est donc parfaitement au courant de cette évasion fiscale. Mme Roth a même écrit à trois reprises à Eric Woerth, alors ministre du budget. Sans réponse. Le 22 juin 2009, la veuve porte plainte auprès du procureur de la République contre quatre de ces trusts. La plainte est classée sans suite, le 5 juillet 2010. Pourquoi le fisc est-il resté si passif ?
Le 9 juillet dernier, une information judiciaire pour abus de confiance a été ouverte à Paris, et confiée à Guillaume Daieff, juge d'instruction au pôle financier.
Nicolas Sarkozy et Eric Woerth se trouvent impliqués dans l'affaire car Guy Wildenstein est membre du Premier Cercle des donateurs de l'UMP, mis en place par Eric Woerth. C'est aussi un ami d'Eric Woerth. Il entretient quelques chevaux à Chantilly, dont Eric Woerth est le maire.
Guy Wildenstein est également membre fondateur de l'UMP en 2004. Le site de l'UMP rappelle qu'il est conseiller à l’Assemblée des Français de l’étranger et surtout «Délégué de l’UMP Côte Est des Etats Unis». A ce titre, il a reçu à New York ou à Washington quelques ténors du parti présidentiel, comme Rachida Dati, (en décembre 2009), Jean-Pierre Raffarin (le 4 février 2010), Eric Besson (le 5 juin 2010). Nicolas Sarkozy l'appelle «mon ami Guy». On se souvient de sa visite à New York, le 11 septembre 2006. De nombreuses photos sur le site de l'UMP sont là pour témoigner de l'activité indiscutable de Guy Wildenstein au sein du Premier Cercle des donateurs de l'UMP, auprès des fortunés français exptariés. Le 26 janvier 2007, Guy Wildenstein accueillait ainsi Patrick Devdejian et Eric Woerth pour une réunion du Premier Cercle.
Guy Wildenstein a également créé en 2007, avec Henri de Castrie, le think tank Club Praxis, basé à New York avec des expatriés français, qui «cherche à apporter des idées concrètes de réforme au gouvernement français».
Bettencourt, Karachi, Wildenstein, trois affaires, trois inquiétudes.
Crédit illustration: Patrick Mignard, UMP USA, 11 septembre 2006.