Posté par Rémi Begouen le 26 juillet 2010
‘Je hais les voyages et les explorateurs’ disait (si ma mémoire est bonne) la première phrase du très célèbre Tristes Tropiques qui commença tôt de rendre célèbre l’hétérodoxe ethnologue Claude Lévi-Strauss. Pire encore (car lui a réellement voyagé et exploré), il est de célèbres 'écrivains du voyage' qui sont rarement sortis de leur cabinet de travail ou des bibliothèques savantes, comme Jules Verne, qui nous entraîne à Cinq semaines en ballon, 20.000 lieues sous les mers et bien d’autres voyages extraordinaires soit au centre de la Terre ou au fin fond de la Sibérie (avec Michel Strogoff) ou encore autour du monde en 80 jours (avec Philéas Fogg).
Aujourd’hui, les films ‘exotiques’ ont pris la relève des ethnologues et des romanciers. Plus, bien sûr ‘la démocratisation’ (hum !) du voyage, sous sa forme du tourisme, notamment en groupe. Ha, les cocotiers ! Ha,les ruines antiques ! Ha, la gentillesse des guides locaux, qui vous poussent dans le car : ‘On ne s’éparpille pas !’… Ha, le forfait avantageux (sauf incident d’avion ou d’aéroport, voire pire) !
J’ai la bougeotte, comme la plupart des gens. Parfois pour de simples besoins de trouver du boulot, d’émigrer : ce fut mon cas des années en Suisse, dont j’étais d’abord frontalier, avant de réussir à vivre complètement (sans papier) à Genève. C’est dire que je comprends les voyageurs dits ‘du Sud’ qui tentent de venir ‘au Nord’. Il m’est arrivé de me faire refouler au poste frontière d’Annemasse par un douanier Suisse qui m’a demandé de lui montrer que j’avais bien les 10 Francs Suisses réglementaires pour passer. J’en avais 9,50… ‘Les pauvres, y a déjà de trop chez nous !’ m’a-t-il dit en m’indiquant la direction de la France… !
Grosse consolation, j’ai fait passer un africain sans papier, planqué dans ma voiture, à un poste frontière d’un village. C’était un étudiant qui avait rendez-vous le lendemain dans une prestigieuse université et qui attendait d’être ‘régularisé’ suite à cet entretien, ce qui advint : une traversée du labyrinthe de Kafka, en somme…
Plus couramment, j’ai beaucoup voyagé dans ma vie d’adulte (dans ma vie d’enfant encore plus, entre l'est et l'ouest de la Méditerranée, en bateau…, mais ceci est un autre sujet beaucoup trop vaste). Jamais en ‘charter’ et rarement en avion. Beaucoup en auto-stop, en trains (payés ou non), en bateaux. Par exemple à Dublin et Belfast, Berlin, Alger, Naples, Malte, Tunis, pour de rapides voyages de fauché (avec parfois un p’tit boulot et toujours une grande hospitalité). Au Maroc aussi, mais j’étais là invité par une amie hospitalière, merci.
Beaucoup plus tôt j’ai fait trois voyages fondamentaux pour ma formation intellectuelle. Un stage en Algérie en 1959 (dans le chaudron de la guerre) puis au Burkina Faso en 1964 (dans la fièvre de l’indépendance de la Haute-Volta, qui n’avait pas encore changé de nom). Enfin en Chine, en 1967, au nom de ‘la jeunesse révolutionnaire de France’ (sic), aux frais de Mao… !
Mais j’ai beaucoup, beaucoup plus voyagé dans mes rêves ou mes études livresques. En Haïti, par exemple. Et dans les Caraïbes en général, ainsi que dans bien d’autres îles, célèbres comme Tahiti, ou ‘damnées’ comme Diego Suarez… Outre les ethnologues ou romanciers comme Lévi-Strauss ou Verne, mes guides de voyage ont été des géographes comme Elisée Reclus, à tort relégué aux oubliettes parce que réputé ‘anarchiste’, réhabilité récemment par Hélène Sarrasin dans ‘Elisée Reclus ou la passion du monde’ (introduction de Kenneth White) Éd. du Sextant, 2004.Et puis il y a les journaux, bien sûr. Les coups de projecteurs de l’actualité, si souvent dramatique (Haïti, Palestine, etc.), qui me refont ouvrir atlas et livres, me refont écouter des musiques… : je n’ai jamais plus remis mes vieux jazz de la Nouvelle-Orléans autant que depuis le massacre pétrolier de BP en cours…
Pour terminer, cette anecdote d’enfance, déjà adolescent : ‘J’ai découvert l’Île Aline’, oui, m’sieurs-dames… Je l’ai appelée ainsi en l’honneur de ma copine Aline, 16 ans, mon aînée d’un an. On faisait de la voile, sur un petit dériveur, dans le lac Timsah que traverse le canal de Suez. Une erreur de manœuvre nous a fait échouer sur un banc de sable…c’est pas grave. Mais, pour nous reposer, loin de tout regard civilisé, nous voilà à ‘explorer’ la partie émergée de ce banc de sable (‘l’île Aline’) et à nous explorer mutuellement : voyage, voyage, quelle ivresse !!!Bon, j’y retourne, à bientôt 72 ans, continuer le voyage… de vivre. A rêver au cosmos ?