Les personnes de gauche et, plus généralement, les interventionnistes de tout bord, sont les premiers à revendiquer les valeurs de tolérance et de générosité. En particulier pour cette dernière valeur, le fait de vouloir utiliser l'Etat à des fins « sociales » est présenté comme gage de générosité. Les politiques « sociales » sont bonnes par nature, les autres « égoïstes ». Pourtant, comme le montrent les études récentes, ce sont les gens de gauche qui sont les moins tolérants et les moins généreux.
L'intolérance, une valeur de gauche ?
« L'intolérance est une maladie contagieuse car elle contamine toujours ceux qui la combatte » disait Raymond Aron. La phrase pourrait s'appliquer à la gauche française qui a fait de la lutte contre l'intolérance un de ses chevaux de bataille et pourtant, à en croire la sociologue (de gauche) Anne Muxel, se révèle largement moins tolérante que la droite.
Anne Muxel a mené une étude sociologique pour voir comment les les gens de droite et de gauche réagissaient face à des personnes proches ne partageant pas leurs idées. Le constat a été sans appel : les personnes se disant de droite se montrent beaucoup plus tolérantes que celles se déclarant de gauche. Ce qui explique cette plus grande tolérance de la droite, c'est sa culture de la liberté (et donc l'influence libérale) à en croire Anne Muxel dans son ouvrage Toi, moi et la politique, amour et conviction.
La sociologue résumait ainsi les conclusions de ses travaux sur France Inter : « Ça a été une surprise pour moi dans la mesure où les valeurs de tolérance, de respect de la différence, du respect de l'autre font partie d'une culture en tout cas revendiquée par la gauche. [Pourtant] il y a une plus grande difficulté pour les personnes qui se classent à gauche d'accepter la divergence politique dans la sphère privée… [..] La culture de la droite suppose la liberté, la liberté de l'autre de penser, de vivre et d'être comme il veut. Cela suppose une plus grande ouverture ».
Ces résultats d'une étude sociologique se retrouvent sans surprise confirmés par l'étude de la générosité respective des personnes de droite et de gauche.
La générosité, une valeur libérale, et non étatiste ou "de gauche"
Arthur Brooks est docteur en économie, spécialiste des sciences sociales et d'économie comportementale. Dans Who really cares (Basic Books, 2006), il étudie les comportements respectifs des conservateurs et des liberals (gauchistes) américains en matière de générosité [1].
Ces deux positions ont une traduction concrète dans le comportement des individus qui s'en revendiquent [2] : ceux qui « pensent que le gouvernement devrait mener une politique de redistribution plus forte » donnent... nettement moins à des associations ou aux moins fortunés que ceux qui veulent réduire le rôle de l'État. Cela alors que les premiers ont un revenu supérieur de 6% aux seconds.
Là encore, c'est la culture individualiste qui explique en grande partie cette différence de générosité en fonction des opinions politiques. Ceux qui font confiance à l'individu et non à l'État pour aider autrui donnent plus. Ceux qui en appellent à l'action de l'Etat donnent nettement moins et se reposent sur les autres pour aider les moins fortunés. Ils n'ont aucun droit à revendiquer la notion de générosité dont ils parlent mais qu'ils ne mettent pas en pratique.
On retrouve exactement le même schéma pour le don du sang : les gens de droite donnent nettement plus souvent leur sang que les gens de gauche. Si les gens de gauche et du centre donnaient autant que ceux de droite, il y aurait 45% de don du sang en plus aux États-Unis selon Brooks ! ("If liberals and moderates gave blood at the same rate as conservatives, the blood supply of the United States would jump about 45 percent.")
Une autre comparaison intéressante qui vient à l'appui des conclusions d'Arthur Brooks est celle entre les États-Unis et le Canada. Comme l'écrit Martin Massse (depuis le Canada) :
« On pourrait croire qu'une société comme le Québec, où les mots solidarité, équité et compassion sont sur toutes les bouches, une société qui « résiste au vent froid de droite qui souffle sur le reste du continent » comme se plaisent à nous répéter nos politiciens défenseurs du « modèle québécois », est un endroit où les individus font preuve d'une plus grande générosité qu'ailleurs. Comparés à ces Anglos matérialistes et individualistes du reste du continent, ne sommes-nous pas une grande famille généreuse et tricotée serrée ?
Eh bien non. Comme des sondages et études le montrent année après année, les Canadiens sont moins généreux que les Américains, et les Québécois sont les moins généreux des Canadiens. Ils sont donc les Nord-Américains qui contribuent le moins aux œuvres de charité. Une étude du Fraser Forum de décembre 2000 (Canadian & American Monetary Generosity) qui compare tous les États américains et provinces canadiennes en termes de générosité (nombre de donateurs et montants données) place les provinces au bas de la liste. C'est l'Alberta, paradis du conservatisme et de la fiscalité minimale au pays, qui fait meilleure figure. Le Québec est bon dernier.
Cette réalité n'est pas si surprenante et l'explication en est fort simple. Le contribuable québécois doit supporter l'État le plus lourd sur le continent et est forcé de contribuer au financement d'un tas de programmes sociaux pour les plus démunis, dont un Fonds spécial de lutte contre la pauvreté. Logiquement, il se dit qu'il fait déjà sa part. Pourquoi donner une seconde fois à des œuvres privées, alors qu'on est déjà obligé de donner pour des programmes publics ?
Les Québécois ne sont pas plus égoïstes que les autres Nord-Américains, ils agissent de façon rationnelle dans le contexte socialiste qui est le leur. Les Albertains aussi, eux qui sont les moins taxés au pays. Ils se sentent logiquement plus responsables et contribuent donc plus à des œuvres privées.
Le résultat est cependant loin d'être le même sur le plan de la moralité. Les donateurs privés peuvent prétendre être véritablement généreux : c'est leur argent à eux qu'ils donnent, de façon libre et volontaire. Au contraire, la charité publique n'est qu'une vaste tromperie socialiste. Ceux qui y contribuent sont forcés de le faire. Et ceux qui s'en attribuent le mérite, nos gouvernants, ne sont en réalité que des bandits de grand chemin et des hypocrites. »
Conclusion
La liste des travaux appuyant ces conclusions serait sans fin, mais la logique reste toujours la même. A force de demander à l'Etat de tout faire, on finit par ne plus rien faire pour l'autre par soi-même. Aller vers toujours plus de socialisme et d'étatisme, c'est aller vers une société fermée. Le socialisme et l'étatisme, qu'ils soient de droite ou de gauche, ne mènent qu'à une société de personnes intolérantes et repliées sur elles-mêmes.
Aller vers une société ouverte implique de responsabiliser l'individu, de cesser de tout confier à l'État pour rendre le pouvoir à celui qui en est la source : l'individu. Comme certains le disent bien, « je n'ai pas trahi mon idéal socialiste en devenant libéral ». Tout individu de bonne foi qui veut réellement l'épanouissement de l'individu dans une société ouverte et tolérante ne peut vouloir qu'une société de liberté.
Lire aussi :
Charité capitaliste vs charité étatiste
Les idées charitables de Bill Gates, Robert Barro
Je n'ai pas trahi mon idéal socialiste en devenant libéral
Karl Popper La Société ouverte et ses ennemis.
Who really cares, Thomas Sowell
[1] Il faut noter que tous les conservateurs américains se retrouvent dans la défense du capitalisme libéral, ce qui n'est pas le cas de la droite française
[2] Plus précisément, les convictions politiques sont un des trois facteurs qui influent sur la générosité des individus, avec la religion et la structure familiale