Le récit que nous fait la romancière africaine court de l'indépendance du Nigéria, en 1960, aux mois qui suivent la fin du conflit, en 1970. Tout commence de façon assez banale, par l'arrivée d'un jeune paysan, Ugwu, à qui sa tante a procuré une place de domestique chez Odenigbo, un brillant universitaire, grand amateur de livres et de discussions. Socialiste, et même un peu plus, anti-colonialiste enragé, Odenigbo attend beaucoup de cette indépendance nationale toute neuve. Igbo par la naissance, il ne doute pas de pouvoir, un jour ou l'autre, tenir dans la réussite de son pays le rôle qui lui est dû.
Dans sa maison de Nsukka, la ville où il enseigne, Odenigbo reçoit une micro-société qu'Ugwu, âgé de treize ans au début du roman, prend peu à peu l'habitude d'observer en ses moments de loisirs. Il y a Olanna, bien sûr, celle dont Odenigbo est amoureux et qui deviendra la "madame" d'Ugwu ; Okéoma, le poète, secrètement amoureux de la jeune femme ; Melle Adebayo qui, elle, est secrètement amoureuse d'Odenigbo ; le docteur Patel, d'origine indienne ; l'arrogant docteur Ezéka ... et bientôt, Richard Churchill, seul Blanc du roman, qui épousera Kainene, la jumelle d'Olanna et se déclarera lui-même "Biafrais."
Autour d'eux, tout un grouillement de personnages : la mère d'Ugwu, à qui l'odeur du dentifrice utilisé par Odenigbo donne la nausée, Anulika, sa soeur, qui sera violée par cinq envahisseurs haoussas, Nnesinachi, la jeune fille dont rêve Ugwu et qui se mettra en ménage avec un Haoussa, mais aussi le père et la mère d'Olanna et de Kainene, deux exemples-types de Noirs vivant à l'occidentale et qui, dès les premières défaites de l'armée biafraise, s'enfuient à Londres, et enfin toutes ces figures, terrorisées, indifférentes, désespérées, frappées par la folie ou cherchant à survivre au prix de la vie du voisin, qu'Olanna croisera dans son repli vers le village natal d'Odenigbo.
Difficile de les oublier. Difficile d'oublier la façon dont Ngozi Adichie nous remet en mémoire la terrible famine qui s'abattit sur le Biafra et qui, avec les combats et les pogroms, fit entre un à deux millions de morts. Difficile de ne pas "voir" ces enfants qui, avec leurs os saillants, leurs ventres bombés comme des melons, et leurs grands yeux creux, nous évoquent les camps de concentration créés par les Britanniques lors de la guerre des Boers et remis au goût du jour par les Nazis avec le succès que l'on sait. Difficile ...
Difficile aussi de ne pas établir le lien entre la disparition de Kainene, Kainene la Cynique, Kainene la Forte, la "moitié" d'Olanna, et cette moitié du soleil qui s'est éteinte le jour où le Biafra est mort. Tout un symbole car combien, comme elle, ne sont jamais revenus ? ...
"L'Autre Moitié du Soleil", un roman qui coule comme le Fleuve de la Nostalgie et du Regret - la nostalgie, le regret de ce qui aurait pu, de ce qui aurait dû être, et qui ne fut jamais. Un roman à la mémoire de Ceux Qui Ne Sont Plus. Un roman pour nous rappeler le Biafra et ce qu'il représenta pour tout un peuple. A lire, c'est sûr. ;o)