Extravague, Xavier Person - Éditions Le Bleu du Ciel
Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 24, mai/juin 2004
C'est le graal des écrivains, et,
parmi eux sans doute, plus encore des poètes : la source et la destination du
langage. Xavier Person nous le disait déjà (Le Magazine des Livres n° 8,
janvier/février 2008) : parler, nous disait-il alors, peu ou prou, c’est
« toujours trébucher sur la langue. » Il ne s’agit pas d’un aléa ou d’un incident dans le parcours, mais
d’une donnée constitutive à la fois du langage et de ses propres travaux. Il y
d’ailleurs revient ici : « Il est si difficile de ne pas
glisser quand je commence à parler. »
A cette aune, que dire alors d’une langue lorsqu’elle est rêvée ? Si ce
n’est, peut-être, que c’est dans le rêve que prend naissance le langage. Car où
mieux que dans le rêve aller puiser et ressourcer ce qui nous fait penser,
parler, écrire, où mieux qu’à cette instance trouver de quoi faire entendre les
contingences dont notre logorrhée est faite ? Aussi Xavier Person
s’acharne-t-il à « remonter jusqu’au point de départ / de la
sensation d’un amour », tout au long
d’un recueil dont ce qui nous frappe est d’abord le halo fébrile, fragile,
friable et pourtant élastique, d’une certaine manière, qui l’entoure. Comme
dans les formes molles ou liquéfiées de Dali, il y a quelque chose dans la
langue de Person qui penche vers l’affaissement, la parole devenant elle-même
une métaphore, pourquoi pas une expression même de l’éboulis.
En lisant Extravague, et l’impression dominait déjà lorsque parut Propositions
d’activités, nous entrons dans une machine
à étirer les sensations. Je veux bien parler bien sûr de la plasticité du
temps, mais qui ne signifie rien en soi ou en tout cas n’existe qu’en regard
d’une phrase dont on sent qu’elle aimerait parfois se passer de toute
énonciation pour trouver à dire, comme si l’extériorisation ne trouvait
finalement sa résolution que dans le point final – donc dans le silence, qui
n’est pas absence mais condensation de la parole totale. Car il y a quelque
chose ici d’une poésie du silence, non en ce que celui-ci serait investi de
telle ou telle vertu, mais qu’il témoignerait de ce qui, au fond, serait le
plus recherché, comme une forme de démission désirée devant l’intarissable et
très insatisfaisante complexité qui consiste à énoncer, dire, montrer. Ainsi le
poète, qui commence en songeant que « je ne t’écris que le temps
de ne pas savoir quoi t’écrire », se
résout à constater que « je crois que je commence à aimer ne
rien t’avoir écrit jamais. »
C’est dans cette auréole de signes et
d’intangibilités que Xavier Person poursuit une œuvre assez inclassable, qui
s’attache à faire entendre ce silence qui est le nœud du bruit, et dont on
dirait qu’elle poursuit sans fin la matrice originelle de toute expression.
D’où enfin le caractère charnel, très sensuel de cette poésie, où l’on flotte
entre fluides et chairs, « comme de la sueur très abondante inonde la
peau de cette phrase dont je découvre le dos. »