Jean-Philippe Padié, la passion partageuse

Par Eric Bernardin

J'avais découvert ses blancs lors d'une dégustation Roussillon en Vendée. Et l'un de ses rouges chez l'ami Franck Pascal. A chaque fois, de véritables chocs gustatifs. Si vous y rajoutez des étiquettes qui sortent de l'ordinaire et des noms de cuvée étranges (Ciel liquide, Milouise, Fleur de caillou, Petit taureau), l'envie de rencontrer son géniteur devient quasi-irrépressible. Donc forcément, lorsqu'il est planifié de passer à Calce, vous le contactez pour faire une visite du domaine. Et vous apprenez qu'il vous connait, VOUS, parce qu'il lit régulièrement A boire et à manger (un blog que je vous conseille).

L'air de rien, cette connaissance par vins et blog interposés, ça permet tout de suite de faire sauter un certain nombre de barrières. Et dès le premier serrement de pognes, nous nous tutoyons comme si nous nous connaissions depuis longtemps.

Bon, ça, c'est une fois la bonne porte dénichée. Car j'avais bien retenu que c'était rue des Pyrénées, mais pour le n°, je m'étais dit que serait forcément indiqué. Et là ... nada. Par chance, étant arrivé en avance et quasi mourant de soif, j'avais fait une halte au Presbytère, le seul café de Calce. L'aimable personne qui m'a servi mon Perrier m'a indiqué la bonne porte ;o)

Première prise de contact, donc, et de suite nous descendons au chai, à la fraîcheur bienvenue. Rien de bien impressionnant. Ce n'est pas fait pour : quelques cuves bétons, quelques cuves inox, des barriques et des demi-muids. Il faut dire que la production n'est pas énorme : 10 hectares avec des rendements qui sembleraient ridicules dans la plupart des régions, ça ne prend pas beaucoup de place.

Nous attaquons directement la dégustation, ce qui permet d'évoquer la philosophie et le travail du domaine, autant dans les vignes qu'au chai. Le service se fait " à la bourguignonne", à savoir les vins rouges en premier. Nous faisons des "mini-verticales" par cuvée.

Nous commençons par Petit Taureau (à cause de Nougaro). L'idée est faire un vin sur le fruit, accessible dès sa jeunesse, provenant de vignes jeunes ou "mal" exposées  : majoritairement carignan et syrah, sur sols schisteux.

Petit taureau 2007 : nez dominé par la framboise fraîche, légèrement poivrée. Un peu de réduction aussi, mais elle disparaît vite. La bouche est ronde, friande, élancée, soulignée par une note végétale très plaisante. La finale a une mâche gourmande qui incite à boire rapidement une autre gorgée. 

Petit taureau 2008 : nez plus intense, toujours aussi framboisé. La bouche se fait plus charnelle, plus moelleuse, avec un fruit d'une intensité rare, tout en restant bien fraîche. La finale évoque positivement la rafle, rappelant les vins bourguignons à l'ancienne. Attention TUERIE !

Petit taureau 2009 : en plein élevage cuve, le vin est fortement réduit, mais laisse entrevoir un joli fruit. La bouche est plus ample, plus généreuse, avec une maturité plus poussée, et hélas, plus de chaleur. J'accroche moins. Mais il faudra attendre la fin de l'élevage pour le juger.

Ciel liquide, c'est une formule de Baudelaire reprise par Gainsbourg dans son premier (et génial) album ("Comme un flot grossi par la foudre des glaciers grondants, quand l'eau de ta bouche remonte au bord de tes dents, je crois boire un vin de Bohème, amer et vainqueur, un ciel liquide qui parsème d'étoiles mon coeur."). L'idée ici est de transcrire dans le vin l'âme complexe et profonde du terroir de Calce à travers ses vieilles vignes de grenache et de carignan (complété par du mourvèdre et de la syrah).

Ciel liquide 2006 : nez sur des notes de fruits noirs confits et de fumée. Bouche ample, soyeuse, évoquant la lave qui se solidifie : d'abord fluide, elle prend de la consistance, avec un joli grain, puis gagne encore en densité pour devenir profondément minérale, avec une solide mâche. Une expérience aussi physique que mystique. 

Ciel liquide 2007 : nez gourmand sur les fruits noirs mûrs, la garrigue. Bouche douce, charnue, fraîche et élégante, se densifiant dans une finale puissante.

Ciel liquide 2008 : nez expressif et classieux, avec le fruité du 2007 et la fumée du 2006. Bouche dense et fraîche, très gourmande, avec un fruit superbe ... et toujours cette fumée, signature du schiste. Finale tannique, mais bien mûre. Un très beau vin ! (2008 est vraiment une GRANDE réussite au domaine).

Ciel liquide 2009 : si le nez est le plus expansif de tous, c'est aussi le plus fin et le plus complexe, avec des notes florales, balsamiques (ciste), de pierre chauffée au soleil.  On est immergé dans le vignoble de Calce ! La bouche est d'une grande densité, avec un côté puissant, impérieux. Le potentiel est hénaurme.

Fleur de caillou évoque tout autant les fleurs qui poussent avec témérité au milieu de l'aride caillasse, qu'aux sensations provoquées par ce vin, d'abord fruité et floral, puis profondément minéral (on croque dans le caillou). Il est composé de grenache blanc, grenache gris et maccabeu.

Fleur de caillou 2009 : nez sur la pêche, le miel, la fumée, la pâte d'amande... Puis après aération, le fenouil (qui pousse comme du chiendent dans les vignes !). Bouche fraîche, limpide, avec une énergie communicative. Une deuxième gorgée laisse percevoir une texture granuleuse qui passe inaperçue au premier abord. La finale est vraiment pierreuse, et j'adore ça ! Un vin remarquablement construit qui irait à merveille avec mon risotto de fenouil. 

Milouise, c'est une évocation de ses arrière-grands Parents. Milou, "sec comme un haricot", et Louise, toute en rondeur. Le vin est à leur image : des grenaches blancs, vifs et tendus, et des grenaches gris, gras et généreux. 

Milouise 2009 : nez mêlant la pierre chaude et le raisin frais. Bouche ample, évoquant là aussi le grain de raisin, dans son côté juteux, pulpeux, gourmand. J'ai rarement senti cela dans un vin, et c'est assez (positivement) troublant. Il faut lui laisser encore du temps pour percevoir sa véritable personnalité. En tout cas, la finale mâchue est très prometteuse !

Jean-Philippe me demande si j'ai du temps pour faire un tour dans les vignes. OUI, autant qu'il veut. Et nous partons donc pour une expédition dans le vaste vignoble de Calce.

Nous sommes ici sur la partie calcaire qui est dominante dans le secteur (identique aux voisines Corbières). Parfois le calcaire est vraiment très affleurant, comme ci-dessous.

C'est un calcaire très différent de celui de la Loire. Alors que ce dernier est tendre, celui-ci est dur et dense, se rapprochant du marbre, y compris par des veines rosées.

Si la lavande aspic pousse naturellement dans le coin,

la lavande "normale" a été implantée par l'homme.

Ca sent boooon !

Là, nous avons une vue sur une partie du vignoble des Gauby, mais aussi sur la parcelle de la Petite Sibérie de Hervé Bizeul (le triangle pointe en bas sur la droite). Allez, je vous l'agrandis ;o)

La voilà, au premier plan

Un bel exemple de sol marno-calcaire 

Et là, un sol TRES calcaire !

Un vieux pied en gobelet

Pas besoin de se baisser pour tailler...

Et voila des sols de schiste, rappelant l'ardoise

En gros plan !

Et là nous sommes sur les terres de Gauby 

(au fond une parcelle de vieilles grenaches)

Là, c'est du mourvèdre, appelé aussi Etrangle-Chien, car l'extrémité des rameaux ont tendance à s'auto-étrangler, limitant ainsi leur croissance. La vigne, un peu perdu, peut même alors créer de nouvelles grappes :

Bon, c'est pas tout, mais Jean-Philippe a aussi une famille. A un moment donné, il a donc fallu rentrer au village. Une très belle balade, en tout cas, très instructive, qui m'a mieux fait comprendre le terroir de Calce.

Merci à Jean-Philippe pour son accueil remarquable !

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