Mais qu'a-t-on appris ?
1. Le gouvernement n'a pas inclus dans le projet présenté les quelques mesures de recettes nouvelles marginales, sous prétexte qu'il faudra en débattre à l'occasion de la prochaine loi de finances pour 2011. L'argument est hypocrite: le gouvernement pouvait parfaitement prévoir un collectif budgétaire additionnel. Mais en reportant ainsi le débat et le vote parlementaires, il pourra plus facilement masquer le faible niveau des contributions nouvelles qu'il demande aux hauts revenus et au capital pour le financement des retraites. La loi de finances, avec la discussion d'ensemble sur la rigueur qui s'annonce, est un cadre plus large qui sied bien à qui veut «noyer le poisson.»
Rappelons que ces contributions étaient de toutes façons modestes, comparés aux 25 milliards d'euros d'économies générés par les mesures d'âge ou de convergence public/privé : hausse de la tranche supérieure de l'impôt sur les revenus de 40 à 41% (+230 millions de recettes attendues) ; relèvement modeste des prélèvements concernant les revenus du capital et du patrimoine, de l'impôt sur les plus-values de cessions de valeurs mobilières et immobilières, du prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes et intérêts (+265 millions d'euros) ; suppression du crédit d'impôt sur les dividendes perçu par les actionnaires (+645 millions d'euros) ; taxation à l'IR des plus-values de cession d'actions et d'obligations(+200 millions d'euros) ; relèvement des taxes sur les stock-options (70 millions d'euros).
On savait déjà que le projet du gouvernement laissait un déficit annuel de 15 milliards d'euros ad vitam eternam. Avec cet examen incomplet du projet de réforme, le flou est encore plus grand.
2. Le gouvernement n'a pas non plus voulu discuter de la pénibilité au motif que des concertations sont toujours en cours avec les partenaires sociaux. Rappelons que la proposition retenue par le gouvernement est l'une des plus contestables: le handicap à 20% doit être avéré et certifié pour permettre un départ anticipé dès 60 ans.
«Nous créons un droit nouveau.» s'était félicité Nicolas Sarkozy sur France 2 le 12 juillet dernier. C'était faux, la pénibilité était l'un des fondements des régimes spéciaux. Eric Woerth ne disait d'ailleurs pas autre chose quand on l'interrogeait sur son refus de généraliser la prise en compte de la pénibilité à des métiers jugés usant: «on ne va pas recréer des régimes spéciaux». Et oui... Depuis près d'une décennie, les gouvernements successifs ont tenté d'aligner tous les systèmes sur le régime commun du secteur privé, moins protecteur.
Il y a deux ans, les discussions entre Medef et syndicats de salariés échouaient à nouveau sur la dite pénibilité. Qu'a fait le ministre du Travail de l'époque, Xavier Bertrand ? Rien. Tout simplement rien. Il s'est presque frotté les mains.
Dix mois plus tard, quand Eric Woerth lança sa «concertation» sur la réforme des retraites, les ténors de l'UMP (Woerth lui-même, Raffarin, Bertrand, etc), répétaient à l'envie qu'ils ne prendraient la pénibilité en compte que de manière individuelle. Dès la présentation du projet, le 16 juin dernier, Woerth et Sarkozy ont précisé qu'ils étaient prêts à améliorer les dispositions relatives à la pénibilité. La mesure proposée - réserver le départ à 60 ans aux handicapés du travail - a servi a catalyser autant que possible les mécontentements.
Voici que démarre maintenant une nouvelle séquence : le Monarque, compatissant et compréhensif, se garde pour lui le soin de lâcher quelques assouplissements. Il l'a commencé ce vendredi à Saint Nazaire.
3. Sarkozy veut «reconquérir son électorat populaire.» On nous le répète à toutes les sauces. Son déplacement vendredi 23 juillet à Saint Nazaire, photo à l'appui entouré d'ouvriers portant tous le casque, était là pour nous en convaincre. Dans cette perspective, la prise en compte de la pénibilité est l'un des axes majeurs du chef de Sarkofrance. Il a échoué sur le chômage et le pouvoir d'achat - les deux composantes de son «travailler plus pour gagner plus», il ne lui reste plus qu'à jouer social, protecteur et compatissant. Et il n'y avait qu'à l'entendre, vendredi, pour réaliser l'ampleur de ses efforts. En 2007, le candidat Sarkozy nous promettait déjà la réhabilitation du travail : «Réhabiliter le travail, c’est aussi ne plus accepter la pénibilité de certains emplois, le stress de certaines situations professionnelles.»
Sur place, il a donc annoncé qu'il reverrait les syndicats pour discuter de la pénibilité : «Sur la pénibilité et sur ceux qui ont été exposés à l'amiante je reverrai vos organisations syndicales. On en discutera. (...) On a fait avancer les dossiers sur deux sujets. D'abord, tous ceux d'entre vous qui ont commencé à travailler avant leurs 18 ans, on les laissera partir à la retraite comme c'était prévu. Et deuxièmement, tous ceux qui ont eu, du fait de leur métier, une invalidité à 20% partiront à la retraite sans changement.»
Mieux, Sarkozy veut montrer qu'il sait être généreux envers cette «France qui se lève tôt» :
«Pour tous ceux qui sont touchés par l'amiante, il n'y aura aucun changement. On va avoir des discussions pour ceux qui ont été exposés à l'amiante mais n'ont pas été touchés (...) J'ai demandé une expertise sur le sujet, je veux pouvoir y réfléchir. J'essaierai d'être juste sans remettre en cause l'équilibre général de la réforme.»La tartufferie est complète : on tente de faire croire que tous les Français doivent être logés à la même enseigne, on oublie qu'un ouvrier vit en moyenne 7 ans de moins qu'un cadre, on éradique ensuite les quelques avantages des plus modestes, puis, ô surprise, alors qu'une nouvelle campagne électorale s'annonce, on fait mine de s'intéresser aux carrières pénibles...
Sarkozy est comme un cambrioleur qui viendrait restituer quelques bijoux volés.
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