En tant qu'enfant du Baby Boom, je suis d'une génération qui n'a pas connu la guerre mais pour qui elle est tout de même très proche et très réelle. Enfant, une grande partie de mon temps a été passé à explorer des trous de bombes, des vieux abris de bombardements, et l'attirail de la guerre.
Churchill était toujours vivant quand je suis né, il a même eu un mandat de premier ministre pendant les années ou j'étais encore en train de grandir, j'étais une des centaines de milliers de personnes qui ont défilé à côté de son cercueil quand il est mort et qui ont regardé ses funérailles. On avait vraiment le sentiment d'un moment de historique en train de passer.
Avec tout ça, la guerre fait partie de la fabrique mon être. Je n'y peux rien, c'est ça qui a formé ma génération. Ça nous a donné une grande partie de notre vision du monde, ça a défini qui nous étions et ce que nous ressentions au sujet de nous-mêmes. C'est pour ça d'ailleurs, que la récente idiotie de David Cameron (il a expliqué que l'Angleterre était déjà le partenaire junior dans l'alliance avec les Etats-Unis en 1940. NdT) est si choquante.
Incluse dans cette époque de la guerre, il y a bien sûr le temps si spécial de la Bataille d'Angleterre. Ça ne signifie certainement pas grand-chose pour la génération actuelle –surtout que l'enseignement de l'histoire est si mauvais- mais ça a une influence très très forte sur notre génération.
Il s'agissait de nos parents et de la nation Britannique, qui se sont élevés contre les forces du mal. Nous, le Commonwealth et l'Empire, avons tenu ferme et le bien a prévalu. La Bataille d'Angleterre a une certaine aura d'innocence et de pureté autour d'elle. Ça vous faisais vous sentir bien dans votre peau d'être Britannique, c'était un succès Britannique et c'était votre patrimoine.
Peut-être, alors, aurais-je dû m'arrêter au mythe et ne pas regarder de trop près aux détails. Bien sûr, j'ai lu beaucoup de livres sur ce sujet et vu le Film « Le Vainqueur Du Ciel », regardé les vieilles bobines d'actualités et vu des documentaires jusqu'à plus soif. Mais à y regarder de plus près, le mythe ne résiste pas à l'examen.
En soi, ça n'est pas une grande surprise, c'est rarement le cas des mythes. Mais ce que le mythe colportait, c'est une nation en guerre, protégée par la Royal Air Force qui était concentrée et, là où il le fallait, efficace tout en restant humaine.
Plus on regarde de près, cependant, et moins la RAF commence à paraitre efficace et –surtout- humaine. La décision de 1940, par exemple, d'abattre les avions de secours en mer Allemands peints en blanc et portant des croix rouges, nous est plus ou moins familière. C'est réitéré par Robert Fisk et, dans le cas présent, on est bien obligé d'être d'accord avec lui. Les Britanniques ont eu tort de les abattre.
Bien que le type d'appareils utilisés dans ces missions de secours –le Heinkel 59- était en opérations dans la Luftwaffe, armé et camouflé, ceux portant des croix rouges étaient réellement des « ambulances de l'air ». Ils étaient adaptés et équipés pour des missions humanitaires et, crucialement, opérés par une organisation civile de recherche et de secours, le Seenotdienst (service d'urgence en mer).
Les Allemands, dans ce cas ci, ont joué le jeu de manière absolument droite, portant secours de façon égale aux amis et aux ennemis. A travers la guerre, cette unité a sauvé 11.561 personnes en mer -7.746 Allemands et 3.815 ennemis- perdant 278 membres de leurs propres équipages et 114 disparus.
Mais, si vous pouvez tolérer que, dans l'intérêt de notre propre survie, nous avons enfreint la loi internationale, ce qui est totalement déroutant est que, alors que nous étions en train d'abattre des appareils Allemands de secours en mer qui sauvaient nos propres équipages, nous n'avions aucune capacité équivalente (en fait, aucune du tout) nous même.
Ainsi, alors que la RAF avait un mal fou à trouver assez de pilotes pour prendre les commandes de ses avions, un rapport fascinant indique que « l'absence d'une capacité effective de secours en mer aggravait la situation puisque quand un avion était abattu au dessus de la Manche ou de la Mer du Nord, ça signifiait habituellement la perte de l'équipage ».
Ici, ce n'est pas juste l'absence de souci sur les questions humanitaires qui choquent. C'est la stupidité totale de ne pas arriver à accorder de la valeur à un actif rare et, à l'époque, irremplaçable, sur lequel –comme le veut la légende- reposait le sort de la nation. Si nous étions si à court de pilotes, c'était d'une stupidité criminelle de les laisser se noyer quand ils étaient abattus en mer, par manque d'un service de secours.
Mais, même si tout cela remonte à 70 ans en arrière, le sentiment –et la stupidité- n'ont pas changé. Toujours, de nos jours, comme on l'a vu avec les Land Rover « Snatch » (insuffisamment protégées, ce qui cause la mort de nombreux soldats britanniques en Afghanistan, NdT), et de nombreux autres problèmes d'équipement en plus, l'Etat continue d'être insouciant quant à mettre des vies en danger. Et n'arrive toujours pas à prendre les mesures les plus évidentes et les moins coûteuses pour les protéger.
Ce qui est la plus grande offense, cependant, c'est les légions d'historiens, analystes et écrivains qui ont de façon si diligente et si étendue enregistré l'histoire de la Bataille d'Angleterre. Bien peu d'entre eux mentionnent cet énorme échec et même Deighton n'y accorde qu'un paragraphe : « Les combats au dessus de la mer, » écrit-il, « étaient un souci supplémentaire pour Dowding car, contrairement à la Luftwaffe, ses pilotes n'avaient pas de canots de sauvetage gonflables, pas de teinture de mer et pas d'organisation aérienne de secours en mer ».
Patrick Bishop, lui, répète le bobard selon lequel les avions ambulances étaient armés –ils ne l'étaient pas- et qu'on les avait observés en train de mener des missions de reconnaissance. Ça n'était pas le cas.
Comme les médias, les historiens et autres portent à l'examen les évènements du passé, afin que nous puissions en tirer des leçons. En l'absence de tels examens, nous n'apprenons rien. Et la leçon que nous n'avons pas apprise, pas suffisamment en tout cas, c'est que même quand sa survie en dépend, l'Etat jettera votre vie par la fenêtre, sans autres raisons que sa propre stupidité.
Que l'impression nous ait été permise selon laquelle, il y a tant d'années, l'Etat savait ce qu'il faisait, et se faisait vraiment du souci pour ceux à qui il devait tant, c'est avoir été pris pour des idiots. Plus précisément peut-être, nous nous sommes autorisés nous-mêmes à être pris pour des idiots. Mais la leçon est toujours là, prête à être apprise. L'Etat n'est pas votre ami. Et, si vous le laissez, il vous tuera.
Un article de Richard North pour EU Referendum, à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la Bataille d'Angleterre.