Soudain, alors que je commence à m’endormir, la porte s’ouvre violemment. Deux infirmières taillées comme des décathloniennes agrippent l’espèce de lit sur lequel je baignais, inconscient, et me sortent dans le couloir. Je voudrais bien m’échapper, mais je suis tout somnolant et en plus ficelé comme un saucisson d’âne. J’essaie de repérer où je suis : les panneaux indiquent les bains de vapeur «Brouillard marin», «Purée de pois de Cancale», «Crachin des Glénans»…. On passe devant sans s’arrêter et on rentre dans une salle marquée «Bain d’huitres». Holà, ça sent vraiment le mauvais plan.
Un quart d’heure plus tard, je suis à bout de forces. C’est la fin, les Belons et les Gillardeau vont se venger de dizaines d’orgies réveillonnesques que j’ai infligées à leur engeance au cours de ma vie. Mais voilà qu’un grappin me sort du maelstrom et m’entraîne vers une autre salle. J’entends des cris. Et pour cause, c’est la partie «Abrasion d’étrilles». Les gens qui sortent ont le visage soulagé. Car c’est juste un enfer : des dizaines de crabes verts gros comme une pièce de deux euros me recouvrent et entament un peeling endiablé en commençant par tous les bouts. Ça chatouille et ça brûle en même temps, surtout ceux qui me rentrent dans le slibard. Je ne suis plus qu’une plaie. Les deux matonnes me cramponnent quand elles estiment que ça suffit, c’est-à-dire assez longtemps après le début de cette torture à faire sangloter Edgar Poe soi-même.
Le panneau suivant, c’est «Noix de Saint-Jacques». Je me souviens que j'adore ça. J'en ai vaguement l'eau à la bouche. Et puis on croise le patient précédent qui repart en se tenant l’entrejambe. Il me cramponne, l’air terrorisé : «Les noix ! Devinez à qui sont les noix ! Fuyez, fuyez !». Mais les deux garde-chiourmes le saisissent par le colback et l‘entraînent vers les caves. C’est le moment ou jamais : je saute du brancard en oubliant ma fracture de la vertèbre en rémission. J’en pousse un hurlement de douleur qui me réveille... Je suis toujours sur la table avec l’enveloppe d’algues de tout à l’heure. La séance est finie, la soignante entre à ce moment. Elle me demande : «Ça s’est bien passé, monsieur ? Vous vous êtes endormi, on dirait. Bon, eh bien maintenant, vous pouvez aller au “Brouillard marin”». J’ai couru à perdre haleine sur la plage.