Suicide s’est raté. La bête n’est pas morte et gigote bel et bien. Reformation épisodique depuis 1997 (on en parle sous l’égide du Son du Maquis), seconde jeunesse d’Alan Vega (lire) mais aussi éternel activisme de Martin Rev, dans un New-York définitivement hanté. La source de cette logorrhée d’outre-tombe, invariable empreinte du tourment psychiatrique, ne s’est jamais tarie humainement. L’œil torve barré de grosse lunettes noires, l’écume séchée aux lèvres, les joues creuses constellées de rides, l’avatar punk au teint blafard fixe ses mains boursouflées, incapable de tenir un verre sans l’épancher éhontément sur le comptoir crasseux. L’avenir était pourtant entre ses mains. Oraison des bouges et chant sépulcral d’une vindicte des ténèbres, la musique de Suicide, reflet no wave d’une électronique méchamment novatrice et déclinée en seulement deux albums (les éponymes de 1977 et 1980), a traversé le temps et a salement épaissi l’atmosphère d’un nuage de colporteurs électro-punk. Faisant désormais office de références pour une palanquée d’excités triturant consciencieusement cette fièvre noire, de Fuck Buttons à Crystal Castles, leurs shows, dénués de batterie et sculptés dans un bruissement lugubre et métallique de machines, ne provoquent plus guère que l’ire de punks fondamentalistes, jetant canettes de bières et autres projectiles histoire de les faire taire. Bien au contraire, Suicide préfigura au début des années quatre-vingt l’effervescence actuelle. Et le paysage dépeint reste le même. Des friches industrielles aux caves glauques et nauséabondes, des rues surpeuplées aux immensités irradiées de plomb, aucune raison pour que l’imaginaire, tel un sinistre kaléidoscope, ne cesse de rabrouer dans la grisaille la plus compacte idée de vie épanouie : à l’asséchement des corps par la drogue répond la tumultueuse bipolarité des esprits, et leurs tendancieuses mélopées de faire tâche d’huile jusqu’au Texas, où Swarm Of Angels prit consistance.
Réunissant, à l’orée des années 2000, pléiade de caractères bien trempés, agissant dans divers groupes psyché-noise du coin, Tex Kerschen (Japanic) et Erika Thrasher (The Fever) en tête, le groupe constitue jusqu’à 2006 une sorte de collectif aux indéchiffrables ramifications (NTX + Electric, Corpses of Waco, Electric Fuck All ou the Perpetual War Party Band) avant de fondre cette pseudo diversité dans un ultime rebut de la scène noise de Houston : Indian Jewelry. Et si Invasive Exotics (Monitor, 2006) réactive violemment la brume électrique d’une Front Wave chère à Suicide, au point de les révéler dépositaire d’un psychédélisme noir réincarné, Free Gold ! (Girl Gang / We Are Free, 2008) déçoit par son venin passablement neurasthénique. Deux ans plus tard, et une nouvelle fois par le biais de leur propre label, Girl Gang, les Texans repassent les plats tout en prenant soin de changer de menu. Non loin de là, quand les illuminés de Glass Candy réhabilitent à Portland le kitsch et le stupre des eighties de leurs synthés et boîte à rythme sirupeux, Indian Jewelry réanime d’entre les morts une armée de l’ombre s’accaparant un dancefloor aux allures de danse macabre. D’emblée sur Totaled (Girl Gang / We Are Free, 2010), celle-ci prend aux guiboles et de la plus efficace des manières : Oceans et son beat sourd lance à toute blinde l’embardée dans un chaos psychédélique, sombre et tortueux, où l’on discernera sans peine les saillies venimeuses (Excessive Moonlight, Tono Bungay), conjuguant groove malsain, voix susurrées et évidence mélodique, d’étourdissantes plongées en apnée (Look Alive, Vision, Simulation, Never Been Better), où les rythmes corrodés ploient sous le poids de drones à l’acidité diffuse et étouffante. D’éparses interludes synth-rock parsèment Totaled, sans futilité aucune - Siren, Parlous Siege and Chapel et le mirifique et lunaire Touching the Roof of the Sun - s’achevant sur une balade taillée dans d’atmosphériques nappes de claviers, Dog Days. On jure cette dernière taillée pour un crépuscule où l’on ne se remet que difficilement des tribulations de la veille : lessivé, la gorge sèche et le teint nauséeux mais malgré tout encore en vie. L’analogie est totale.
Audio
Indian Jewelry - Tono Bungay
Vidéo
Tracklist
Indian Jewelry - Totalled ( We are Free, 2010)
01. Oceans
02. Look Alive
03. Lapis Lazuli
04. Excessive Moonlight
05. Sirens
06. Vison
07. Tono Bungay
08. Simulation
09. Diamond Things
10. Never Been Better
11. Parlous Siege & Chapel
12. Heaven’s World Destroyer
13. Touching the Roof of the Sun
14. Dog Days