Un film de Christopher Nolan (2010) avec Marion Cotillard, Leonardo DiCaprio, Ellen Page & Cillian Murphy.
Résumé : Dom Cobb est un spécialiste de l’extraction d’informations. Mais au lieu de braquer des banques, il cambriole des rêves et force les coffres subconscients. Profitant de ce que sa victime soit endormie, il est capable d’entrer dans son rêve (où elle est moins sur ses gardes) et d’y forcer les défenses éventuelles.
Cherchant à démontrer ses capacités à Saito, un riche industriel japonais, il échoue… Mais ce dernier, malgré tout impressionné, lui offre la possibilité de rentrer chez lui aux USA (y retrouver des enfants qu’il a dû abandonner) s’il consent à monter une dernière opération, plus risquée : l’inception. Le principe est d’insérer une idée dans le cerveau d’un concurrent endormi…
Une chronique de Vance
On a beau tenter de s’en préserver, pour peu qu’on vive dans le réel, on ne peut échapper à une campagne marketing habile. Si Dom a quasiment réussi à se préserver de toute information parasite avant sa première séance d’Inception, je ne peux pas en dire autant ; Twitter, Facebook et mon rôle dans le Palmarès Interblogs ont laissé transparaître des notes, des impressions – toutes dithyrambiques. Aussi, au moment de m’y rendre, je savais que je m’apprêtais à voir une grande œuvre. Consciemment ou non, on s’y prépare : soit on se blinde, histoire de ne pas se transformer en groupie attardée et bêlante, soit on s’ouvre complètement à la béatitude attendue.
Pas facile d’arriver face à l’écran vierge de toute information ou impression.
En même temps, de quoi me plaindrais-je ? Communiquer régulièrement avec des habitués du VIIe Art permet justement de faire un choix dans la programmation. Quand on ne possède pas de carte illimitée, on sélectionne forcément ses sorties. L’Illusionniste, les Chèvres du Pentagone, Splice ou A single man m’ont été suggérés par des blogueurs passionnés – et la plupart du temps, je n’ai pas été déçu.
Pour Inception, je m’attendais donc à une date et un choc. A ressortir de la salle un peu groggy avec le sentiment de ne pas pouvoir oublier la séance, qu’elle restera à tout jamais pour plein de raisons différentes.
Là-dessus, c’est presque réussi. Inception fera date, c’est incontestable. C’est brillant, effréné (malgré la longueur, on n’a jamais l’impression que la tension retombe) et bluffant. Nolan distille ses séquences avec minutie et intelligence, s’appuie sur un montage efficace et une bande-son impressionnante (la musique de Zimmer peut sembler « envahissante », je l’ai adorée, trouvant qu’elle collait parfaitement au rendu du film). Les interprètes paraissent choisis avec un soin particulier et la cohérence du casting est surprenante, malgré leurs origines disparates.
Nous avons donc un grand film d’action, démesuré, sur fond de SF. Matrix, en son temps, nous avait fait le coup. Otez-y tout discours philosophique lénifiant et renforcez les implications morales et vous vous rapprochez de l’expérience Inception. Et puis, malgré des effets spéciaux au rendu incroyable, il n’y a pas non plus ce côté tapageur, ostentatoire ou clinquant : le film de Nolan ne lancera vraisemblablement pas de mode vestimentaire (à moins qu’on voie les élèves se rendre à l’école avec une mallette métallique ?). Tout au plus d’autres productions s’engouffreront-elles dans l’exploration de l’inconscient.
Or, ce n’est pas nouveau. Dreamscape nous proposait déjà de nous immiscer dans les rêves d’un autre – pas de biais technologique, mais des dispositions spécifiques chez certains d’entre nous, comme un pouvoir mutant. J’ai le souvenir d’un film assez enlevé qui se permettait quelques expérimentations. Plus près de nous, Paprika nous dévoilait une intrigue similaire, complexe, avec des dérapages dans les possibilités de contrôle des rêves et les conséquences dramatiques qui ne peuvent qu’en découler.
Inception ne renie jamais sa nature de film à grand spectacle : il nous en met plein la vue. Mais Nolan y ajoute sa patte méthodique, un peu clinique. Cette exploration des différentes strates de rêves emboîtés, des interactions entre elles et la réalité s’accomplit au travers de la quête d’un homme brisé : une quête désespérée. Cobb veut retrouver sa famille, ses deux enfants dont il est séparé pour une sombre affaire judiciaire. Il a perdu sa femme – mais il la retrouve systématiquement dans les missions qu’il effectue à l’intérieur des rêves. En montant son ultime mission, il ne révèle pas à ses coéquipiers les risques qu’ils encourent à affronter les stigmates de sa psyché.
Niko, au hasard d’une petite discussion sur Twitter, avait évoqué Ocean’s Eleven comme référence. Ca m’avait paru incongru – et inquiétant. Mais ça se tient : une bonne partie du film n’est que la préparation d’un casse monumental – et à l’envers. Chaque membre de l’équipe a sa spécificité et seule Ariadne (excellente Ellen Page), la conceptrice/architecte des rêves recrutée, se doute que les choses risquent de mal tourner si Cobb (Leonardo, impeccable) ne maîtrise pas ses remords.
Au final, Inception m'a moins passionné, transporté que le Prestige mais il est remarquablement écrit et interprété, sans temps mort et doté de visions stupéfiantes. On peut, comme Cachou, regretter que ces visions oniriques aient un aspect réaliste, matériel et géométrique ; cela ajoute encore à l'intelligence du propos, même si, c'est vrai, je suis assez client de ces univers distordus, fluctuants et (finalement) effrayants qu'on trouve dans les bons films qui s'y sont frottés. C’est comme si Nolan refusait de nous hypnotiser par des images délétères, préférant nous exposer un monde présenté comme irréel (celui des rêves) avec les matériaux du nôtre. Les rêves dans lesquels évoluent nos protagonistes ne sont donc pas ceux où rôde Freddy (encore que…) : ce sont ces songes dont on se souvient avec une boule d’angoisse car ils avaient une fâcheuse apparence de réalité, ceux dont on se réveille désemparés, parce qu’on y croyait presque. Et le retour au réel s’accompagne immanquablement d’un soupir. Le vertige proposé n’est donc pas immédiat, il est concomitant de l’atterrissage (douloureux) lorsqu’on s’en réveille.
J'étais prêt à adhérer totalement à ce film : il contient une grande partie de ce que je recherche au cinéma et, objectivement, je n'ai pas grand chose à reprocher. Même les motivations des
personnages (ils ont tendance comme Fischer – le toujours très bon Cillian Murphy – à accepter un peu trop facilement ce qui se passe et suivent sans coup férir
les indications de Cobb) peuvent s'expliquer si on accepte un postulat qui deviendra de plus en plus évident au fur et à mesure que se déroule l’intrigue (d'où des enchaînements de faits un peu
étrange, des décisions hâtives et une logique particulière).
Ce qui m'a gêné, c'est de ne pas être submergé : les très belles scènes entre Mal (Marion Cotillard, brillante je dois dire, au jeu plus sobre qu’habituellement) et Dom Cobb sont bien cadrées et interprétées, mais ne me touchent pas. Sans doute un effet de certains choix artistiques (couleurs froides, musique tonitruante de Zimmer - ah, ces cuivres vrombissants qui emplissent l’atmosphère et décuplent la tension !) : Nolan joue sur une palette de sensations (comme le déclare Ariadne d'ailleurs lorsqu’elle visite pour la première fois un rêve construit) plutôt que sur les émotions ; David Lynch, par exemple, est nettement plus dans la subtilité floue, dans la rupture - ses moments de rêve, fréquents dans Twin Peaks, marquent davantage une irruption de l'irréel (couleurs chatoyantes mais agencées bizarrement, rappels et concordances mnésiques, déplacements improbables - au ralenti, à l'envers, en apesanteur - langage inintelligible au premier abord avec des changements de vitesse et de ton) qui entraîne dans ses fantasmes des bribes d'émotion brute. De même, chez Nolan, le récit est maîtrisé de bout en bout, les ouvertures finales ne sont en fait que des artifices ne masquant pas le côté fini du script où chaque élément trouve son correspondant et renvoie à un autre. Lynch se permet au contraire de perdre ses spectateurs, de ne leur offrir que certaines possibilités de reconstruction, des clefs qui n'ouvrent pas toujours, des codes qui ne fonctionnent pas forcément : il suggère beaucoup et n'impose rien d’autre que des visions, des expériences et des émotions.
Dans les deux cas, le cerveau travaille : le terrain est balisé chez Nolan (comme chez Kubrick par exemple – dont j’accepte le rapprochement osé de certains commentateurs - mais
ce dernier va jouer sur d'autres repères, d'autres balises dont certaines font appel à des connaissances plus implicites) et, pour peu qu'on s'en donne la peine, malgré les accidents de parcours,
tous prévus, on arrive au bout. Ca n'est pourtant pas aussi facile que ça : pas de discours d'introduction, pas de séquence flashback rétroexplicative (comme dans Usual
Suspects que j'aime pourtant) : il faut juste ne pas lâcher l'affaire et, pour cela, accepter les enjeux et les codes imposés. Pour peu qu'il y ait une rupture dans le déroulement
(trucage raté, jeu d'acteur calamiteux, enchaînement inacceptable), on peut décrocher du sense of wonder, sortir de la diégèse et ne pas en récolter les fruits.
Lynch ne garantit pas cela, ce qui en gêne énormément : on peut se perdre en route, ou trouver des conclusions qui ne nous satisferont pas. Ses films sont-ils plus intelligents pour autant ?
Moins ? Plus intelligents parce que roublards, peut-être ? Moins intelligents parce que sans fondement ni structure cohérents ? Je pense juste qu'ils supposent une même quantité d'attention, une
même acceptation mais un peu plus d'ouverture d'esprit. A mon avis, Inception risque de dérouter un peu les non-lecteurs de fiction, mais ils auront leur compte de scènes spectaculaires
et de moments de haute voltige qui leur feront gober le reste (le bon spectateur est celui qui accepte d’être « dupé »), même sans y voir les implications. C'est ce qui a perdu les
Wachowski sur les suites de Matrix : les amateurs de SF les ont trouvé pédants, les non-initiés les ont trouvés abscons. Les premiers se contentaient des implications
liminaires et suggérées du premier film, les seconds ne demandaient rien d'autre que de la baston graphique.
Inception est à la fois plus ambitieux et plus mesuré, ce qui dénote encore une fois une véritable intelligence dans son agencement. Que des spectateurs se soient sentis choqués par les implications du finale m’étonne un peu : c’était tellement évident – et en même temps, ça n’a pas d’importance, le film ne repose pas du tout sur un éventuel twist de conclusion puisqu’il ne propose qu’une alternative et réduit donc les possibilités d’ouverture.
Un très grand film, impressionnant, puissant. A ne pas manquer.
Le coin du C.L.A.P.: Arrivés très tôt (le film étant long, les séances étaient décalées et on a choisi celle de 18h), j’ai pu entamer tranquillement – pendant trois bons quarts d’heure – Substance Mort/A scanner darkly, dans le cadre du Défi Dick. Ouais, je suis en retard…
Note moyenne au Palmarès : 4,59/5.
Ma note : 4,8/5
Chroniques parallèles
> chez Cachou, quelques contrepoints intéressants et bien présentés ;
> chez Dom, une analyse assez complète et pertinente ;
> chez Alexandre, un article complètement conquis chez un garçon habituellement réservé ;
> chez Niko, une étude aussi enthousiaste que lucide (si, si !).