Nicolas Sarkozy s'était octroyé un très long weekend de repos. On a pu le croiser au Cap Nègre, chevauchant sa bicyclette. Puis on l'a lu fustiger la violence et les Roms, et déclarer la guerre à l'insécurité. On l'a vu souriant à une étape du Tour de France. Mais l'image la plus marquante fut ce cliché d'un Sarkozy en position de boxeur, debout sur son estrade, dominant d'une tête des ouvriers casqués sur un chantier naval de Saint-Nazaire. Un Sarkozy proche du peuple qui parle pénibilité et reconquête industrielle. Ce jour-là, on oubliait presque les dîners au Fouquet's, les réunions du Premier Cercle au Bristol, les enveloppes de billets en papier kraft révélées dans l'affaire Bettencourt, le pantouflage des conseillers, ou plus généralement les relations troubles avec le monde de l'argent.
Woerth, grillé, Sarkozy brûlé
Malgré tous les efforts de l'Elysée pour défendre le bouclier Woerth, ce dernier s'est fissuré cette semaine. Lundi, Claude Guéant affirmait une nouvelle fois que le ministre n'avait rien à se reprocher. On appelle cela faire pression sur la justice. Une pression directe et sans complexe du pouvoir exécutif, bien plus grave que les outrances habituelles d'un Frédéric Lefebvre. Vendredi, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt avait confessé aux policiers qui l'interrogeaient qu'il avait reçu Florence Woerth sur demande de son mari, en 2007, afin de la «conseiller sur sa carrière». Lundi, ledit mari dément. Le même jour, le cabinet de recrutement chargé par de Maistre en novembre 2006 pour lui trouver des candidats chez Clymène, témoigne que le gestionnaire n'a finalement pas donné suite à ses propositions, alors que les profils trouvés correspondaient à celui de spécialiste des «family office» qu'il recherchait.
Mercredi, Florence Woerth a été entendue par la police. Et le même jour, le Conseil des ministres autorise la brigade financière à auditionner le ministre comme témoin. Qu'on se rassure, aucune instruction indépendante n'a été ordonnée. Bien au contraire, le procureur de Nanterre, proche du président et hiérarchiquement soumis à la Garde des Sceaux continue seul de conduire ses enquêtes préliminaires. Il a même saucissonné la grande affaire en autant d'enquêtes qu'il y a de révélations ! Et quand la juge en charge de l'affaire Banier/Bettencourt demande une copie des enregistrements pirates... il refuse sans donner davantage d'explications. Jeudi, le Figaro l'interroge complaisamment : les questions ont été choisies avec soin. On n'évoquera pas les soupçons de financement illégal de la campagne de Sarkozy, sujet majeur de cette affaire. Courroye se montre incroyablement condescendant et hargneux envers ses critiques, et notamment Eva Joly. Et malgré les déclarations concordantes de trois anciens membres du personnel de Liliane Bettencourt, le procureur répond que certaines déclarations de l'ancienne comptable ont été démenties. Pas celles concernant les soupçons de financement politique illégal, mais qu'importe ! Même au Figaro, ça commence à grincer. Vendredi, la Société des journalistes du Figaro a livré un violent communiqué contre la direction du journal, l'accusant d'avoir participé aux manipulations élyséennes le 9 juillet dernier, en publiant des extraits tronqués de l'une des auditions de l'ancienne comptable de Bettencourt.
Du côté de l'affaire à proprement parler, la semaine fut à nouveau riche, avec sa cascade habituelle de révélations et d'écoeurement : ainsi, Patrice de Maistre aurait un compte en Suisse, certes inactif, qui faisait partie de la fameuse liste des 3000 évadés fiscaux brandie par Eric Woerth l'an dernier quand il était ministre du budget. Selon le Canard Enchaîné, Liliane Bettencourt aurait en fait touché 100 millions d'euros en 4 ans au titre des remboursements du bouclier fiscal. Selon Marianne, la banque Dexia a refusé un retrait de 500 000 euros en liquide à Liliane Bettencourt, craignant d'avoir à justifier d'un tel retrait auprès de Tracfin, l'organisme chargé de la lutte contre le blanchiment. Et ce, quatre mois avant le premier tour de l'élection présidentielle. En décembre 2006, l'ancienne comptable n'avait pu retirer que 100 000 euros chez cette banque. Pour quel usage ? Marianne publie des fac-simili de l'agenda de Claire T., où l'on découvre un rendez-vous avec le gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt « pour donner enveloppe qui donnera à Patrice ». Marianne complète : «Ce rendez-vous serait suivi d’un autre « au café » entre celui-ci et Eric Woerth, comme l’indique cette fois les agendas de Patrice de Maistre saisis par la police.» L'étau se resserre. Comme l'explique Mediapart, le financement de la campagne de Sarkozy en 2007 revient au centre de l'affaire. Lors de chaque interrogatoire, devant la police ou la juge de Nanterre, l'ancienne comptable répète que le couple Bettencourt remettait régulièrement de l'argent liquide à des hommes politiques.
Après Bettencourt, restera à traiter de l'affaire Wildenstein, déjà évoquée dans ces colonnes : une riche veuve, en conflit avec un héritier supposé et par ailleurs généreux donateur et fondateur de l'UMP., une administration fiscale inerte, une évasion fiscale établie par la justice... On se régale d'avance.
Remaniement, ou comment faire «irréprochable»
Eric Woerth étant définitivement grillé, Nicolas Sarkozy pense à d'autres options pour son remaniement gouvernemental annoncé pour octobre. On lui prête de penser à Jean-Louis Borloo (pour faire social), Michèle Alliot-Marie (pour faire irréprochable) ou... François Fillon, faute de mieux. Pour le moment, les titulaires s'inquiètent. Ministres et conseillers craignent pour leur poste. Peut-être comprennent-ils enfin le sort des centaines de milliers de salariés laissés sur le carreau ces 3 dernières années ? Le grand remaniement d'octobre est présenté comme un gigantesque plan social, une preuve que Nicolas Sarkozy applique à ses troupes la rigueur qu'il exige à chacun. Evidemment, on sait bien que rien ne changera véritablement à l'Elysée : la Cour des comptes a déjà relevé l'inflation des frais de déplacements et de communication du Monarque. Et l'approche du scrutin présidentiel de 2012 sera très certainement inflationniste en la matière. La semaine dernière, Sarkozy, qui attend toujours son avion à 176 millions d'euros avec chambre, douche et salle de réunion, aurait pu prendre exemple sur son collègue britannique David Cameron, qui s'est envolé en ligne régulière pour un déplacement officiel aux Etats-Unis...
Mais tout le monde a entendu les nouvelles consignes du chef de Sarkofrance: pas un secrétaire d'Etat ne respecte le plafond, rapidement oublié, de 4 conseillers. Plus d'une centaine de conseillers seraient menacés. L'effet du cumul des mandats et des postes y est sans doute pour beaucoup. Par exemple, une Nathalie Kosciusko-Morizet, en charge de l'économie numérique, assume par ailleurs des mandats à la mairie de Long-Jumeau, au conseil régional d'Ile-de-France et à la direction de l'UMP. Pas moins de 11 conseillers sont payés pour l'assister au gouvernement... Le cumul des mandats a aussi ses avantages : un ministre viré retrouvera son poste de député, même s'il a abusé de cigares ou de jets privés, grâce à la réforme constitutionnelle de juillet 2008. Et quand on est simple conseiller mais proche du président, le pantouflage direct et sans bavures est également devenu la norme. La Sarkofrance est bien généreuse avec les siens.
Ces promesses de vertus au sein de l'executif sarkozyen ne font pas illusion : les recrutements se poursuivent, et les départs sont en fait des reclassements (90% des conseillers sont des fonctionnaires). Mercredi, le Conseil des Ministres a annoncé la création d'un «secrétariat général de la présidence française du G20 et du G8».Sarkozy a aussi recruté un nouveau conseiller pour la sécurité intérieure de l'Élysée, Joël Bouchité, un ancien des Renseignements généraux. L'inflation des postes au sein de l'exécutif gouvernemental est une vieille histoire qui a débuté ... dès le mois de mai 2007. De septembre 2007 à juin 2008, 397 collaborateurs supplémentaires sont venus grossir les rangs de l'exécutif. Les primes correspondantes avaient augmenté de 5 millions d'euros. De 2008 à 2009, le nombre de conseillers avait augmenté de 17% ! On croyait que 2009 était une année de crise... Un peu plus tard, en examinant le budget 2009 de la présidence de la République, on avait découvert que Sarkozy avait généreusement augmenté ses 98 collaborateurs directs de 15 300 euros par an en moyenne.
Insécurité, ou comment faire peur.
Outre la «République irréprochable», Sarkozy a ressorti sa carte de l'insécurité. l'actualité s'y prête. Il devait réagir à deux faits divers violents de la semaine précédente : des saccages dans un village du Loir et Cher par une communauté de gens du voyage, après la mort de l'un d'entre eux, et des combats nocturnes dans une banlieue de Grenoble. Le président français a donc publié une déclaration officielle. Aux gitans, il a stigmatisé « les problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms.» Sarkozy n'excelle que dans sa capacité, en toutes circonstances, à trouver des boucs émissaires. Il a même promis une réunion mercredi prochain, qui «fera le point de la situation de tous les départements et décidera les expulsions de tous les campements en situation irrégulière. »
En Isère, il a remplacé le préfet du coin par un ancien policier. Et il adopte une posture guerrière contre les violences de Grenoble qui en convainc que lui-même. A chaque fois qu'il est en mauvaise posture, il nous refait le coup de la guerre contre l'insécurité. En 2012, cela fera 10 ans qu'il est charge du dossier... D'ici là, il faut entretenir la peur, et masquer les échecs.
Fiscalité, ou comment se justifier
Mercredi, le ministre allemand des finances était l'invité du conseil des ministres. Nicolas Sarkozy s'est du coup fendu d'un communiqué pour expliquer qu'il fallait que la fiscalité française converge vers celle de sa voisine d'outre-Rhin. Louer une convergence franco-allemande ne sert qu'à défendre, y compris à coup de mensonges, une politique fiscale sarkozyenne lourdement critiquée depuis 6 mois jusque dans les rangs de l'UMP. Le 12 juillet dernier, Sarkozy avait ressorti son mensonge sur le bouclier fiscal allemand, un dispositif qui n'existe que dans son esprit. En Allemagne, Angela Merkel a choisi de réduire les dépenses plutôt qu'augmenter les impôts, un bel exemple pour Sarkozy.
Le lendemain de cette déclaration sarkozyenne, le quotidien économique les Echos ajoute quelques pièces au débat : effectivement, le taux de prélèvements obligatoires en France sur les plus riches est l'un des plus élevés. Mais cette mesure ne veut pas dire grand chose, car elle mélange, comme à chaque fois, les cotisations sociales et l'impôt. Or, sauf à penser que les riches ne se soignent pas, ou pour vraiment moins cher que ce qu'ils cotisent, les prélèvements sociaux ne sont qu'un transfert de dépenses. Cotisations ou pas, les dépense de soin et de retraites existent. Si l'on restreint l'analyse à la seule fiscalité, la France «ne se classe pas parmi les plus « sévères » vis-à-vis des personnes à hauts revenus» notamment grâce aux nombreuses niches fiscales. Et dans la plupart des pays d'Europe, y compris l'Allemagne, la tendance est à l'alourdissement des impôts sur les plus fortunés.
Cet appel à la convergence fiscale cache aussi une autre lubie : Sarkozy, relayé par Juppé, n'a pas abandonné l'idée d'augmenter la TVA. On se souvient de son projet de «TVA sociale» qui lui fit perdre quelques députés en juin 2007. L'Allemagne a rapproché son taux de TVA du niveau français (19% contre 19,6%). Non seulement cet impôt est injuste, mais en plus, en France, la consommation des ménages reste à la traine : d'après les informations publiées par l'INSEE vendredi, les ménages ont encore dépensé moins en produits manufacturés en juin par rapport au mois précédent (-1,4%).
Pénibilité, ou comment jouer «social»
Rigueur, insécurité, fiscalité, restait à Sarkozy à trouver comment paraître social. Il lui faut, nous répète-t-on à longueur de semaine, «reconquérir son électorat populaire». Et la pénibilité est un sujet en or.
De mardi à jeudi, une poignée de députés a discuté du projet de réforme des retraites. Les débats eurent lieu à huis clos, au sein de la Commission des Affaires Sociales. Des députés ont laissé fuité la teneur des échanges sur Twitter et sur le Web. Plus de 400 amendements ont été «discutés» en l'espace de trois jours. Le porte-parole de l'UMP Dominique Paillé, énervé, s'est permis de demandé à l'opposition socialiste «d'arrêter de nous les briser menu». L'expression est outrancière et... mensongère.
Nombre d'amendements visaient à réellement améliorer la réforme vers davantage de justice sociale : suppression du bouclier fiscal, pénalité de 10% des cotisations sociales (et notamment vieillesse) en cas de mise en pré-retraites ou de licenciement abusives, report du recul de l'âge de départ à la retraite pour les chômeurs longue durée atteignant les 60 ans au cours du second semestre 2011, alourdissement des cotisations vieillesse «en fonction des choix des entreprises en matières de répartition de richesse», alignement des cotisations sociales des revenus financiers sur celles des salaires, extension du bénéfice des pensions de réversion aux PACsés, etc. Qui a dit que l'opposition ne proposait rien ?
Jeudi, la réforme était adoptée. Le texte a peu évolué. Il pourra être soumis au débat parlementaire en septembre. Bizarrement, le gouvernement a omis d'y inclure le volet «recettes nouvelles», sous prétexte qu'il devrait être discuté au sein de la prochaine loi de finances. Rien n'empêchait de prévoir un paquet législatif commun intégrant une loi de finances rectificative. Mais c'est plus simple, pour noyer le poisson, de cacher les efforts marginaux qu'on demandera aux plus riches dans un débat plus large sur la rigueur qu'on pressent à l'automne. Le gouvernement a aussi et surtout repoussé à septembre la discussion sur la pénibilité, au motif qu'Eric Woerth -on a vu dans quel état - continue sa concertation avec les syndicats. Bref, la réforme telle que présentée par Eric Woerth le 16 juin dernier n'a pas été examinée dans son intégralité.
En fait, la pénibilité doit maintenant servir de hochet électoral pour un président-candidat qui veut «reconquérir» les classes populaires. Le chef de Sarkofrance a échoué sur le chômage et le pouvoir d'achat - les deux composantes essentielles de son «travailler plus pour gagner plus», il ne lui reste plus qu'à jouer social, protecteur et compatissant. Depuis 3 ans, il a voulu aligner les régimes, nier les différences de carrières et, surtout, d'espérance de vie entre travailleurs. Quand le Medef a refusé de prendre en compte la pénibilité, au printemps 2009, dans ses négociations avec les syndicats de salariés, il n'a rien dit. En début d'année, Woerth et quelques ténors de l'UMP se sont succédés pour expliquer que la pénibilité était une question individuelle. Puis, le 16 juin, la formidable annonce arrive : il faudra être handicapé du travail pour continuer à partir tôt. Un bras en moins voire, mieux, un pied dans le cercueil, et vous pourrez vous éviter d'attendre les 62 ans ou les 42 ans de cotisations.
Maintenant, Nicolas Sarkozy a beau jeu de promettre d'assouplir sa proposition. Sa mansuétude, aussi rapidement affichée, ne doit tromper personne.
Avec un peu de rigueur dans ses cabinets ministériels, quelques déclarations excessives sur l'insécurité, une fausse générosité de dernière minute sur les retraites, Nicolas Sarkozy s'apprête à entrer en campagne. Qui le croira ? Qui le suivra ?
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Crédit illustrations Elysee.fr