Etat chronique de poésie 947

Publié le 24 juillet 2010 par Xavierlaine081

947

Revues et internet sont les derniers refuges d'une parole libre.

Alors que tous les médias, les journaux, les maisons d'édition sont aux mains des affairistes, l'autocensure dans le monde de la culture officielle prend de l'ampleur.

Car seuls apparaissent au devant des gondoles des grandes surfaces du livre et de la presse, ceux qui ont les moyens financiers. La culture, en quelques années, est devenue un produit comme un autre, qu'on promeut à grands coup de publicité pour ensuite, très rapidement, passer au pilon ce qui a été encensé hier.

Dans un contexte de main mise absolue de l'idéologie libérale, il n'est plus de place pour autre chose que du bien pensant, un académisme invisible s'installe qui veut qu'une écriture libre ne puisse voir le jour sans l'accord condescendant des actionnaires tapis dans l'ombre et qui sont les mieux rémunérés de la « chaine du livre ».

L'auteur dans ces circonstances n'est que la dernière roue du carrosse, qu'il vienne à revendiquer juste salaire pour sa création et le voici promis aux oubliettes d'un monde désormais habitué à zapper, à passer rapidement d'un sujet à l'autre, puis à oublier…

On bouffe du roman à la façon Mac-Do. On vend du livre comme boites de conserves. Le tout est de ne jamais aborder les sujets qui fâchent. Ne jamais remettre en cause l'ordre inégalitaire promu en modèle du développement humain, ne jamais revendiquer, ni protester devant les exclusions, les injustices, les copinages et la subordination sociale, il convient d'adopter un langage policé, capable d'être accepté par les prudes portefeuilles.

Dans ce paysage, internet est, provisoirement du moins, le dernier refuge d'une parole libre. On y trouve de tout, du meilleur comme du pire. Mais le verbe provocateur ou penseur peut y trouver refuge.

Les réseaux sociaux jouent leur rôle pour permettre aux poètes, romanciers, philosophes de l'Under ground, d'échanger leurs propos, dans un semblant de liberté. Non que big Brother ne soit à l'affût, mais nous ne vivons pas encore tous sous régime chinois, et il reste quelques répugnances à museler ce dernier terrain de jeu d'une liberté par ailleurs mise à mal.

L'aventure des revues est un monde qui jaillit de ces entrailles : de la feuille pliée en quatre, distribuée gratuitement, à la revue savante, payante car en recherche d'une qualité esthétique, elles foisonnent, durent ce que durent les rosés, mais à chaque salve salutaire, elles ouvrent un espace respirable dans un monde étouffant sous le couvercle de la finance.

Ici, on trouve ceux qui font ce travail de défrichage dans un total don d'eux-mêmes, d'autres qui, chômeurs de longue durée, s'inventent une place au soleil, en se laissant aller à leur passion.

Tous ont un mérite qu'il convient de souligner. Quelle que soit leur option, ils sont le grain semé avant que ne meurent la liberté de penser. Ils sont ces bulles d'oxygène qui nous permettent encore d'espérer.

Que vienne alors le débat de la gratuité et de la rémunération n'est que l'émergence du malaise qui habite une société qui exclut le travail intellectuel de ses paradigmes.

Celle-là aime celui-ci à la condition expresse que sa pensée se traduise en monnaie sonnante et trébuchante. C'est d'ailleurs pour cette raison, sans doute, qu'elle ne laisse point tomber le couperet d'une censure absolue, incertaine que, parmi les penseurs de la marge, l'un ou l'autre, puisse être la vedette de demain dont on pourrait exploiter l'image pour le plus grand profit des actionnaires.

On laisse un semblant de parole libre, mais le mieux payé doit demeurer celui qui tire les ficelles, non celui qui crée.

Dans les souterrains de liberté chèrement acquise, les penseurs de l'ombre en arrivent parfois à s'invectiver, à chercher les soutiens financiers illusoires. Ces guerres intestines font la joie du monde culturel officiel qui tient les rênes et ne les lâchera pas, tant les grossiers appétits sont prompt à tout avaler pour le paraître, la mégalomanie rampante de quelques élus, les sombres calculs de rentabilité directe.

Foin d'une création libre, désintéressée : il faut de la chair fraîche qui satisfasse à l'audimat.

Nos querelles de salon, ne font qu'alimenter cette négation de liberté fondamentale.

Reconnaître aux auteurs, aux créateurs un statut qui permette l'élaboration des œuvres de demain, ou d'après demain, ce serait jeter les bases d'un monde se nourrissant d'autres priorités, d'autres nécessités que la seule cotation en bourse.

Nous devons lever les yeux au-dessus de notre guidon poétique, non pour nous lamenter de n'avoir pas pignon sur rue, mais pour remercier l'engeance qui nous gouverne de cet honneur d'être rejetés dans la marge.

Car nos herbes folles sont plus à l'aise au bord des sentiers buissonniers que dans les plates-bandes bien ordonnées.

Manosque, 7 juin 2010

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