Tout commence assez abruptement. Une bande d'amis. 8 garçons, 7 filles. Presque tous jeunes collégiens. Alors qu'ils sont en vacances à la plage, ils découvrent dans un coin reclu au bord de la mer une grotte. Une exploration improvisée commence. A l'intérieur se trouve de nombreux appareils technologiques et un homme : Kokopelli est son nom. Ce dernier, un peu bizarre, leur raconte qu'il a crée un jeu visiblement très évolué. A contrario, le principe est simple. L'on pilote un robot géant dont le rôle est de protéger la Terre des invasions extra-terrestres. Il finit par convaincre les enfants de participer. Tous sauf un apposeront leur main sur une étrange pierre qui sert de « contrat » pour jouer. Surprise toutefois, peu après ce drôle d'événement, nos héros se réveillent ailleurs, pensant avoir tous rêvés la scène. La nuit suivante les détrompera très vite. Le jeu est devenu une réalité. Les différents membres de la bande d'amis vont alors à tour de rôle devoir piloter le robot géant en vue d'éliminer des ennemis tout aussi gigantesques.
A première vue, le scénario de Bokurano n'offre rien de bien nouveau à se mettre sous la dent pour un manga. Une bande d'ado qui va sauver le monde avec un robot géant, c'est loin d'être l'idée d'une originalité à se pâmer. Pourtant, ne sois point trop pressé, preux lecteur. Car à la lecture de ses premiers chapitres, tu es très loin de te douter d où Bokurano veut t'emmener. Petit à petit, page après page, chapitre après chapitre, un certain malaise se met en place au fur et à mesure que les vraies règles du « jeu » initié par Kokopelli sont dévoilées. Je ne peux malheureusement pas vous en dire plus sous peine de spoiler mais sache le, on a affaire ici à une œuvre très loin d'être manichéenne. Semblant d'ailleurs s'être donnée pour principe de balayer tout aspect simpliste, toute pensée primaire, l'histoire de Bokurano se fait fort de montrer beaucoup de questionnements et peu de réponse définitives.
Pour cela, Bokurano mise énormément sur sa carte majeure : ses personnages. Toute une bande d'ados ou de pré ados, autant d'histoires différentes permettant de livrer une intrigue qui sait prendre son temps et qui n'a pas peur d'afficher une certaine profondeur. Dans la démarche, cela m'a rappelé étrangement Evangelion qui avait mis ses ados pilotes et leurs déboires intérieurs au cœur de son univers. Dans le cas de Bokurano, le principe est poussé encore plus loin. Ainsi si au travers des chapitres le fil rouge global (sauver la Terre, les vraies règles du jeu, …) est toujours présent, le mangaka n'hésite pas à le reléguer très vite au second plan et à appuyer sur la touche Pause sur cet aspect pour pouvoir travailler à longueur de pages et de bulles ses personnages.
C'est d'ailleurs une caractéristique assez unique de ce manga : certains lots de pages voire certains chapitres complets sont remplis de longues et nombreuses bulles. Ce qui donne parfois l'impression qu'on se met à réellement lire un livre plutôt que de la bande dessinée. Tel un rituel immuable, les histoires personnelles des pilotes de Bokurano sont ainsi largement détaillées juste avant que ne viennent leur tour de combat. Ce dernier bien qu'étant forcément rempli d'action sert plutôt de conclusion aux questions posées par l'histoire du pilote. La réponse se trouve dans le combat. Toutefois l'histoire n'échappe pas au côté « catalogue » de problèmes de l'ensemble, façon GTO qui enchaînait lui aussi les élèves à problèmes. Mais cet aspect est bien mineur face au travail effectué par l'auteur sur chacun de ses personnages qui a pour atout décisif de tomber quasiment toujours juste ou à défaut pas trop loin.
Abordant ainsi des considérations sérieuses sur notre condition d'être humains, sur la jeunesse voire l'enfance, l'éducation, l'errance et bien d'autres sujets, les histoires alternent entre des situations assez basiques dans les faits mais néanmoins convaincantes de conviction tandis que d'autres brillent plutôt par la complexité des émotions et des événements. Tous abordés avec un ton d'une désarmante neutralité face à la violence de certains faits, ces récits parviennent à susciter chez le lecteur un éventail de réactions presque aussi important à la lecture que les rebondissements de scénario.
Bokurano est un manga trompeur. Malgré ses graphismes assez enfantins, il se révèle très loin d'être innocent. A l'heure où j'écris ces lignes (il est 22h17), je n'ai toutefois lu que les 9 volumes parus en France et visiblement l'auteur garde encore pas mal de secrets sous le coude tandis que l'histoire elle s'accélère fortement. Pourtant, déjà, je vous recommande vraiment de tenter l'aventure car Bokurano est un manga maîtrisé et troublant mais surtout une œuvre qui fait réellement réfléchir à ce qu'elle dit. Caractéristique suffisamment rare pour être distingué.
On en reparlera.