Ces dernières semaines, la rhétorique sur le problème d'accoutumance de l'Amérique vis-à-vis du pétrole a refait surface, des années après avoir été poussée par le Président George W. Bush. Elle est supposée expliquer l'incapacité des Américains à devenir indépendants en énergie ou au moins à réduire significativement leur consommation. Ce qui est suggéré, c'est que les consommateurs sont soit bêtes, soit qu'on leur a lavé le cerveau, et que le gouvernement est l'esclave du lobby de l'industrie pétrolière.
Je vous soumets ici l'idée que cette affirmation révèle un biais idéologique et aussi un degré d'analphabétisme énergétique.
Un tel analphabétisme n'est pas nouveau et est souvent combattu par les économistes. Par exemple, quand j'étais au MIT, un cours était enseigné par un ingénieur qui pensait que le prix du pétrole était trop bas parce qu'il coûtait moins que l'eau minérale. Je n'ai pas eu le cœur de lui dire que c'était une idée fausse : les prix des deux ne sont en rien liés.
Maintenant, il y un test décisif pour l'analphabétisme énergétique, à savoir l'affirmation que l'Amérique est « accro au pétrole ». Ceux qui disent ça, soit ne sont pas tout à fait honnêtes (politiciens et groupes de pression), soit ils n'ont réussi à comprendre ni les questions d'accoutumance ni celles d'économie. Par exemple, pourquoi déclarer que les américains sont accros au pétrole mais pas à la nourriture, au logement, ou à l'habillement ? Ou au ciment ou à l'acier ? Il est facile de comparer des substances provoquant une accoutumance avec de tels biens, pour voir où le pétrole tombe dans cette comparaison.
Qu'est-ce qu'une « accoutumance » ?
Les substances qui créent une dépendance causent typiquement des changements dans le comportement du cerveau, créent un sens d'euphorie mais réduisent aussi l'activité productive, créant des citoyens moins capables, et moins intéressés par le fait d'être productifs. Elles servent principalement à stimuler le plaisir et distordent souvent les processus mentaux, créant des dépendances biochimiques au point que ceux qui consomment ces substances sacrifient leurs carrières, leurs revenus, leurs familles et tout ce qui leur est cher pour l'acquérir de façon régulière. Il y a certes de nombreux accros qui fonctionnent dans la vie, mais il y en a aussi un très grand nombre dont la vie a été ruinée par leur accoutumance.
L'acier, par contre, est un intrant pour d'autres produits comme des machines ou des bâtiments, qui sont utiles et qui ont de la valeur. Il ne procure aucun plaisir direct, bien que nombreux sont ceux qui aiment les machines et les structures (moi-même, les trains), et les gens en achètent ou non en fonction des prix. Personne ne s'aventure dans un mauvais quartier tard la nuit pour acheter de l'acier à des étrangers. Et cependant, il semble que nous ne pouvons pas nous en passer, et nous importons ce que nous ne pouvons produire nous-mêmes.
Donc, sur l'éventail des biens –de la substance psycho active aux intrants économiques, de l'héroïne à l'acier- où tombe le pétrole ? Voit-on des SDF mendiant au coin de la rue pour faire le plein de leurs SUVs ? Mentant à leurs familles au sujet de leurs achats de super sans plomb ? Perdant leur travail parce qu'ils ne peuvent pas arrêter « le jus » ?
Au contraire, le pétrole et utilisé pour transporter des biens et des services et pour amener les gens sur leur lieu de travail pour qu'ils puissent être productifs. Il fournit aussi de la mobilité, augmentant significativement la liberté des citoyens par rapport à l'âge des chevaux et des locomotives à vapeur, améliorant ainsi leur qualité de vie.
Nombreux sont ceux qui utilisent l'accusation d'accoutumance pour expliquer pourquoi les consommateurs ne se comportent pas comme les « experts » pensent qu'ils le devraient. Regardez par exemple, la haine de James Howard Kunstler pour les quartiers de pavillons et de villas et leurs nombreux aspects, qu'il reproche au pétrole bon marché. Son dédain pour les préférences individuelles est évident et on pourrait l'imaginer en meneur des Khmers-Rouges-Inversés du XXIème siècle, ramenant de force le paysans vers les villes.
Les voitures électriques, pas un projet AA.
De même, les dévots de la voiture électrique –la plupart n'étant pas prêts à payer pour elles sans une assistance massive des contribuables- semblent ressentir que le moteur à essence a été imposé de force aux consommateurs par les constructeurs automobiles et « les grands pétroliers ». Daniel Weiss est allé jusqu'à dire « une des raisons pour lesquelles les voitures électrique sont été abandonnées il y a 100 ans est que les fabricants se sont mis d'accord avec les pétroliers pour aller dans cette direction, au lieu des batteries. » Pour lui, ça ne signifie rien que, même après un siècle de développement, les batteries ne peuvent toujours pas approcher le moteur à combustion interne en coût, économie, puissance ou performance.
La voiture électrique est en fait un village Potemkine sur roues, une façade high tech qui cache une industrie lourde et sale derrière, autant pour la fabrication des véhicules eux-mêmes que pour la production d'électricité. Etant donné que seuls les riches pourront se les permettre (des jouets chers pour des gamins pleins aux as), même en les accompagnants de niches fiscales généreuses, la dépense étatique (200 millions de Dollars en Californie) pour les subventionner est presque criminelle en ces temps de ressources budgétaires restreintes.
Le raisonnement sur la politique étrangère.
Bien entendu, nombreux sont ceux qui critiquent les importations de pétrole comme causant la poursuite d'une politique étrangère immorale, spécialement le fait de l'acheter à des personnages louches ou bien (comme on le prétend) d'envahir l'Irak pour nous assurer l'accès à leur pétrole. Le fait de nous reposer sur les importations, selon cette suggestion, nous rend vulnérable à des pressions de la part des exportateurs de pétrole et nous mène à des guerres imbéciles. Mais là encore, ça reflète un biais idéologique plutôt que la vraie histoire de notre politique étrangère.
Oui, le pétrole est parfois un problème, mais il ne semble guère avoir une influence primordiale. Rappelez vous le ferme soutien de Nixon à Israël pendant la guerre d'octobre 1973 (et l'embargo pétrolier), et le fait que George W. Bush, un Texan et un homme du pétrole lié à la famille Al Saoud, a embrassé Ariel Sharon. Notez aussi l'antipathie Américaine envers Hugo Chavez, bien que son pays livre 10% des importations de pétrole Américaines.
A part ça, certains analystes argumentent qu'importer plus de la moitié de notre pétrole cause des dommages économiques, ignorant le fait que le commerce n'est pas un jeu à somme nulle. Et de fait, les pays importateurs de pétroles ont traditionnellement eu de meilleures performances économiques que les exportateurs, en particulier parce qu'ils comptent sur des matières premières bon marché (comme le pétrole) pour créer des biens manufacturés. La Corée du Sud n'a guère souffert de se reposer sur le pétrole importé pour alimenter son économie, et le Japon non plus, alors que des pays qui comptent énormément sur des exportations pétrolières ne sont souvent pas arrivés à prospérer. Devrions-nous déplorer le fait que nous importons du pétrole bon marché plutôt que de nous reposer sur des substituts chers, ou de produire des biens manufacturés plutôt que des matières premières ?
Le bobard sur le lobby pétrolier.
Barack Obama aussi bien que Daniel Schorr ont fait reposer la faute de notre absence de politique énergétique sur les lobbyistes de l'industrie pétrolière, une accusation semblable à affirmer que les consommateurs achètent des produits non pas parce qu'ils les veulent mais par le résultat d'un lavage de cerveau que leur font subir les annonceurs publicitaires. C'est-à-dire, ça présume que « mon choix est objectif » et que quiconque fait un choix différent s'est fait laver le cerveau, et non pas qu'il exerce ses préférences personnelles.
Il n'y a aucun doute que le lobby du pétrole a du pouvoir, mais demandez vous ce que ça leur a apporté dans, disons, la dernière décennie écoulée ? Ont-ils fait que le gouvernement, sous le Président Bush, a ouvert des zones offshore ou le Refuge Naturel National Arctique au forage pétrolier ? Même avec des gouverneurs Républicains comme Jeb Bush et Arnold Schwarzenegger en Floride et en Californie, ils n'y sont pas arrivés.
Conclusion.
Que pouvons, donc, conclure au sujet de notre « accoutumance » au pétrole ? C'est un concept totalement fallacieux, promu par ceux qui ont un biais inhérent contre le pétrole et l'industrie pétrolière et qui cherchent à expliquer pourquoi le public Américain ne choisit pas de payer des prix d'électricité extrêmement élevés et d'acheter des voitures hors de prix incapables de rouler 150 km avec un recharge qui prend plusieurs heures. Le fait est que les consommateurs Américains ont un ample choix, et qu'ils ont choisi avec sagesse.
Un article de Michael Lynch pour Master Resource.