Où sont passées les exigences républicaines ?
Philippe Courroye, hargneux
Quand Philippe Courroye s'exprime, on écoute. Le procureur de Nanterre a refusé à la juge Isabelle Prevost-Desprez la consultation des fameux enregistrements pirates de conversations entre Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune. Et il multiplie les enquêtes préliminaires séparées pour découper l'affaire Woerth-Bettencourt en autant de micro-affaires que nécessaires. Une façon de noyer le poisson ? «Je ne suis pas homme à céder aux pressions» a-t-il confié au Figaro jeudi 22 juillet. Quelles pressions ? Courroye ne pense pas au président de la République, ni au gouvernement, mais évoque plutôt ses «contempteurs» qui «doivent savoir que ces pressions sur le cours de la justice, car il s'agit bien de cela, n'auront aucun impact sur moi». Cette interview, que l'on devine relue avant publication, se révèle stupéfiante: non seulement le procureur confirme les pires craintes des critiques à son encontre, mais la violence des propos d'un procureur qui se dit par ailleurs serein et «granitique» est tout simplement hallucinante.
Quand le Figaro rappelle à Courroye la critique d'Eva Joly («Votre ancienne collègue Eva Joly soutient que le régime de l'enquête préliminaire ne vous permet pas de mener toutes les investigations nécessaires. Que lui répondez-vous?»), le procureur répond avec violence et mépris, signe d'un manque de contrôle. Eva Joly aurait-elle frappé juste ?
«Je vais vous faire une confidence. Juste après avoir lu son interview dans Le Monde , je suis allé voir «Le Lac des cygnes» interprété par le ballet de Novossibirsk. Face à tant de beauté et de grâce, le fiel de Mme Joly s'est désintégré pour rejoindre les particules du néant. Comme elle s'est lancée en politique depuis plusieurs années, sans doute aurait-elle besoin, avant de parler d'un dossier dont elle ignore tout, de suivre un stage de remise à niveau de ses connaissances en procédure pénale.»Ensuite, quelles réponses de fonds apporte-t-il aux critiques à son encontre ? Elles sont minces, voire absentes. Ainsi, il s'abstient d'expliquer pourquoi il a refusé de transmettre les enregistrements pirates à la juge Isabelle Prevost-Desprez, qui instruit au tribunal de Nanterre la plainte de Françoise Bettencourt pour «abus de faiblesse» contre sa mère : «Je ne souhaite pas répondre à cette question.»
Concernant les soupçons de financement politique illégal, malgré les déclarations concordantes de trois membres du personnel de Liliane Bettencourt (l'ex-comptable Claire T, l'ancienne secrétaire d'André Bettencourt, et le Majordome), le procureur répond : «Sans préjuger de la suite, on peut d'ores et déjà constater que les propos prêtés par Mediapart à Claire Thibout concernant un financement politique généralisé ont été démentis par ses auditions devant les enquêteurs.» Rien de plus ! Le procureur ne livre aucun doute, comme s'il était imperméable au fonds de l'affaire.
Enfin, le Figaro lui rend un fier service en omettant de l'intérêt sur les soupçons de conflits d'intérêts qui pèsent sur Eric Woerth, alors même que ce dernier va être prochainement entendu par la police, et que son épouse a été entendue la veille sur les conditions de son embauche.
Les questions ont-elles été relues à l'Elysée ? Finalement, ces silences du procureur sont aussi effarants que l'intrusion élyséenne dans cette affaire. Le président français et son adjoint Guéant a publiquement accusé les accusateurs de mensonges, et publiquement défendus l'innocence d'Eric Woerth. Pas une phrase sur «la justice doit suivre son cours» ou «on ne commente pas une affaire en cours». L'avocat de François Meyers-Bettencourt, interrogé sur RTL jeudi 22 juillet, s'étonnait que le procureur Courroye a soudainement changé d'avis sur la recevabilité de sa propre plainte, en 2009, contre François-Marie Banier, après «après un rendez vous à l'Elysée avec Monsieur Patrick Ouart, conseiller de Monsieur Sarkozy.» Des magistrats et avocats, de tous bords, critiquent ces dérives de la justice. Ainsi Thierry Lefèvre, secrétaire général de l'AFMI (Association française des magistrats instructeurs) s'remarquait-il que «la cohérence dicte de ne pas découper un dossier» en plusieurs enquêtes. «C'est étrange: on a l'impression qu'est organisé consciemment “un pas clair procédural”.» Mediapart cite aussi Me Christian Charrière Bournazel, ancien bâtonnier de Paris jusqu'en 2009: «On voit un procureur en connivence avec le pouvoir, qui s'arroge la possibilité de mener une enquête sans aucun contrôle, une sorte de Kenneth Starr à la française, qui met des gens en garde à vue, sans qu'ils puissent voir leur avocat, sans que leur avocat ait accès aux pièces.»
Jeudi soir, nouveau coup dur : Patrice de Maistre avait un compte en Suisse, certes inactif, mais qui figurait de surcroît sur la liste des 3000 évadés fiscaux obtenue par Eric Woerth ministre du Budget au printemps 2009. Le ministre s'était saisi de cette liste pour menacer les bénéficiaires de venir régulariser leur situation. Que va faire le procureur ? Ordonner une cinquième enquête préliminaire ?
Sarkozy, insécuritaire
Le chef de Sarkofrance veut donner tous les signes possibles à son électorat que la lutte contre la violence et l'insécurité est sa priorité. Même les plus malheureux. Au sortir du conseil des ministres mercredi 21 juillet, l'homme a ainsi lâché un communiqué de presse stigmatisant les gens du voyage:
«J'ajoute que les évènements survenus dans le Loir et Cher soulignent les problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms. Je tiendrai une réunion à ce sujet le 28 juillet. Cette réunion fera le point de la situation de tous les départements et décidera les expulsions de tous les campements en situation irrégulière. »Que ces violences soient inacceptables, tout le monde, y compris les représentants de la communauté gitane, en convient. Les raisons, immédiates ou de fonds, de tels actes ne sont même pas effleurées par le communiqué présidentiel. Le chef de Sarkofrance dérape : au lieu de se limiter au fait divers, il élargit ses accusations aux « campements en situation irrégulière», comme si cela avait un quelconque rapport avec la flambée de violence dans le Loir et Cher.
Sarkozy reprend sa posture d'avant 2008 quand, candidat puis président à peine élu, il bondissait sur chaque fait divers pour stigmatiser des boucs émissaires sans chercher à présenter une quelconque solution autre que répressive. Malheureusement pour lui, cette posture guerrière contre des problèmes qu'il a en charge depuis près d'une décennie ne trompe plus personne. L'homme a fait la preuve de son incompétence en la matière. L'adepte de la politique du chiffre est pris à défaut par ses propres statistiques. Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, a cherché des excuses. Milo Delage, vice-président de l'Union française des associations tsiganes, a condamné la violence des propos présidentiels : «C'est quand même le comble: les municipalités ne respectent pas leurs obligations, et c'est à nous qu'on reproche d'être dans l'illégalité. Les gens du voyage sont des citoyens français qui vivent dans leur pays. Ils n'ont pas à être traités différemment de leurs concitoyens.»
Au sujet des combats de rues à Grenoble voici 10 jours, les propos présidentiels sont tout aussi véhéments : «C'est une véritable guerre que nous allons livrer aux trafiquants et aux délinquants.» On entend presque le roulement de tambour, la musique d'un mauvais film de série B, la scénarisation à l'extrême d'un désarroi présidentiel flagrant. Le journaliste Samuel Laurent, dans le Monde, s'est même amusé à relater ces déclarations de guerre à l'insécurité à répétition, chaque fois que Nicolas Sarkozy sentait sa cote de popularité fléchir dangereusement.
Pour faire bonne figure, Sarko a sacqué le préfet de l'Isère, après les violences de Grenoble.
Mais qui sacquera Sarko ?