Je l'aurais vu sans le voir. Est-ce que, même, je l'aurais croisé ? Je serais passé au travers tout aussi bien, transparent qu'il était. Transparent pour moi comme pour les autres. Les autres types normaux, logés, blanchis, nourris... attendus sans doute aussi. Je me suis écarté. A peine, le regard ailleurs, appliqué à ne pas le voir, lui, sa sébille, sa trogne cassée, son humanité défaite, son indignité. Appliqué à n'échanger rien avec lui, surtout, pour parer ce risque vague, ce risque hallucinant, ce risque terrifiant : la possible imprégnation de nos humanités...
Mais il y a eu le chien. Ce chien qui a capté mon attention. Ce chien fou, galeux, laid, boîteux, qui virevoltait autour de lui. Ce chien fou de son maître, démoli comme son maître, et qui semblait aux anges... Fou de joie, fou d'amour, en adoration devant la loque qui encombrait mon chemin. La loque, ce gueux qui était dieu dans les yeux de son chien.
Alors je me suis senti le plus con des gros cons, mon affichette "Chien méchant" bien vissée à la grille du jardin.
(Photo : Itev, "Marqué par la vie")