Une femme, née en 1967 d'un père algérien et d'une mère bretonne, se livre avec passion et rage au travers de son écriture.
Nina Bouraoui, dans "Nos baisers sont des adieux" éd. Stock 2010, traverse le temps et les époques selon ses désirs, selon ses amours, selon les hommes et les femmes qui ont croisés sa vie.
Esquisses de portraits qu'elle dresse à l'évocation de souvenirs, nous voici entraînés à suivre ses slaloms de ville en ville, de date en date, de pays allant d'Alger à Paris, pour y revenir, repartir, vers Zurich, en 2009 ou dans les années quatre-vingt.
Sans peurs ni complexes, Baouraoui nous ouvre à son désir, à ses désirs, qu'elle décrit telle une femme inaccessible, un être surnaturel, en osmose avec l'univers et l'amour qui régit le Tout.
En harmonie profonde avec ce qui l'entoure, Nina raconte la beauté des hommes et des femmes qui naissent et grandissent sous ses caresses, sous ses regards avides de comprendre et de les lire.
Son écriture poétique, posée tout en effleurements et sensualité, amène le lecteur à se laisser pénétrer par ses émotions à elle, à vivre son homosexualité; étrange impression de s'être laissé déposséder de son corps pour que Bouraoui en retire la sève et s'imprègne de nos désirs pour les mêler aux siens.
Aimant chaque partie des corps, consciente de l'attrait que le visage exerce sur autrui, elle en dit ceci en substance :
"La brûlure n'était pas grave mais il ne fallait pas la laisser s'installer, prendre sa place sur mon visage, le marquer, parce qu'il ne fallait rien laisser sur le visage qui était le territoire de la douceur, un visage c'était toute la vie contenue et même si ce n'était qu'une jeunesse qui tenait là, c'était déjà une histoire et une histoire c'était à chaque fois un début d'amour, et l'on ne pouvait pas brûler les traces de l'amour (...) "
Sasha, Paris, 2009, est l'entête de chapitre qui revient le plus souvent (comme elle nous présente d'autres villes, avec d'autres dates et d'autres personnes)
"Quand je la quittais, je ne savais jamais si j'allais la retrouver. Si le silence allait nous ensevelir comme du sable. Nos baisers ressemblaient souvent à des adieux."
En guise de conclusion, je reprendrai un mail de rupture reçu par "x" avec lequel, de mois plus tard, elle entre en empathie :
"Je te quitte parce que je ne sais pas vivre deux vies à la fois. Je n'arrive pas à me sentir à l'intérieur de notre histoire. Je me sens à côté, comme l'on peut se sentir à côté des choses ou des événements du monde.
Quant tu reprends ton train je réintègre une vie où tu n'existes plus. Il ne reste rien de toi dans ma ville comme il ne doit rien rester de moi dans la tienne. Je n'arrive pas à surmonter ton absence.
Je n'en ai ni l'envie ni la force.
J'aime ce titre : "La Géographie des sentiments". Il me rappelle notre histoire. Mon amour pour toi n'existe que dans l'espace que tu occupes. Dans ce sens, ce n'est pas un amour plein ou complet. En y réfléchissant, je me dis que c'est parce que je fais aussi partie de l'espace. Ton absence n'est pas un lien au vide mais un lien à mon propre vide.
Tu vois, je ne suis pas si courageuse. Tu disais que le coeur était un pays en soi. J'ai essayé d'y croire. J'ai essayé de te garder en moi quand tu n'étais pas là.
J'ai voulu attendre la fin de ton roman pour te l'annoncer mais je n'arrive plus à faire semblant.
J'espère que tu sauras me pardonner."
Il reste cependant un étrange interrogation qui persiste après lecture d'une telle écriture.
Le désir, qui conduit l'auteure dans sa vie, qui guide l'auteure dans ses rapports, ne la rend-il pas esclave de ses passions ?
Outre le fait que Bouraoui réussit brillamment à décrire ses sensations liées au désir, la question fatale ne peut s'empêcher de tomber :
N'est-elle pas addict ? Droguée au plaisir et au désir, au point de ne pas diriger sa vie, mais de la subir ?
Panthère.