Art multidisciplinaire au service de la société
Micros Armés: rap engagé
Groupe hip-hop multidisciplinaire, les Micros Armés sont des artistes engagés aux allures résolument old school. Originaires de la France, de la Martinique, du Sénégal et du Québec, ils sont neuf sur scène pour défendre les causes sociales qui leur tiennent à cœur au moyen du chant, de la danse et du rythme. Portrait de ces poètes des temps modernes.
Murielle Chatelier Dossier Rap, Hip hop, art
Quand ils foulent le plancher d’une scène, les membres de Micros Armés ne souhaitent pas que donner un bon spectacle: ils veulent réveiller les consciences et bousculer les conventions. Quatre auteurs-interprètes – deux hommes et deux femmes – trois b-boys et deux compositeurs accordent ainsi leur passion pour galvaniser les foules avec leurs messages revendicateurs.
Leur rap dénonce la brutalité policière, prend position en faveur de la «cause autochtone», soutient le travail des maisons de jeunes et met en lumière les dangers de la politique sur la masse. «Tous les spectacles-bénéfices que nous faisons sont liés à des causes auxquelles nous croyons et il nous arrive de créer des pièces musicales spécialement pour ces événements», dit DigboX, l’un des deux fondateurs du groupe.
Fondé en 2004 par sa conjointe, SuYin, et lui-même, le collectif Micros Armés a débuté son parcours en duo. Année après année, au fil de rencontres inspirantes et déterminantes, le groupe a pris de l’ampleur pour atteindre sa vitesse de croisière avec le recrutement de ses deux compositeurs québécois, BigWill et Dj Pek, en 2009. Sélectionnés pour rivaliser avec d’autres artistes dans le cadre de la 14e édition des Francouvertes, un concours qui favorise l’émergence de la relève francophone de tous les genres musicaux et qui lui offre une vitrine exceptionnelle, c’est un nouveau chapitre qui s’écrit pour ce collectif.
«Pour nous, avoir le privilège de participer à ce concours est déjà un prix en soi. Ça nous prouve que ce que nous faisons, ce n’est pas de l’amateurisme parce que les gens qui nous jugent sont influents dans l’industrie musicale. Ils s’y connaissent. Alors, nous sommes vraiment heureux d’être ainsi reconnus par nos pairs», fait valoir DigboX.
L’immigration: passage obligé
Fasciné par l’effervescence artistique qui caractérise Montréal, le couple français DigboX et SuYin a choisi de s’y établir pour bénéficier des nombreuses opportunités qu’il entrevoyait. «Les Québécois ont des talents artistiques incroyables, et l’été, Montréal n’a pas son pareil au niveau culturel. On dirait qu’ici, chacun peut réaliser son rêve», s’enthousiasme SuYin.
Arrivée au Québec il y a plus de dix ans, la jeune femme ne soupçonnait pourtant pas que s’établir dans la métropole lui causerait tant de soucis. Il lui aura fallu plus de sept ans pour obtenir sa résidence permanente.
Mal conseillée par une consultante en immigration qui a englouti ses maigres avoirs, elle a dû quitter le pays, contre son gré, pendant trois mois. «Mon dossier avait mal été rempli. Ma consultante devait m’aider à obtenir un visa de travail, pour me permettre de passer à l’étape suivante, soit la demande de résidence permanente, mais elle n’a rien fait.»
«À un moment, en cours de processus, j’ai reçu un appel d’Immigration Canada et on me demandait si je souhaitais demander un statut de réfugiée. Mais réfugiée d’où? De la France? C’est là que j’ai compris que je m’étais fait avoir par ma consultante qui avait écrit n’importe quoi dans mon dossier et que j’étais en situation irrégulière. Je me suis donc tournée vers le député de Gouin de l’époque, André Boisclair, et c’est lui qui m’a vraiment aidée. Il m’a conseillé de partir du pays, pour revenir en règle. C’est ce que j’ai fait. Et je suis ici maintenant.»
Deux autres membres du groupe, des Martiniquaises, ont aussi eu maille avec l’Immigration. L’une d’elles a été expulsée du pays pendant trois mois tandis que l’autre est coincée dans son pays d’origine, où elle se trouve toujours.
À la manière d’antan
Toutes ces embûches n’ont pas empêché le groupe de progresser et d’agrandir leur «famille de cœur». Contrairement aux groupes hip-hop de l’heure, les b-boys ne sont pas des accessoires dans leurs spectacles: ils font partie intégrante de l’équipe. «Quand j’ai rencontré Micros Armés, un lien d’amitié s’est installé entre nous. J’allais les voir en spectacle pour les encourager et je dansais de mon côté», raconte le chorégraphe du groupe, Bourrik. «Quand le groupe a pris de l’expansion, on s’est dit: ‘‘Pourquoi ne pas joindre nos forces?’’», poursuit le danseur. Et c’est comme ça que la danse s’est intégrée au chant dans le collectif.
«De nos jours, les groupes hip-hop engagent les danseurs plutôt au besoin, pour des spectacles ou des tournées. On ne suit donc pas la tendance», laisse entendre Bourrik tout en expliquant l’origine de son art.
«La musique de Micros Armés est un rap français aux accents de la côte est américaine. Comme le break dance est né dans la même région, ces deux éléments se marient très bien. Quand je danse sur ces rythmes, je sens la musique, ses vibrations, sa symbiose avec mes mouvements. C’est passionnant de chorégraphier des danses sur des sons qui nous interpellent, qui s’harmonisent avec nos gestes».
En plus de l’amitié, une grande complicité soude tous les membres de Micros Armés qui partagent des idéaux communs. «C’est difficile à expliquer, mais les chorégraphies des b-boys sont le reflet de nos visions», soutient SuYin.
Modestes, tout ce que les Micros Armés souhaitent maintenant, c’est continuer à créer en faisant du rap conscient. «Le rap, ça ne doit pas servir à faire de l’argent. Ce n’était pas ça à l’origine. C’était une voix pour ceux qui n’en avaient pas. Pour nous, c’est important de livrer des messages. Sinon, le rap, c’est inutile», conclut SuYin, une jeune mère au foyer qui travaille occasionnellement tandis que son mari occupe un emploi régulier d’intervenant.
Les Francouvertes
Le concours Les Francouvertes a vu le jour en 1995 et s’adresse à la relève musicale francophone. Les porte-parole de sa 14e édition, qui se déroule du 8 février au 3 mai 2010, à Montréal, sont le groupe Karkwa et l’auteur-compositeur David Marin, des anciens participants et lauréats à ce concours.
Chaque année, une vingtaine de concurrents sont sélectionnés et trois lauréats récoltent une quantité de prix qui leur permet entre autres de réaliser, produire et promouvoir un disque, dont une bourse de 10 000 $ remise au grand gagnant. Les prestations des participants sont soumises à un vote du public et d’un jury composé de gens de l’industrie. Loco Locass, Les Cowboys Fringants et Damien Robitaille sont quelques-uns des artistes couronnés lors d’éditions précédentes.
Au moment d’écrire ce texte, Les Micros Armés étaient en demi-finale pour Les Francouvertes 2010.
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