Un exemple de "recherche documentaire imaginaire"

Par Eguillot

Au moment où j'aborde enfin, avant les indispensables phases de relecture/réécriture, l'écriture du dernier chapitre de la suite du Souffle d'Aoles, deuxième tome du cycle d'Ardalia  - non je ne suis pas satisfait de mon rythme de travail, et oui je ne peux m'en prendre qu'à moi-même - j'ai envie de vous parler de ce que j'appelle la "recherche documentaire imaginaire". A savoir que lorsqu'on bâtit un cycle se déroulant sur une autre planète, mettant en scène des peuples intelligents autres qu'humains dans des environnements différents, il est nécessaire, non seulement d'ouvrir son esprit à une certaine forme d'altérité, mais aussi de questionner sans relâche ce qui nous vient de notre imaginaire, pour savoir comment cela pourrait fonctionner dans les faits. Pour moi, il ne s'agissait en effet pas de "créer un monde dans une bulle de champagne", comme on me l'avait suggéré au tout début, de fabriquer un univers onirique dont la seule auto-justification ou auto-légitimation serait son existence sur le papier ou sur l'écran d'ordinateur, mais bien d'essayer d'enraciner cet univers dans la réalité. Mon but étant avant tout de faire venir le grand public à la fantasy, et plus précisément à la science-fantasy, plutôt que de m'adresser à des spécialistes du genre. Poussées à fond, ces recherches documentaires pourraient carrément empêcher l'écriture de la partie fictionnelle, je veux dire, cela peut prendre toute une vie. Même en les allégeant comme je l'ai fait, on se rend compte après coup qu'on n'utilise qu'une petite partie de ce qu'on a développé, c'est assez frustrant, et ce, d'autant que je suis un auteur qui ne va jamais très loin dans les descriptions - je privilégie la fluidité et le rythme de lecture. Ce travail n'est pas inutile, cependant, car je crois que lorsqu'on y consacre un minimum de temps et d'application, le lecteur s'en aperçoit. Ma méthode, dès lors qu'il s'agit de mettre au point les détails, consiste à essayer de me restreindre à ce qui sera utile à l'oeuvre future : pour schématiser, inutile de construire les décors d'une ville entière si l'histoire se déroule dans un appartement. Quitte, bien sûr, à élaborer de nouveau en cours d'écriture du roman ce qui fait défaut, ou à réajuster. Ces recherches peuvent englober aussi bien l'histoire des différents peuples que la géographie/topographie, la faune et la flore, l'artisanat, le commerce, les relations entre les peuples, la mythologie, la magie, etc. J'ai conçu le passage que je copie ci-dessous, à l'exception de quelques modifications dues aux deux premiers tomes, en 2004. Certains éléments m'ont été utiles pour le premier tome, d'autres me servent pour le deuxième. Etant donné que ce dernier sera davantage centré sur les Malians, le peuple de l'eau, j'ai choisi un passage qui traite de leurs habitations, les conques.

Fabrication, mobilier et chauffage des conques

Fabrication : dans la plupart des cas, les conques sont bâties en spirales : on fabrique d’abord un grand anneau de résine au centre de la demeure, qu’on redresse à l’aide de cordes, puis que l’on maintient à l’aide de longues tiges de cannelées, puis on place d’autres anneaux de taille décroissante de part et d’autre. Puis on relie ces anneaux à l’aide d’une armature en tiges de cannelées (à l’origine découpées à l’aide d’acide d’ortalie ou de silex gris, mais depuis la rencontre avec les Krongos les Malians se servent d’outils en silex bleu) enduites de résine non solidifiée. Enfin on place la terre cuite ou les pierres jointes par de la résine, ou encore, des plaques de marbre conçues pour s’interpénétrer (auquel cas les tiges de cannelées subissent le passage dans un bain d’ambreroche). Mais certaines habitations sont formées de plusieurs conques s’entrecroisant les unes les autres. C’est ainsi qu’elles peuvent avoir plusieurs étages : une ou plusieurs structures en forme de conque se superpose(nt) sur la structure de base, qui elle est posée à plat sur le sol. Pour les demeures les plus hautes, on a des conques se lovant concentriquement autour d’elles-mêmes. Plus elles sont hautes et plus le diamètre des anneaux centraux (rez-de-chaussée) est important.  Quand on veut accéder à un étage, on pénètre dans une nouvelle conque. Elles sont pourvues pour la plupart d’ouvertures rondes : de la résine jaune pâle enchâssée dans des fenêtres en bois, laissant passer une lumière assez faible. Les volets en bois sont également ronds. A l’intérieur, il n’existe pas d’escalier à proprement parler, mais on accède au(x) niveau(x) supérieur(s) en enjambant les anneaux de résine et en gravissant le sol en pente. Ouvertures : les portes, en bois, sont pourvues de poignées (horizontales) et se rabattent du haut vers le bas. Leurs extrémités latérales et inférieures glissent dans des fentes (huilées) jusqu’au sol. Les portes des demeures les plus pauvres sont légères et peu résistantes, celles des riches sont lourdes et résistantes, celles des familles de la noblesse sont légères et résistantes, car entièrement plongées dans l’ambreroche.

Mobilier : A l’intérieur des demeures, on trouve des coffres en bois, des tabourets plus ou moins luxueux selon le statut social des occupants, des demi-tables, des lits de mousse. Grâce à leur squelette en glumass, les Malians se tiennent naturellement droit et n’ont pas besoin de dossier pour leurs chaises (même quand ils sont mil’ser*). Ils utilisent des récipients en céramique ou bois, et mangent leur nourriture avec leurs longs doigts fins. Les intérieurs sont éclairés par des lampes à huile d’astarine.

Chauffage : les Malians ne se chauffent pas autrement qu’en se couvrant de fourrures ou de couvertures (quand ils dorment). Leurs habitations sont bien isolées. Les feless’tu* produisent davantage de chaleur que les mil’ser*, de sorte qu’ils résistent mieux au froid, mais même les mil’ser ressentent moins le froid qu’un Hevelen. Les Malians du nord parviennent cependant à réchauffer leurs demeures en faisant chauffer à l’extérieur des habitations des pierres, les carbonites, ayant la propriété de conserver et retransmettre la chaleur, puis en les remettant à l’intérieur.

*Feless'tu signifie "fusionné", mil'ser : les malians sont des créatures ayant des affinités avec l'élément liquide. A la naissance, la plupart d'entre eux vont fusionner (s'adosser) avec un autre individu, pas forcément de sexe opposé, et devenir feless’tu. Les autres, ceux qui n’ont pas trouvé leur « être idéal », demeurent isolés, mil’ser.