La ville de demain se construit aujourd’hui mais l’échangeur de l’Étrier construit le Grand Nouméa d’hier

Publié le 21 juillet 2010 par Servefa

Résumé: L'échangeur de l'Étrier entre Ducos et Rivière Salée, prévu pour 2012, est nécessaire pour offrir un accès supplémentaire à ces quartiers. Cependant il ne présente pas une solution souhaitable selon moi. En effet, cet aménagement n'offre pas de vision à long terme, il est cher, et s'avère peu co-construit avec la population. Il occupe par ailleurs un foncier important et favorise largement la voiture plutôt que le partage entre tous les modes de transport. Je propose donc une alternative de deux carrefours à feux simplifiés.

Les grands travaux commencent...mais je crains qu'il y ait une erreur de programmation. Que mes collègues et supérieurs me pardonnent d'user de ma liberté d'expression pour l'écriture de ce billet qui remet pleinement en question un projet de la Province Sud, mon employeur, pour lequel je me sens pleinement dévoué. Ce dévouement, que d'aucuns appeleront conviction, me pousse donc à sortir de "mon code": les projets provinciaux point trop tu ne critiqueras...

Pourquoi critiquer le projet de l'échangeur de l'Étrier ?

Tout d'abord sur la forme dans laquelle on se lance corps et âme dans une solution sans avoir fait le tour des possibles, sans s'être livré à un véritable exercice de créativité. Immédiatement la seule solution d'un échangeur, coûteux, forcément très coûteux, s'est imposée. Pas d'alternative rigoureusement étudiée et présentée: giratoire, carrefour à feux, passage souterrain à gabarit réduit. Non, cela sera un échangeur. Comprenez bien, voici une voie express et sur les voies express ne sont étudiées que des échangeurs.

Nous en venons donc à ma deuxième critique. Un projet à courte vue. Un projet pour les 5 ans à venir quand une infrastructure de ce gabarit modifie son environnement pour des dizaines d'années. Un projet qui oublie les perspectives économiques: un pétrole qui va rapidement flamber et un système économique, construit sur un faible coût de l'énergie, qui s'ébranle. Un projet qui pousse ainsi à la catastrophe sociale pour les ménages à faible revenu, qui contribue aux drames humains de la vitesse sur l'autel de la motorisation. Un projet qui appelle plus de trafic, plus d'embouteillages, plus de pollutions pour les poumons des travailleurs de Ducos et des habitants de Rivière Salée. Un projet qui néglige l'avenir de la cité. A côté d'un échangeur, point de vie possible. Du bruit, des voitures, ou de la désolation quand il n'y a plus de trafic. Nos enfants nous remercieront.

Ma troisième critique porte sur la démarche. En catimini, sans consultation populaire, entre experts, entre gens biens. Rivière Salée est le quartier le plus populaire de Nouméa, Ducos constitue la deuxième zone d'emploi. Peu d'aménagement concerne autant de personnes sur une voie majeure du Grand Nouméa. Mais non. Ne voyez-vous donc pas qu'il s'agit de technique, de faire passer des flux, de réaliser des aménagements sécuritaires, de suivre des cahiers de normes et surtout de faire montre d'agitation pour que le bon électeur vote pour ceux qui, enfin !, font quelque chose.

Un échangeur autoroutier de plus sur la Voie Express: foncier gâché, avenir biaisé.

Soit mais que faire ? Quelles alternatives ? Comment impulser le changement sans faire exploser la congestion, sans provoquer l'ire des automobilistes. Comment s'inscrire dans une ville plus soutenable avec progressivité et réalisme sur un projet aussi concret et délicat que celui de l'échangeur de l'Etrier ? Voilà bien les questions que je me suis posées et auxquelles, dans la pénombre de nuits québécoises j'ai essayé de répondre. Je vous présente ci-dessous la proposition à laquelle je suis parvenue avec l'aide notamment du logiciel australien de calcul de trafic en intersection SIDRA. Les données de trafics que j'ai utilisées sont celles de limites de capacités des voies sur Rivière Salée et Ducos et les mouvements correspondent à un découpage arbitraire de cette capacité (le même que celui utilisé par la Province). Mais avant d'entrer dans la technicité des flux voyons à quel tracé, et selon quels principes, je suis parvenu.Voici ces trois principes :

  • Un carrefour partagé entre les modes de déplacement (voiture, bus, cycle, marche).

    Le premier principe est d'augmenter la capacité globale de l'emprise viaire (la surface réservée à la route). D'y faire passer autant de voitures, certes, sinon c'est la révolution, mais surtout d'inviter les piétons, un TCSP (Transport Collectif en Site Propre), les cycles à participer à l'effort général de mobilité urbaine. Bien-sûr, le nombre de voiture pouvant passer n'est pas augmenté. De toute manière cette zone ne sature pas aujourd'hui. Mais surtout cela permet de faire de la voie un lieu partagé par tous les types de déplacement avec des transports collectifs performantes, des cheminements cyclables confortables et des traversées piétonnes sécurisés qui permettront en plus de réintégrer au tissu social et urbain le squat de caillou bleu.

  • Commencer la transformation de la voie express en boulevard urbain (diminution des vitesses, libération du foncier, partage entre les modes)

    Le deuxième principe est d'initier la réhabilitation de la voie express en boulevard urbain (que j'avais eu l'occasion d'aborder dans ce billet) en libérant des lots et en générant une demande foncière poussant à construire la ville sur elle-même. Surtout, en offrant une multifonctionalité aux quartiers de Rivière Salée et Ducos par une offre commerciale, voire résidentielle. Il s'agit ainsi de faire face à la problématique de raréfaction du foncier dans la ville. Je rappelle ici que la différence de temps de parcours entre une voie express parcourue à 70 km/h et un boulevard fonctionnant avec une onde verte à 40 km/h, entre le carrefour Berthelot et le péage, serait de l’ordre de 5 minutes.

  • Créer une ville passante : un réseau maillé hyperconnecté qui ne privilégie plus la vitesse et le commerce de masse

    Le troisième et dernier principe englobe les deux premiers en s'inscrivant dans la proposition de ville passante formulée par l'urbaniste David Mangin. Le plan propose ainsi les conditions pour créer un maillage propre à cette ville passante, cette ville qui autorise les mobilités de proximité et qui se porte en faux face à l'urbanisme décousu des grandes franchises.

Légende: en rouge, les carrefours à feux, en bleu les nouvelles voies, en orange le foncier utilisable

Ces principes sont pour le moins exigeants et la proposition ci-dessus me semble parvenir à les satisfaire. Analysons ensemble cette proposition. En premier lieu, les deux carrefours sur la voie express. L'idée est vieille comme le monde: "diviser pour mieux régner". Ainsi l'ensemble des mouvements est traité conjointement par les deux carrefours (avec des phasages couplés). La voie traversante Rivière Salée - Ducos est ainsi éclatée libérant un ilôt central générateur d'opportunités foncières. Les résultats sont pour le moins intéressants avec des capacités très avantageuses, seuls les tourne-à-gauche en provenance du sud vers Ducos Nord sont limités mais des alternatives existent. On peut même imaginer l'interdiction de TAG (tourne-à-gauche) sur la voie express avec des possibilités de retournements sur la rue traversante.

Ci-dessous les réserves de capacité d'une pré-simulation sous SIDRA:

Sur le carrefour A:

Les avantages d'une telle solution sont ainsi multiples:

- augmentation de la capacité du réseau en augmentant les possibilités pour tous les modes ;

- possibilité accrue pour la mise en oeuvre d'un réseau de transport collectif prioritaire ;

- valorisation des mobilités douces et actives en phase avec les populations alentours et les coûts de l'energie à l'avenir ;

- création de foncier valorisable pour la collectivité limitant la nécessité d'exode dans le périurbain ;

- coût très réduit ;

-amélioration du maillage urbain.

Et les inconvénients plutôt rares:

- capacité routière non extensible pour les voitures ;

- le changement des comportement, en préparant au carrefour à feux (mais en Amérique du Nord, cela s'avère fréquent et sans inquiétude particulière, regardez donc l'image ci-dessous) ;

- capacité des traversées piétonnes limitée.

Peut-être alors, comme certains rêvent de voir le périphérique parisien ouvert à tous les modes de transport (cf. le montage ci-dessous réalisé pour le 1er avril de cet année par le blog quintesens), la voie express pourrait-elle s'offrir à toutes les mobilités.

La Province Sud, en réalisant un échangeur plutôt qu'un carrefour qui anticipe la ville de demain, n'est-elle pas en train de construire des infrastructures qui seront autant de boulets pour les générations futures ? Ces dernières ne dépenseront-elles pas des fortunes pour redonner un caractère humain à la voirie comme aujourd'hui les contribuables à Séoul, Milwaukee ou Strasbourg se saignent pour détruire les erreurs du passé ?

Et vous, quel est votre avis sur cet échangeur ?

François SERVE