Étape 16 : Luchon – Pau
Ils se sont donné bien du mal, Lance Armstrong et Christophe Moreau (39 ans aux prunes), présents dans la bonne échappée qui a “fait” les cols mythiques des Pyrénées : Aspin, Peyresourde, Tourmalet, Aubisque. Mais si Moreau a réussi une bonne opération en réalisant une spectaculaire remontée au classement de la Montagne, Armstrong qui n’a plus sprinté depuis une éternité et qui de toute manière avait les jambes lourdes dans le final termine sixième, battu par un Fédrigo impérial qui n’a laissé aucune chance à ses adversaires - dont le malheureux Casar qui fait deux pour la sixième fois sur le Tour.
Passe de trois pyrénéenne pour les Français (Riblon, Voeckler, Fédrigo), avec les deux précédents succès de Casar et Riblon ! Il y a longtemps qu’on n’avait pas été à pareille fête.
“Cunego l’infâme” qui était dans le bon coup a encore tenté de recommencer son petit numéro : sucer les roues, s’accrocher pour un oui ou pour un non à sa voiture, bref profiter du travail des autres et arriver frais sur la ligne, mais il a trouvé à qui parler avec Fédrigo ; ce dernier est un gentil garçon mais on ne la lui fait pas et il lui a dit ce qu’il en pensait (j’ai cru un instant qu’ils allaient s’envoyer des mandales tellement ça a chauffé entre eux deux) de même qu’avec Moreau et… Armstrong qui lui ont “causé”. De gré ou de force, il a été amené à collaborer (j’imagine la menace : “fais le con, et ton équipe n’aura plus jamais le moindre bon de sortie où ce soit, tout le peloton se mettra à la planche pour reprendre ton mec”)
Dans le final de cette échappée, sacré numéro de Barredo qui n’a aucune pointe de vitesse et qui n’est pourtant pas connu pour être un grand rouleur. Sorti dans la dernière descente où il a pris tous les risques, il s’est lancé dans un fantastique effort solitaire contre ses “associés de la journée”, prenant ses virages au cordeau, serrant les bords aux limites pour s’abriter du vent (il est passé à deux ou trois reprises à 10 cm de spectateurs et il faut les avoir bien accrochées pour faire ça à pleine vitesse). Ca aurait pu marcher, parce que derrière, comme souvent quand on prépare un sprint, ça s’est un peu regardé. Il a été repris sous la flamme rouge (qui indique le dernier kilomètre) et du coup, écœuré et à bout de forces, il a fini en roue libre en concédant 28 secondes sur cette distance. Il a bien mérité le dossard du meilleur combattant, même si c’est une maigre consolation.
Sprint impérial de Fédrigo qui n’a laissé aucune chance à quiconque, pas même à Casar qui avait choisi sa roue, la bonne, pour se lancer mais qui était bien incapable de le remonter. Pierrick Fédrigo “ne sait pas frotter” et n’a aucune chance dans un sprint massif, mais il a une belle pointe de vitesse qui le rend impérial dans l’arrivée d’un petit groupe. En plus, c’est un gars qui ne se rate pas. Quand il part, il sent en général que c’est “la bonne” et il gagne. Le reste du temps il fait le job sans pour autant s’épuiser vainement.
Et pour les cadors ? Étape neutralisée… comme prévu !
A quoi cela rime, de faire grimper quatre cols mythiques pour poser l’arrivée à 60km de l’arrivée, c’est-à-dire pour réduire à peu près à néant toute chance de faire quoique ce soit ? Schleck et Contador ont passé la journée tranquillement, en conversant même aimablement. On constate quand même que Schleck est dramatiquement seul en montagne, sans aucun équipier à ses côtés dès que ça grimpe (et ça grimpait si doucement que le géant Thor Hushovd, au prix d’un bel effort, est parvenu à rester dans le groupe maillot jaune, à faire le sprint du peloton et à récupérer le maillot vert ! Il a déjà fait deux ou trois trucs comme ça, le géant sympa, adoré de tous dans le milieu !)
On me dira : “ça mine les organismes, la preuve étant que le gruppetto est arrivé à bout de force et plus d’une demi-heure après Fédrigo”. Seulement aujourd’hui, c’est journée de repos, et si d’aventure un gonze qui compte pour le podium a eu un coup de “moins bien” hier, il peut se refaire la cerise avant la grande bagarre annoncée pour demain (arrivée au sommet ; là il n’y aura plus de vallée pour se refaire avant de franchir la ligne)
Ce tracé de la course, à cet endroit, c’est du grand n’importe quoi ! Pour que cette étape ait servi à quelque chose, il aurait fallu qu’elle soit précédée de la journée de repos, et qu’elle précède l’arrivée au sommet. Là, l’ensemble aurait composé un tout logique. Le premier jour désossait les plus faibles, le deuxième les hachait (un peu comme au rugby : c’est rarement dans les mêlées fermées que le match bascule, mais la succession de mêlées fermées entame les organismes de l’équipe les plus faibles, et permet les envolées).
Ou alors, on aurait pu raccourcir cette étape en plaçant l’arrivée au sommet de l’Aubisque (ça s’est déjà fait) et là, les cadors avaient l’opportunité de se flinguer pour le podium, d’autres, à un échelon moindre, pouvant s’expliquer pour le top 10. Paradoxalement, cette étape raccourcie aurait été plus dure que la version proposée. Pourquoi ça ne pas été comme ça ? Lire le Vélo pour les nuls d’aujourd’hui, et vous le saurez !
Le vélo pour les nuls – Comment l’organisation détermine les tracé de l’épreuve ?
Les tracés sont présentés au cours d’une cérémonie protocolaire au mois d’octobre de l’année précédente. Mais leur étude commence deux ou trois ans avant chaque épreuve (on réfléchit déjà au Tour 2012)
Les usages veulent que le Tour commence par un “prologue” (contre la montre dont la distance est relativement courte), ce qui n’est en rien obligatoire puisque l’année prochaine, le départ (depuis la Vendée, grande terre de cyclisme) sera une étape en ligne. Les premières étapes sont en général taillées sur mesure pour les sprinteurs, même si des baroudeurs peuvent parfois “sortir” et jouer la gagne. Une année, on fait les Alpes au début, l’année suivante ce sont les Pyrénées qui s’y collent. Un ou deux “Contre la Montre” s’intercalent (le dernier la veille de l’arrivée). Parfois il-y-a un “CLM par équipes” – exercice terriblement exigeant sur les plans physique et technique, profondément injuste quand il influe sur le classement général : on voit alors une performance individuelle anéantie par une défaillance collective ; l’année dernière, trois cadors ont perdu toutes leurs chances dans le CLM par équipes, qui se disputait en outre sur un parcours sinueux et cabossé totalement inadapté à ce genre d’exercice (on ne comptait plus les gamelles collectives).
Cette année, les pavés sont revenus – et je trouve cela excellent car les pavés font partie du patrimoine du vélo. Un Contador qui n’a jamais fait un Paris-Roubaix de sa vie (et qui n’en fera jamais) est venu spécialement s’entraîner trois jours sur les tronçons avant Arenberg. Du coup, on l’imaginait désossé, il a mieux que limité la casse.
Enfin n’oublions pas la dernière étape, de facto divisée en deux parties : une randonnée cyclotouriste où chacun fait le guignol, à 30 km-h (mais dans le règlement, rien n’interdirait de flinguer à tout va, de tenter une manœuvre désespérée pour la gagne) avant de déboucher sur le circuit des Champs Élysées où ça bagarre sec, parce que gagner sur “la plus belle avenue du monde”, c’est le rêve de tout sprinteur. Un coureur chenu qui prend sa retraite a souvent, avec l’accord du peloton, la possibilité d’entrer en tête sur les Champs avant que la bagarre se déclenche. Je ne serais pas surpris qu’Armstrong obtienne cet hommage dimanche prochain.
Mais il ne faut pas oublier que la société Amaury Sport Organisation qui a la main mise sur le Tour de France comme sur d’autres grandes courses est avant tout une machine à dégager du cash, en quantité impressionnante (30% de marge brute). ASO est tellement la patronne chez elle que le président de la fédération française de cyclisme ne peut assister à une étape dans une voiture officielle que s’il a son invitation, et le badge qui va avec ! (bien évidemment c’est une formalité, car les deux organismes s’entendent bien). Les commissaires de course, en revanche – équivalant des arbitres dans d’autres sports - dépendent de l’UCI qui supervise aussi la lutte contre le dopage (hélas ! elle est bien moins stricte dans les procédures que l’AFLD). Mais dans ce domaine, les autorités françaises peuvent toujours “reprendre la main” : les gendarmes sur commission rogatoire, les douaniers ont opéré maintes perquisitions et peuvent faire des investigations dans le cadre de la lutte contre les “trafics illicites”. Petacchi, gros prétendant au maillot vert, est convoqué pour s’expliquer juste après le Tour à propos de “trucs bizarres”. Le ménage continue, bravo !
D’où viennent les recettes d’ASO ?
D’abord, des droits payés par les communes (parfois aidées par les départements et les régions) pour être “ville départ” ou “ville d’arrivée”. La soulte dépasse largement les 100.000 euros mais le gain en notoriété est énorme (le Nord Pas de Calais a vu le portail internet faisant la promotion du site d’Arenberg “exploser” pour cause de fréquentation nombreuse). En plus, les dizaines de milliers de spectateurs consomment, font “tourner le commerce”. Ne cherchez pas : si l’étape d’hier a eu un tracé aussi con sur le plan sportif, c’est que Pau, ville d’arrivée, a raqué un maximum ! En plus, le Tour c’est 1500 personnes à loger et nourrir chaque soir. Les hôteliers ne crachent donc pas sur cette manne.
Dans le passé, ASO a tiré sur la ficelle en imposant des demi-étapes quotidiennes (pour faire payer quatre villes – les départs étant situés à quelques kilomètres des arrivées - et même, parfois, des “tiers d’étapes”. Les coureurs soumis à ces cassures de rythme aberrantes ont collectivement pété un plomb et fait grève, sous la direction d’Hinault. On est revenu à une conception plus “sportive”, le gars montant sur son vélo en début d’étape pour en descendre définitivement à la fin de celle-ci.
Même pour obtenir le passage à tel ou tel endroit, il faut souvent raquer ! (la course fait de curieux détours, pour sanctionner les récalcitrants ou remercier les compréhensifs) Idem, pour avoir un “sprint intermédiaire” comptant pour le classement à points sur le territoire de sa commune, il faut payer. C’est pour cela que ces sprints à bonifications sont souvent placés en dépit du bon sens, par exemple en fin d’étape de montagne quand aucun concurrent pour le maillot vert n’est en mesure de les disputer.
Ensuite, le gros morceau ce sont les droits de retransmission télévisée. Plus de 140 pays partout dans le monde suivent le Tour de France. En France, on compte de 8 à 12 millions de télé spectateurs quotidiens dont beaucoup de mamies follement amoureuses de Paulo la science avec ses commentaires avisés sur notre patrimoine, distillés de sa belle voix chaude (je n’exagère pas : il reçoit des tas de lettres enflammées de dames qui veulent à tout prix le connaître personnellement !). C’est France Télévision qui organise la diffusion des images grâce à ses hélicos et ses motos de même qu’à ses réalisateurs, et qui les cède aux collègues étrangers (les droits vont à ASO, FT se fait payer la prestation technique)
Il y a aussi les droits payés pour avoir un véhicule présent dans la caravane, qui vous offre des échantillons de “saucisson cochonou” (label “fournisseur officiel du Tour” : on imagine tout à fait Contador se taper un sandwich saucisson-cornichon en roulant !), des casquettes, des jouets, des prospectus, etc. Ces véhicules sévissent sur le parcours mais aussi aux villages départ comme aux villages d’arrivée.
Une banque est sponsor du maillot jaune, une autre du maillot vert, une entreprise sponsorise le maillot à pois, etc. Et ces boîtes payent fort cher pour cela.
Les équipes payent aussi pour courir avoir le droit de courir ! Il y a celles qui ont un carton de plein droit (quand elles ont le label “pro tour” attribué par l’UCI) et celles qui sont invitées par ASO parce que quoique n’ayant pas ce label, elles sont susceptibles de “faire le spectacle”) D’autres sont déclarées indésirables quand leur nom est cité dans une affaire de dopage. Contador a manqué un Tour, parce qu’il y avait doute sur son implication dans l’affaire Fuentes. L’ambiguïté levée, il a retrouvé sa place, tout naturellement. L’équipe Saunier Duval, exclue à la suite de la tricherie de Ricco a tout simplement mis la clé sous la porte et cesse de sponsoriser le vélo (elle n’était intéressée que par la visibilité sur le Tour). Ce saligaud a ainsi mis cent personnes au chômage…
benjamin
les Anciens du jour :
Henry Anglade, un français des années 50-60 avec un sacré palmarès; Riccardo Nencini, vainqueur du Tour 1960, le meilleur descendeur de son époque.
Le Chat : En 2007, le Tour passait à Bazoches et j’avais filmé un petit bout de caravanne publicitaire. La très belle description des ressources de l’épreuve me donne l’ocasion de vous proposer à nouveau ce petit film !
C’est lassant !
A demain …Peut-être ?