Front national : jugez sur pièce ! (1)

Publié le 21 juillet 2010 par Sylvainrakotoarison

Le déballage de l’affaire Bettencourt et les exactions à la Villeneuve de Grenoble pourraient faire le jeu du Front national. C’est en substance une inquiétude non seulement de la majorité mais aussi d’une partie de l’opposition. Le vote protestataire pourrait encore favoriser le FN. Mais ses éventuels électeurs savent-ils vraiment où ils mettraient leur vote ? Première partie.

Pierre Moscovici a raison lorsqu’il déplore (sur LCP) les termes un peu faciles des attaques de Martine Aubry ou de Ségolène Royal contre Nicolas Sarkozy et le pouvoir actuel à l’occasion de la sortie des multiples rebondissements de l’affaire Bettencourt.
Boomerang
Selon lui, l’affaire Bettencourt n’est pas l’événement idéal pour la gauche à moins de deux ans de l’élection présidentielle. On gagne rarement une élection présidentielle par défaut. François Mitterrand a fait rêver sur un socialisme à la française. Nicolas Sarkozy aussi sur la capacité de pouvoir tout faire, tout devenant possible, plus de tabou. Même Jacques Chirac a fait rêver avec sa fracture sociale (il avait été aidé par Philippe Séguin). Chaque fois, en 1981, en 1995, en 2007, les jeunes ont plutôt porté le candidat vainqueur.
Croire que le PS va remporter l’élection présidentielle de 2012 par défaut parce que l’UMP a une mauvaise réputation est une erreur et Pierre Moscovici craint justement que les critiques émanant du Parti socialiste reviennent sur lui comme un boomerang. Et cela risque d’être violent.
Le 19 juillet 2010 (sur Europe 1), le député-maire socialiste d’Évry Manuel Valls reconnaissait utiliser, lui aussi, la combine du "microparti". Il faut être assez aveugle pour refuser de constater que la plupart des parlementaires (quel que soit leur bord) utilisent ce type de méthode, légale du reste, afin d’avoir une organisation prête à l’emploi au moment de leurs élections.
Plus généralement, la liste officielle des micropartis est publiée et consultable à ce lien. On y lit que la gauche est aussi adepte de la pratique : Laurent Fabius, Claude Bartolone, Robert Hue, et même Olivier Besancenot ont dans leur poche un microparti !
André Bettencourt, s’il était d’origine CNIP (comme Antoine Pinay), a été un très grand ami de François Mitterrand à l’époque la plus trouble de sa jeunesse et nul doute que l’empire Schueller ait continué à aider François Mitterrand après ce premier emploi de directeur de "Votre Beauté" pendant la guerre.
Bref, l’argument selon lequel l’affaire Bettencourt ne ferait le jeu que des extrêmes me paraît convaincant. Le Parti socialiste n’a pas beaucoup de titres moraux à donner les leçons quand on connaît un peu toutes les affaires politicofinancières qui ont entaché les deux septennats de François Mitterrand (à commencer par l’affaire Lucet).
Le reproche du train de vie de certaines personnes au pouvoir actuellement, s’il est justifié car il concerne l’argent des contribuables et la sobriété devrait aller de soi, ne doit pas occulter que les périodes Mitterrand et Chirac ont été bien pires et bien plus opaques… mais cet état de fait n’excuse évidemment rien.
L’hydre FN
Revenons aux extrêmes et parlons du Front national, puisqu’il en est question depuis les quelques semaines que l’affaire Bettencourt est sortie.
J’avoue modestement m’être trompé deux fois sur ce parti. Je le pensais définitivement agonisant à deux reprises et finalement, il a réussi à renaître de ses difficultés.
La première fois, c’était lors de la scission du 13 décembre 1998 réalisée par Bruno Mégret. Ce fut un coup dur pour Jean-Marie Le Pen car d’une part, Bruno Mégret est parti avec plus de la moitié des cadres du FN, laissant un parti complètement désorganisé (sa fille aînée, Marie-Caroline, destinée à l’origine à être l’héritière, a même suivi Bruno Mégret), et d’autre part, il a mis en évidence le népotisme de la boutique familiale Le Pen. En juin 1999, le FN a fait un très mauvais score dans des élections (européennes) qui généralement l’avantagent : 5,7%. Et finalement, deux ans plus tard, le voici avec 16,9%, sélectionné pour participer au second tour d’une élection présidentielle qui a réuni au premier tour 29,6% d’électeurs autour des deux extrêmes (droite et gauche).
La seconde fois, c’était le 22 avril 2007. La faiblesse du candidat Le Pen, faiblesse presque physique (il n’a fait que très peu de meetings car l’homme bien que dynamique est maintenant âgé et fatigué), et son éloignement progressif de la scène politique pouvait laisser prévoir un FN en "déserrance" électorale et politique (et même financière). Malgré son très mauvais résultat de l’élection présidentielle (sa cinquième et dernière candidature) avec 10,4%, le FN est parvenu à se redresser aux élections régionales des 14 et 21 mars 2010, le FN a bien tenu le coup, et, même, les scores du second tour ont progressé par rapport au premier tour (quand il restait des listes au second tour), contrairement à tous les précédents scrutins.
Toujours présent mais dans une nouvelle phase
Le FN existe donc toujours. Il n’a véritablement existé politiquement qu’à partir de l’élection partielle à Dreux le 4 septembre 1983.
Cependant, il est vrai que la personnalité de Jean-Marie Le Pen a été la part déterminante du succès du Front national : sa grande expérience politique, habile dans les arguments et le verbe, sachant capter l’auditoire et faire des pirouettes aux journalistes. À tel point habile que peu de monde se pressait au portillon pour venir l’affronter publiquement. Il me semble (sauf erreur de ma part) qu’à l’exception de Bernard Stasi, Bernard Tapie et Nicolas Sarkozy, aucune personnalité politique n’a vraiment osé la confrontation directe pendant près de trois décennies. Pas même Jacques Chirac pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002.
Et la certitude depuis plusieurs semaines, c’est que Jean-Marie Le Pen ne sera pas candidat à l’élection présidentielle de 2012 (il aurait 83 ans). Le jeu ira donc entre sa dernière fille, Marine Le Pen (41 ans), et Bruno Gollnisch (60 ans).

Or, les deux paraissent très en deçà des capacités politiques du fondateur du FN. Marine Le Pen est certainement très habile et aussi vindicative, rude au débat (mais bien moins rude que son père) et a un discours qui se porte surtout sur les classes sociales les plus populaires, ce qui pourrait agacer les électeurs traditionnels de l’extrême droite (généralement machistes). Quant à Bruno Gollnisch, malgré une culture très élevée (voir son CV), il faut remarquer qu’il n’a pas l’aisance de communication ni le charisme de son mentor.
Le FN reste-t-il encore un danger alors que ce sera la première fois que la succession sera faite ? Le Pen père était-il indispensable ?
Il semblerait que oui, il reste un danger et non, Le Pen père n’est plus indispensable car il a mis en place, en quarante ans, une machine qui, tant bien que mal, fonctionne finalement pas trop mal. Elle est une PME familiale à comparer aux grosses multinationales que sont l’UMP et le PS (et aux sociétés coopératives des Verts et du MoDem), et comme la succession semble se faire dans de bonnes conditions, la PME est encore utilisable (malgré des finances calamiteuses).
Pourquoi le FN pourrait-il recueillir encore beaucoup de voix ?
Parce que les "gens" en auraient marre des collusions entre classe politique et dirigeants économiques, de l’impuissance des partis gouvernementaux à résoudre les problèmes du chômage, de la sécurité etc. et que seul, le choix du FN serait le meilleur moyen pour "ennuyer" cette classe politique. Ce qui n’est pas faux.
Le FN est-il "capable"... ?
Pourtant, des affaires troubles, le FN n’est pas à l’abri. Il suffit de voir la gestion du Paquebot depuis longtemps, d’enquêter sur l’origine de la fortune de son fondateur, et d’observer la gestion déplorable des municipalités gagnées par le FN : Toulon, Vitrolles, Marignane, Orange… Dans chaque cas, népotisme, subventions retirées ou octroyées à la tête du client etc. montrent quels seraient les dégâts si le FN arrivait aux "affaires".
Plus politiquement, on peut aussi s’interroger (en s’inquiétant) sur l’absence d’équipe aux côtés des deux ou trois leaders du FN. Qui pourraient appartenir à un gouvernement FN ? Pas même de noms pour le casting. Et je ne parle même pas de capacité à obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale.
Autant cet argument ne tenait pas beaucoup la route avec François Bayrou car il était clair (comme le disait Jean-Luc Mélenchon à l’époque) qu’une fois élu, François Bayrou aurait reçu de multiples soutiens, pour le FN, isolé de la classe politique, personne à part sans doute quelques éléments isolés qui penseraient à leur carrière n’irait se rallier à un leader du FN, même élu à l’Élysée.
Jugez sur pièce
Cela dit, la seule chose qui vaille pour juger correctement une candidature ou un parti, c’est de connaître et d’analyser son programme politique.
J’avoue que j’ai hésité avant d’en parler : est-ce bon d’en faire la publicité ? Et puis je me suis interrogé sur le pourquoi de l’absence de programme du FN dans les médias : serait-ce parce que les "méchants" journalistes n’en parleraient jamais ? ou parce que les "gentils" leaders du FN n’en parlent pas quand ils en ont l’occasion ? La seconde assertion me paraît plus fondée que la première. Et effectivement, il est très étonnant de ne pas connaître le programme du FN car peut-être que certains électeurs putatifs du FN reviendraient sur leur tentation…
L’analyse du programme du Front national sera donc l’objet de mon prochain article.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 juillet 2010)
Pour aller plus loin :
Programme du Front National à télécharger.
Documentaire "Le Pen dans le texte" (20 février 1997).
Liste officielle des micropartis (à télécharger).

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/front-national-jugez-sur-piece-1-78726

http://www.lepost.fr/article/2010/07/21/2159903_front-national-jugez-sur-piece-1.html

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-180