Dans « Yvette », Maupassant écrit cette page.
A marquer d’une pierre blanche, selon moi.
-« As-tu prévenu cette dame que tu allais me présenter chez elle ? »
Servigny se mit à rire.
-« Prévenir la marquise Obardi ! Fais-tu prévenir un cocher d’omnibus quand tu monteras dans sa voiture au coin du boulevard ? »
Saval, alors, un peu perplexe, demanda :
-« Qu’est-ce donc au juste que cette personne ? »
Et son ami répondit :
-« Une parvenue, une rastaquouère, une drôlesse charmante, sortie on ne sait d’où, apparue un jour, on ne sait comment, dans le monde des aventuriers, et sachant y faire figure. Que nous importe d’ailleurs. On dit que son vrai nom, son nom de fille, car elle est restée fille à tous les titres, sauf au titre innocence, est Octavie Bardin, d’où Obardi, en conservant la première lettre du prénom et en supprimant la dernière du nom.
C’est d’ailleurs une aimable femme, dont tu seras inévitablement l’amant, toi, de par ton physique. On n’introduit pas Hercule chez Messaline, sans qu’il se produise quelque chose.
J’ajoute cependant que si l’entrée est libre en cette demeure, comme dans les bazars, on n’est pas strictement forcé d’acheter ce qui se débite ans la maison. On y tient l’amour et les cartes, mais on ne vous contraint ni à l’un ni aux autres. La sortie aussi est libre. »
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« J’allai chez elle, comment ? Je ne le sais plus. J’y allai, comme nous allons tous là-dedans, parce que l’on y joue, parce que les femmes sont faciles et les hommes malhonnêtes. J’aime ce monde
De flibustiers à décorations variées, tous étrangers, tous nobles, tous titrés, tous inconnus à leurs ambassades, à l’exception des espions.
Tous parlent de l’honneur à propos de bottes, citent leurs ancêtres à propos de rien, racontent leur vie à propos de tout, hâbleurs, menteurs, filous, dangereux comme leurs cartes, trompeurs comme leurs noms, braves parce qu’il le faut, à la façon des assassins qui ne peuvent dépouiller les gens qu’à la condition d’exposer leur vie. C’est l’aristocratie du bagne, enfin.
Je les adore. Ils sont intéressants à pénétrer, intéressants à connaître, amusants à entendre, souvent spirituels, jamais banals comme des fonctionnaires français.
Leurs femmes sont toujours jolies, avec une petite saveur de coquinerie étrangère, avec le mystère de leur existence passée, passée peut-être à moitié dans une maison de correction.
Elles ont, en général, des yeux superbes et des cheveux incomparables, le vrai physique de l’emploi, une grâce qui grise, une séduction qui pousse aux folies, un charme malsain, irrésistible !