Le Modem s’est-il noyé en troublant les eaux de la Garonne ?

Publié le 17 décembre 2007 par Willy

Le Modem s’est-il noyé en troublant les eaux de la Garonne ?

  Par Bernard Dugué (son site)



François Bayrou aurait-il été joueur au petit bras ou bien marchand de tapis ? C’est ce que les observateurs de la politique sont en droit de penser, avec les citoyens intéressés et, en premier lieu, les militants du Modem. Le bal des présidentielles étant achevé, Bayrou s’en est allé fonder le Modem et tel un Cendrillon sans son carrosse, il parcourt le territoire, rencontrant les médias qui tentent de le chausser pour s’assurer que ce Bayrou est bien une grosse pointure de la politique. Pour beaucoup, le troisième de la présidentielle risque de subir l’effet pschitt... et le météore de quitter son orbite médiatique pour luire plus discrètement. Mais pas de quoi lui faire la Pau !

Quoi qu’il en soit de son avenir politique, ce qui suscite les discussions, c’est la liste commune que fera le Modem avec Alain Juppé, actuel maire et éminente figure fondatrice de l’UMP. C’est bien évidemment contraire à la volonté d’indépendance affichée par Bayrou mais, comme l’explique bien Robert Schneider dans une fine analyse dans l’Obs, le chef du Modem n’avait pas le choix. Certes, il pouvait miser sur les 22 points des présidentielles mais compte tenu de l’affrontement des deux poids lourds que sont Juppé et Rousset, il aurait eu quelque difficulté à faire émerger la liste de son nouveau parti. Voilà un argument qui, sans doute très solide, dévoile quelques failles en filigrane. Car au moment des présidentielles, notre hussard du nouveau centre a bel et bien affronté deux monstres de la politique. Est-ce à dire que le Modem ne repose que sur une personne et qu’à l’échelle des cellules locales, il n’y a que du mou ? Certes, si le Modem avait présenté sa liste, on peut parier que les actuels élus du centre auraient rejoint Juppé mais un parti repose sur des forces et parmi les militants du Modem, une liste de nouveaux candidats, motivés et passionnés, eût été plus conforme à la stratégie d’émergence du Modem. Ainsi qu’au projet de renouveau démocratique. Quand on a des idées et projets, pourquoi ne pas jouer la carte citoyenne et les défendre en allant au plus près du citoyen, plutôt que de les livrer comme monnaie d’échange à une équipe municipale en place moyennant des places sur une liste. Certes, c’est beau, un projet du Modem pour Bordeaux, mais une fois l’accord passé, les horizons citéens des enfants de Bayrou risquent bien d’être phagocytés par la machine électorale de Juppé lorsque la campagne aura démarré. Et le citoyen distrait de voter pour une alliance centre UMP, comme par le passé. Rien de nouveau. Robert Schneider évoque la tactique des partis centristes sous la IVe République, nouant des alliances à droite ou à gauche pour quelques postes d’élus, autrement dit les miettes du pouvoir pour reprendre l’expression de l’éditorialiste qui, du reste, s’avère sévère en envisageant une survie artificielle de François Bayrou. Et je ne suis pas loin de livrer un verdict similaire avec ce billet qui, pour moi, sera l’occasion de fermer le dossier centriste car à un moment donné du cours des choses politique, il est temps de clore la partie. De fermer le rideau qui fume de son intégrale d’illusions.

Avant de fermer ce rideau, intéressons-nous à cette attention sémantique voulue par Bayrou qui croit encore aux ficelles des formules, sans doute n’a-t-il pas entièrement tort, en insistant sur la nature du contrat passé avec Juppé. Non, revendique-t-il, il n’y a pas eu d’accord mais un partenariat. Le citoyen pas trop idiot aura vite détecté la langue de bois, le sens de l’esbroufe, l’esquive, l’art de botter en touche. Un accord suppose au sens métaphysique, une haute valeur de vérité, de consonance, d’entendement sur des choses essentielles. Un accord renvoie aussi à une négociation. Des intérêts convergents ont permis aux parties de s’entendre sur une feuille de route signée en commun. C’est le cas dans le domaine des négociations entre patrons et syndicats, mais aussi en politique. Comment faire accroire qu’il n’y a pas eu accord entre le Modem et l’UMP pour faire liste commune ? C’est prendre les gens pour des imbéciles que de mégoter sur la signification des mots et parler d’un partenariat comme le revendique Bayrou. C’est même se tirer une balle dans le pied car la notion de partenariat évoque la participation d’une entreprise dans le capital d’un grand groupe. De ce fait, le partenariat du Modem signifie une représentation du politique calquée sur celle de l’entreprise. Avec ses 22 points à la présidentielle sur Bordeaux, Bayrou a monnayé les voix de ses électeurs pour que son parti devienne actionnaire minoritaire certes, mais avec force jetons et adjoints, du conseil d’administration de la ville de Bordeaux dont les réunions se tiennent au Palais Rohan. On dit aussi partenaire de jeu. Bayrou a joué sur l’échiquier politique une partie. Qu’on peut tenter d’analyser.

Non sans évoquer la situation d’un héritier qui dispose d’un bien et qui veut le vendre avec précipitation, sans travailler son produit, le valoriser, et le propose à un prix sous évalué à un acheteur de peur de perdre le montant escompté de la transaction et de faire fuir l’acheteur. Marchandage. Ainsi... no comment.

L’élection municipale de Bordeaux est certainement celle qui se dessine avec le plus de traits saisissants comme reflétant un enjeu national, bien plus que dans les autres grandes métropoles. Quoi qu’il advienne, un constat s’impose. Le Modem bordelais a abdiqué face à l’enjeu. L’avenir dira si ce constat d’un dégonflement du soufflet centriste est avéré. Mais pour l’instant, force est de constater que Bayrou a joué petit bras. Et que l’Histoire est tellement puissante qu’elle anéantit tous ceux qui tentent d’infléchir son cours en jouant des cartes personnelles ou des tactiques valables un moment mais invalides ensuite. Ce qui a été hélas pour l’intéressé le cas du coup de dés joué par Bayrou lors des présidentielles. Se sachant sur une mauvaise donne, notamment parce que Sarkozy ne s’en tire pas si mal, Bayrou s’est décidé pour jouer la consolante (Paraclet), terme qu’on n’ira pas jongler sur les terres évangéliques, ce serait placer Bayrou bien trop haut, mais sur le terrain de la pétanque. Bayrou, qui n’a pas démérité et qui a du talent, se contentera de la mairie de Pau. La clé des négociations secrètes n’a que peu d’importance. Ainsi va l’Histoire et le jeu politique qui avec cette exemplarité des municipales de Bordeaux, montre qu’une partie est pour certains déjà jouée. Le Modem a signé sa dissolution dans les eaux troubles de la Garonne. Comme si l’issue de cette fronde politique était déjà inscrite selon des dispositions que les initiés de Sun Tse connaissent.