Les nouvelles de Lauren Groff sont des crèves-coeurs.
Celle dont je veux parler aujourd’hui est particulièrement touchante. En moins de trente pages, l’auteure nous raconte une génération de mères : la première le devient en 1951, et la nouvelle s’achève lorsque sa fille, née cette année-là, a également des enfants, notamment une autre fille, adolescente. Ce qui est intéressant, c’est de voir le contraste entre les éducations (liées aussi aux époques) et l’amour donné aux filles qui façonnent deux individus totalement différents. Mais Lauren Groff ne s’appesantit pas, elle est subtile, allusive, poète. Elle ne donne pas de leçon, elle suggère.
La première fille est mal aimée, par un père alcoolique et une mère dépassée qui ne s’intéresse pas vraiment à ses enfants. La petite fille est vite cataloguée “lente d’esprit” à cause d’un malentendu mais, comme dit son père, “au moins, elle aura toujours son physique pour elle”. Et oui. Car elle est jolie. Très. Dès lors, la seule façon qu’elle aura d’exister sera de se donner à qui la voudra et d’être majorette, jusqu’à ce qu’elle rencontre quelqu’un qui lui demande son opinion, et lui redonne alors du même coup sa cervelle, le droit d’en avoir une. Ça changera sa vie.
À son tour mère, elle aimera ses enfants, les écoutera, les valorisera. Sa fille deviendra alors “un vrai piment rouge”, “grande et musclée, dure et rieuse”, une fille qui met de “l’ardeur” dans sa vie. Sa mère s’en réjouira, décidant que c’est une bonne façon d’aborder l’existence, et nous, on se réjouit avec elle.
Photographie de je-ne-sais-qui-hélas mais trouvée là.