« DEUXIÈME PÉRIODE PUBLICITE ET ANNONCEURS
La deuxième période de la publicité est celle qui ne suggère qu’à la longue par un travail de pénétration de l’esprit public incessant, et qui n’agit qu’indirectement, de l’acheteur conquis à
l’Annonceur. Elle s’exerce bien, si l’on veut, directement, comme la première, de l’Annonceur à l’acheteur, mais ses effets ne se réalisent que par intermédiaires, après de longs et nombreux
relais. Aussi les résultats n’en peuvent-ils être tangibles qu’après un temps plus ou moins long, durant lequel l’Annonceur sera dans l’impossibilité relative de savoir si sa publicité opère ou
n’opère pas.
Nous l’appellerons : Publicité obsédante et indirecte, à effet différé. Nous disons « obsédante » par opposition avec « suggestive », ce qui est la qualité de la publicité de la première période,
quoique au fond, sous les deux aspects, elles soient aussi suggestives l’une que l’autre.
Dans sa deuxième période, la publicité vue et lue ne peut agir avec la rapidité qu’elle a dans la première. L’acte déterminatif et terminatif ne se produit pas dès la publicité révélée, parce qu’elle n’agit pas seule, et en proportion de ses seuls efforts. C’est en raison de ce régime particulier que nous la nommons : à effet différé.
C’est essentiellement la forme de publicité à adopter pour le lancement des marques de consommation, des produits d’entretien mis en vente sous cachets, des spécialités pharmaceutiques
à dénominations arbitraires, qui ne sont, au reste, que des produits de marque.
Mais elle n’agit pas seule, nous venons de le dire, et voici pourquoi :
La vente et la Publicité.
Les marques de consommation et d’entretien ne se vendent généralement pas directement de celui qui les fabrique à celui . qui les consomme. Elles se vendent, au contraire, de celui qui les fabrique ou qui les entrepose et les débite en gros, à des grossistes, d’abord, lesquels les revendent ensuite à des détaillants. C’est chez le détaillant que le public va chercher le produit annoncé, et il ne peut s’en rendre acquéreur qu’autant que ce détaillant en est. pourvu. De sorte qu’aux opérations de publicité
proprement dite s’ajoutent les opérations inhérentes à l’organisation de la vente et qui doivent s’harmoniser très étroitement avec les premières. On pourrait faire une publicité très attrayante, très vigoureuse pendant plusieurs années, pour un produit de marque, qu’on n’en vendrait que de très faibles quantités, si la vente n’était pas organisée parallèlement et conjointement.
Tout le monde se rappelle la fable de l’aveugle et du paralytique. Eh bien ! la publicité, c’est l’aveugle ; la vente, c’est le paralytique. L’un ne peut se déplacer, se mouvoir, sans le concours de l’autre. La publicité seconde, soutient, pousse l’agent chargé de la vente ; l’agent vendeur —voyageur, placier, représentant — fournit à. l’Annonceur les éléments indispensables pour grossir, étendre, généraliser sa publicité.
Mais ici, encore, existent des impedimenta nombreux qui contribuent à rendre l’action de la publicité plus lente. Ils sont de plusieurs ordres.
Si l’on suppose un Annonceur au moment où il se dispose à lancer dans la consommation un produit nouveau, susceptible d’être acheté par toute la population du pays, un cirage, par exemple, il aura à compter, avant d’arriver au maximum de sa vente, avec les acheteurs de cirage qui ont déjà l’habitude d’une autre marque dont ils se trouvent bien, puis avec ceux qui, désireux de faire l’essai du nouveau produit, auront cherché à se le procurer, mais ne l’auront trouvé en vente nulle part. Il y a encore ceux qui, au moment où la publicité les aura impressionnés, porteront des chaussures jaunes ou des bottines en chevreau et n’useront pas momentanément de cirage.
C’est ainsi que s’explique le terme,« obsédante » que nous appliquons à la publicité des marques de consommation et des produits d’entretien. C’est encore pour ces raisons que nous la disons indirecte, et le lecteur comprendra certainement que les effets d’une semblable publicité ne peuvent être que différés.
Mais, si c’est particulièrement par l’obsession que la publicité dans sa deuxième période manifeste son influence, elle n’en doit pas moins avoir toutes les qualités nécessaires pour suggérer la possibilité puis l’envie de l’achat.
Enfin, pour être obsédante, dans ses manifestations répétées, il n’en résulte nullement que^ comme on l’a prétendu, ce soit la dixième ou la vingtième manifestation qui décide. Chaque annonce, chaque affiche considérée par elle-même; possède toute sa force de pénétration et doit conduire à l’acte terminatif : l’achat. Mais chaque annonce, chaque affiche ayant bien produit son effet, c’est son résultat qui fait souvent défaut- Elles ont bien, l’une et l’autre, rempli leur fonction, qui est de
susciter le désir et de déterminer à l’acquisition; c’est la satisfaction de ce désir, sa réalisation effective qui ne peuvent pas toujours s’accomplir — surtout au début d’un lancement —
lorsque la chose annoncée n’est pas en vente chez le détaillant qualifié pour en tenir un approvisionnement.
L’action cumulative.
On a beaucoup parlé de l’action cumulative de la publicité. Il est possible que cette action existe, mais c’est loin d’être démontré. L’admission de ce principe conduirait un Annonceur à poursuivre une campagne de publicité pendant un temps sou- vent fort long, même en dépit de l’insuccès des commencements,. en escomptant que l’effort accompli constitue une sorte de force motrice susceptible de s’accumuler, comme s’accumule l’énergie électrique empruntée à un torrent, et capable, à un moment donné, d’actionner la machine-publicité, pour lui faire produire des achats.
Nous devons avouer que nous n’avons pas d’exemples de cette action cumulative.
Il est indéniable qu’un produit, après une période de lancement d’un, deux ou trois ans, a des chances sérieuses d’être plus connu qu’à ses débuts, parce que, forcément, la publicité faite pour lui pendant ce temps n’a pu se manifester sans laisser dans les cerveaux des traces de souvenirs. Le consommateur, sous les yeux duquel le nom d’une marque a passé de nombreuses fois, n’est pas sans se dire, à la centième fois : J’ai déjà vu le nom de cette marque quelque part. Mais si ces cent
annonces n’ont pas conduit ce consommateur à l’acte déterminatif, il faut que l’action de la publicité ait été bien faible, bien vague, pour ne l’avoir pas plus vivement impressionné, ou que, vraiment, il n’ait jamais eu un vrai désir de la marchandise annoncée.
Si l’action cumulative existe, et si elle constitue un des éléments du succès d’une marque, nous estimons qu’il ne faut la considérer que comme une sorte de sous-produit de la publicité et qu’il vaut mieux, pour vérifier le rendement de la publicité, s’en tenir à des éléments d’appréciation plus positifs.
Aussi peut-on affirmer que la conquête d’un marché pour une marque nouvelle n’offre pas ses plus grandes difficultés dans la vulgarisation du nom de cette marque et dans la pénétration des consommateurs. C’est bien plutôt dans l’acquisition du concours intéressé des intermédiaires de la vente que l’Annonceur rencontrera les plus nombreux obstacles. »
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Source
Titre : Traité pratique de publicité commerciale et industrielle. Le mécanisme de la publicité avec diverses applications / D. C. A. Hémet,… ; avec une préface de Emile Gautier
Auteur : Hemet, D.C.A (1866-1916)
Éditeur : « la Publicité » (Paris)
Date d’édition : 1922
Contributeur : Gautier, Émile (1852-1937). Préfacier
Contributeur : Angé, Louis. Éditeur scientifique
Type : monographie imprimée
Langue : Français
Format : 2 t. en 1 vol. (XXIX-250, 298 p.) : ill. ; in-8
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