Œcuménisme. La véritable histoire d’une guerre qui n'a pas eu lieu

Publié le 19 juillet 2010 par Walterman


ROME, le 19 juillet 2010 - Parmi les dossiers transmis par le cardinal Walter Kasper à l'archevêque suisse Kurt Koch, qui vient de lui succéder comme président du conseil pontifical pour l'unité des chrétiens (photo), l'un des plus brûlants concerne l'Ukraine.
Une preuve : lors de sa visite à Rome en mai dernier, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou et de toutes les Russies, a indiqué que la question ukrainienne constituait effectivement le seul véritable obstacle à une rencontre entre Benoît XVI et le patriarche orthodoxe russe Kirill.
Il y a moins d'un mois, www.chiesa a consacré tout un article à la question ukrainienne :
> L'Ukraine sert d'arbitre entre le pape et le patriarche de Moscou
Cet article évoquait notamment l'un des moments les plus critiques du conflit entre Rome et Moscou, ayant l'Ukraine comme épicentre, en 2003 et 2004. La raison de cette tension était l'élévation de l'Église gréco-catholique ukrainienne au rang de patriarcat, fortement souhaitée par cette Église mais intolérable pour l'ecclésiologie russe, selon laquelle il ne peut y avoir de patriarcat "romain" dans un territoire où existe déjà un patriarcat orthodoxe.
Voici, en effet, comment commençait une lettre très dure écrite le 29 novembre 2003 à Jean-Paul II par le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée I er :


"Je voudrais soumettre à votre attention une question très sérieuse [...]. Il s'agit en particulier de votre intention d'instituer le patriarcat [gréco-catholique] en Ukraine, intention qui a été communiquée à notre frère Alexis, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, par votre cardinal Walter Kasper, comme me l'a fait savoir le patriarche de Moscou lui-même".


Après une longue argumentation, Bartholomée Ier concluait en déclarant que si jamais le nouveau patriarcat gréco-catholique d'Ukraine prenait corps, ce serait une catastrophe pour le mouvement œcuménique.
Mais est-ce que les choses se sont effectivement passées ainsi ? Le cardinal Kasper a-t-il vraiment annoncé par écrit au patriarche de Moscou - à l'époque, c'était Alexis - la décision de Rome d'élever l'Église gréco-catholique ukrainienne au rang de patriarcat ? Et Kasper a-t-il vraiment dû courir à Moscou pour rétracter cette annonce ?
Une source autorisée, appartenant au conseil pontifical pour l'unité des chrétiens, a fourni à www.chiesa une reconstitution des faits très différente de celle qui résulte de la lettre de Bartholomée Ier :


"Il n'est pas vrai que le cardinal Kasper ait annoncé dans une lettre au patriarche de Moscou l'élévation du cardinal Lubomyr Husar, l'archevêque majeur de l'Église gréco-catholique ukrainienne, au rang de patriarche. Une telle lettre, contenant une annonce d'une telle portée, n'aurait été possible qu'avec l'autorisation du pape, autorisation qui n'a jamais été donnée. Lors d'une précédente réunion de cardinaux, Kasper n'avait pas été le seul à formuler de sérieuses réserves quant à une telle démarche : celui qui était alors le cardinal Joseph Ratzinger avait également exprimé son opposition par écrit. La lettre de Kasper à Moscou contenait seulement quelques réflexions sur l'histoire et le statut canonique des patriarcats du point de vue catholique, réflexions qui étaient semblables à celles qu'avait formulées le cardinal Ratzinger.
"Mais le patriarcat de Moscou a mal compris cette lettre ou, plus probablement, il s'en est servi pour inciter d'autres patriarcats orthodoxes à écrire des lettres de protestation à Rome, parmi lesquelles celle de Bartholomée Ier a été la plus dure. Bartholomée faisait l'objet de pressions de la part de Moscou : par sa lettre, il a voulu montrer que c'était lui et pas Alexis qui était le véritable leader 'œcuménique' de l'orthodoxie. Dans sa réponse prudente au patriarche de Constantinople, le pape Jean-Paul II exprima la 'surprise' qu'il avait éprouvée en prenant connaissance de la lettre et invita Bartholomée I er à Rome. La visite eut lieu, elle se déroula de manière très pacifique et il ne fut même pas question de la controverse relative au patriarcat ukrainien : silence absolu, comme si celle-ci n'avait jamais existé. Par la suite, Bartholomée I er lui-même n'est plus jamais revenu sur cette question, à tel point que l'on en vient à penser que cette lettre du 29 novembre 2003, qui montre beaucoup d'érudition du point de vue de l'historiographie orthodoxe traditionnelle, n'aurait pas été écrite par lui mais par d'autres personnes".


Par ailleurs, la même source appartenant au conseil pontifical pour l'unité des chrétiens a également souhaité corriger un autre passage de l'article de www.chiesa, celui où il était dit que le gel des relations entre Rome et Moscou avait duré jusqu'à la fin du pontificat de Jean-Paul II, pour ne disparaître qu'ensuite, avec le nouveau pape :


"Ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées. Après l'incident mentionné plus haut, le cardinal Kasper s'est rendu à plusieurs reprises à Moscou et le climat entre les deux parties a commencé à s'améliorer. Le véritable tournant a eu lieu en 2004, lorsque le pape a remis au patriarche de Moscou l'icône de la Mère de Dieu de Kazan, cet événement étant accompagné d'un échange de lettres très amicales entre Jean-Paul II et Alexis. C'est ce geste qui a rompu la glace et rendu possible la présence, aux funérailles de Jean-Paul II et à l'intronisation du pape Benoît XVI, de pratiquement tous les patriarcats orthodoxes, y compris celui de Moscou, ce qui n'était jamais arrivé dans toute la longue histoire de l'Église. Par conséquent le terrain des rapports avec Moscou et avec les autres patriarcats orthodoxes était déjà bien préparé au début du nouveau pontificat. Du côté de Moscou il y a eu ensuite de nouvelles raisons de changer d'attitude, avec le nouveau pape. Le fait que Jean-Paul II ait été polonais, alors que son successeur est allemand, est certainement l'une de ces raisons, mais dans ce contexte c'est tout à fait marginal".