Thierry ROLLET : Jean-François, de quand date votre vocation d’écrivain ?
Jean-François CAPELLE : Plutôt que de vocation je parlerai de besoin d’écrire. Comme beaucoup de personnes j’avais envie d’écrire mais ne m’en donnais pas le temps. Au fil des ans j’avais toutefois rempli de nombreux carnets de notes avec des remarques et des descriptions de gens et de lieux. Ce n’est que récemment, ayant pratiquement cessé mes activités professionnelles, que le projet d’écrire s’est réellement imposé ; initialement pour me donner un nouveau défi, puis si j’ose l’avouer pour laisser une autre trace.
Thierry ROLLET : Quel est la genèse de votre roman ? Ses sources d’inspiration notamment ?
Jean-François CAPELLE : À plusieurs reprises des amis m’avaient suggéré de raconter mes expériences dans les différents pays où j’avais séjourné. N’aimant pas les gens qui se prennent trop au sérieux, je ne voulais pas écrire quelque chose qui ressemble à des mémoires et j’ai opté pour un récit romancé inspiré des techno-thrillers. Cette approche me permet d’insérer beaucoup de faits vécus, et quelques idées, tout en essayant de ne pas ennuyer les lecteurs. Le milieu de la construction des barrages, qui est un de ceux pour lesquels j’ai travaillé, c’est imposé naturellement. J’ai choisi l’Inde et le Népal comme premiers terrains de jeu parce que ce sont des pays que j’aime et qui m’ont beaucoup apporté.
Thierry ROLLET : Vous désignez comme principaux protagonistes de ce roman des personnages appartenant à une minorité sexuelle. Pour quelles raisons ?
Jean-François CAPELLE : La première raison est que je connais particulièrement bien ce milieu. La seconde est que j’avais l’intention de montrer que son appartenance n’est pas un obstacle à la réalisation d’une vie passionnante et constructive. En disant cela je pense au nombre effarant de jeunes gays qui se suicident par manque d’estime d’eux-mêmes ou en raison du rejet de leur entourage.
Ce choix fait aussi partie de ma volonté de promouvoir la diversité.
Thierry ROLLET : On s’aperçoit au cours du roman que le voyage y tient une grande place. Dites-nous en quoi il peut être considéré comme un des éléments moteurs de l’intrigue ?
Jean-François CAPELLE : Le voyage est effectivement un élément moteur de La Traque. Il caractérise mon personnage principal qui se définit lui-même comme étant nomade et arpenteur de paysages. Il justifie aussi la rencontre avec des individus peu ordinaires et permet de transporter l’intrigue dans diverses sociétés et cultures. En fait le voyage est pour moi un élément essentiel pour dépeindre la diversité du monde, sujet qui m’est très cher.
Thierry ROLLET : Quelle place le voyage tient-il dans votre propre existence ? Vous compareriez-vous à Joseph Kessel, par exemple, dont l’œuvre littéraire s’inspire de ses voyages et de ses reportages ?
Jean-François CAPELLE : Je n’aurais pas la prétention de me comparer à un auteur tel que Joseph Kessel, mais j’aimerais réussir à faire voyager et rêver mes lecteurs comme il le fait, ainsi que d’autres auteurs que j’admire, comme Blaise Cendrars ou Henry de Monfreid.
Ce sont effectivement les expériences que j’ai vécues lors de mes voyages qui sont ma principale source d’inspiration. Pouvoir côtoyer dans le cadre de mon travail des gens d’autres cultures, m’a appris à relativiser l’importance que l’on donne à son mode de vie et à ses « certitudes ».
J’ai ainsi pris conscience que la notion de tabou, voir même les frontières entre le bien et le mal, variaient d’un endroit du globe à l’autre. En parcourant le monde on réalise mieux que nous sommes tous passagers d’un même vaisseau, et que les problèmes des autres sont aussi les nôtres.
Le voyage est pour moi une formidable école de tolérance.
Thierry ROLLET : Parlez-nous de vos techniques d’écriture, de composition romanesque… ?
Jean-François CAPELLE : Ayant une formation technique et non littéraire, je me suis lancé dans l’écriture d’un roman sans aucune méthode ou idée préconçue.
Je me suis tout d’abord essayé à écrire à travers les yeux d’un seul personnage qui aurait été un « je » déguisé. Toutefois je me sens plus à l’aise avec un narrateur externe non omniscient. Cela permet d’exposer plus facilement des pensées marginales, par la bouche de personnes fictives.
J’avais dès le début une idée claire du sujet et j’ai échafaudé un plan, comme
j’avais l’habitude de faire pour les écrits techniques, plan que je n’ai évidemment pas suivi. J’ai eu en écrivant le curieux sentiment que certains de mes personnages vivaient vraiment en dehors de moi, et m’entrainaient dans leurs propres aventures sans respecter mon plan initial.
Plus concrètement je me suis aussi inspiré de la technique de Zola avec ses cinq dossiers initiaux avant de commencer l’écriture de La Traque.
En ce qui a trait à l’usage de chapitres courts, j’ai été influencé par la notion qu’il est difficile de retenir l’attention d’un lecteur ou d’un téléspectateur plus que quelques minutes sans risquer de l’ennuyer…ma grande crainte.
Au début, j’écrivais à la main dans des cahiers, au milieu de l’agitation de terrasses de café et je retranscrivais ensuite mes notes sur l’ordinateur. Maintenant mes séances d’écriture ont lieu à la maison, directement au clavier.
Thierry ROLLET : la Traque est-elle votre premier roman ? Avez-vous déjà publié auparavant ?
Jean-François CAPELLE : La Traque est mon premier roman édité. Auparavant j’avais écrit deux récits romancés : le premier traitant de mes souvenirs de jeunesse vus à travers des yeux d’enfant, et le second concernant les dernières années vécues auprès de mon compagnon d’alors, décédé du sida. Dans les deux cas j’ai donné ces écrits à des proches, famille et amis, seulement.
Par ailleurs j’ai publié de nombreux articles techniques ou scientifiques dans des publications spécialisées internationales.
Thierry ROLLET : Parlez-nous de vos thèmes romanesques de prédilection, si vous en avez, ainsi que de vos projets littéraires… ?
Jean-François CAPELLE : Je suis un passionné de géographie et de géopolitique et suis très conscient de la chance que j’aie eue d’exercer un métier qui m’a amené à parcourir le monde à maintes reprises. Les grands ouvrages de génie civil sur lesquels j’ai travaillé étant généralement construits dans des lieux hors des sentiers battus, j’ai envie de faire partager le plaisir que j’ai eu à découvrir ces endroits uniques.
En dehors de la beauté de la nature et de la place primordiale de l’eau dans notre vie, les thèmes qui me sont chers, sont la tolérance et l’importance de protéger la diversité dans tous les domaines. Ceci m’amène à m’insurger de plus en plus fortement face aux conventions et dictats ex-cathedra des religions et au fanatisme. Je trouve très inquiétante la montée en puissance des mouvements religieux réactionnaires. Comme je n’ai pas la notoriété pour en faire le thème central de mon écriture, je glisse ces idées dans des dialogues à bâtons rompus entre mes protagonistes.
Un autre sujet qui m’interpelle est la façon inique avec laquelle des pays occidentaux ont annihilé l’âme des populations qu’ils colonisaient. Le retour à l’avant-scène de ces peuples dans plusieurs régions du monde est un thème qui m’intéresse.
Comme projet en cours j’ai un autre roman-récit qui est une suite de la La Traque. Il se déroule sur les hauts plateaux andins du Pérou, dans le cadre d’une exploitation minière et d’arnaque financière, avec en filigrane le réveil des Indiens de l’Altiplano. Il est très avancé et j’espère le terminer cet automne.
Un troisième roman-récit commence à mijoter. Cette fois je compte amener les lecteurs en Chine, sur le chantier de construction du barrage des Trois Gorges sur le Yangzi Jiang.
Je n’ai pas aussi abandonné l’idée de compléter un des récits dont je parlais précédemment et qui traite de l’accompagnement vers la mort d’un être cher, victime du sida. Malgré les 15 ans qui se sont écoulés depuis l’écriture des premières lignes des Randonnées avec Atropos, j’ai toujours autant d’émotion quand je relis certains passages et j’ai de la peine à le compléter.
Là encore il est aussi beaucoup question de voyages.
Thierry ROLLET : En fait, vous définissez la Traque comme un récit et non comme un roman. Pour quelles raisons ?
Jean-François CAPELLE : Le terme de récit, au lieu de roman, a été choisi par l’éditeur et je suis d’accord avec ce choix. En effet j’ai vécu la majorité des faits relatés dans La Traque et j’ai visité tous les lieux qui y sont décrits que ce soit le petit hôtel du Vieux Delhi, refuge des moines tibétains en exil, le temple souterrain et l’imprimerie de Katmandou. Selon la définition d’un récit, celui-ci peut comporter des faits imaginaires et cela est le cas pour La Traque en ce qui concerne les meurtres évidemment. Mais même là, je me suis inspiré d’un accident mortel réel qui est survenu suite à une chute de l’échafaudage spectaculaire du barrage de Supa, où je travaillais… mais ce n’était pas un meurtre !
Quant à l’élément déclencheur de l’action qui est le remord d’avoir abandonné quelqu’un par sotte convention, il est aussi basé sur un fait réel.
Thierry ROLLET : Le terrible fléau du sida, évoqué dans votre ouvrage, est-il lui aussi l’un des éléments moteurs de l’intrigue ?
Jean-François CAPELLE : L’action de La Traque se déroule au milieu des années 80. L’épidémie de sida faisait alors des ravages terribles dans la communauté gay et ayant alors perdu plusieurs de mes amis proches j’ai été personnellement très affecté. J’ai voulu parler de la façon dont ce fléau était vécu à cette époque : l’ignorance de la cause, les amis qui disparaissent, la rage de continuer à vivre ou encore, pour certains, le refus d’affronter la vérité. C’est en fait le thème qui est développé dans Les Randonnées avec Atropos, le récit inachevé dont je vous parlais précédemment.
Thierry ROLLET : Parlez-nous maintenant de votre parcours aux Éditions Dédicaces. Comment êtes-vous entré en contact avec elles et quelles furent les suites ?
Jean-François CAPELLE : Lorsque j’ai commencé à écrire La Traque je n’avais pas l’idée de le faire éditer. Voyant la nouvelle passion qui m’habitait, un de mes amis m’a suggéré d’envoyer mon manuscrit à quelques éditeurs. J’avais auparavant eu un long entretien avec une auteure qui m’a raconté son long chemin de Damas qui avait duré presque 4 ans. Avec l’âge, le temps m’étant devenu très important, je ne pouvais me résigner à un tel délai et j’envisageais éventuellement de me faire publier à frais d’auteur, comme beaucoup. J’ai eu la surprise de recevoir très rapidement une réponse positive de la part des Éditions Dédicaces. Ensuite tout a été très vite, et 3 mois après avoir soumis mon manuscrit, mon livre était publié.
Je tiens à remercier Guy Boulianne, le président et directeur des Éditions Dédicaces pour son talent et son efficacité dans la conception finale de mon livre, ainsi que pour la réalisation de la vidéo qui l’illustre, diffusée sur Youtube et Kewego.