Bien que d'une discrétion et d'une absence de renommée véritablement injuste, Robert Mulligan peut se targuer d'avoir réalisé un film de notoriété internationale: Summer of '42 (Un été 42). Très réussi, le film ne constitue cependant pas le meilleur de son auteur. En effet, l'on peut citer To kill a mockingbird (Du silence et des ombres), film injustement méconnu en France, et The other (L'autre), oeuvre fantasmagorique se plaçant dans la fimographie de Mulligan entre The pursuit of happiness (1971) et The nickel ride (1974).
L'autre raconte l'histoire d'un jeune garçon vivant dans un petit village du sud des Etats-Unis dans les années 30, et de son frère jumeau avec qui il entretient un lien extrêmement fort. Elevé par sa grand-mère, l'enfant passe ses journées à jouer avec son frère. Petit à petit, des accidents se produiront, jusqu'à ce que la grand-mère découvre l'inimaginable vérité sur son petit fils.
Souvent présenté comme un film fantastique, le film ne l'est pourtant jamais. En effet, L'autre tient davantage de la fantasmagorie que du fantastique, aucun élément surnaturel ne venant s'inscrire dans le récit. L'atmosphère du film, extrêmement étrange et envoûtante, fait souvent songer au chef d'oeuvre de Nicolas Roeg, Don't look now (Ne vous retournez pas), sorti l'année suivante. Mulligan s'emploie en effet à faire glisser petit à petit son film dans des eaux troubles, incertaines, où le spectateur perd progressivement pied pour s'abandonner dans un univers où le fantasme rejoint la réalité.
Metteur en scène sachant aborder le thème de l'enfance avec une finesse et une pertinence remarquables (se souvenir de To kill a mockingbird ou de The man in the moon (Un été en Louisianne), Robert Mulligan dépeint dans L'autre cette période de la vie à travers le prisme de la mort et du deuil. Ainsi, le thème de la perte de l'innocence (déjà présent dans To kill a mockingbird), est abordé de manière extrêmement douloureuse, le jeune héros étant confronté à la mort dès son plus jeune âge.
Faisant baigner son film dans une atmosphère bucolique et champêtre peu à peu corrompue par la menace et la mort, le réalisateur offre un visuel illustrant ce doux glissement en usant d'une photographie remarquable (grâce soit rendue au chef opérateur Robert Surtees), le film basculant petit à petit de la lumière à l'obscurité au son de l'admirable musique de Jerry Goldsmith. Le film vient ainsi peu à peu baigner dans une atmosphère gothique, et le cadre ensoleillé et campagnard choisi par Mulligan pour ancrer son histoire devient ainsi le symbole, à nouveau, d'une réalité gangrenée par le drame et la mort. La métaphore sur l'innocence perdue devient alors ici évidente.
Film véritablement marquant, L'autre prouve l'immense talent d'un réalisateur dont l'oeuvre mérite absolument d'être découverte tant elle regorge de qualités.