Voici donc la suite très attendue de La Parallèle Vertov. Enfin, quand je parle de suite, ce n'est pas tout à fait exact. Comme l'avait en effet annoncé Frédéric Delmeulle dans plusieurs interviews consacrées à son travail en général et au premier opus des Naufragés de l'entropie en particulier, il n'est pas nécessaire d'avoir lu ce dernier pour apprécier Les Manuscrits de Kinnereth. Mieux, les lire dans le désordre ne risque en rien d'entacher le plaisir que l'on peut en retirer, et il faut d'ailleurs voir dans cet aspect l'un des - nombreux – attraits de cette série. Une série qu'on aurait d'ailleurs envie de se voir prolonger un bon moment, surtout si Frédéric Delmeulle parvient à maintenir ce niveau de qualité, cette virtuosité dans l'art de jouer avec le lecteur et de l'emmener vers des sentiers loin d'être battus et rebattus, malgré les premières apparences, quand bien même, c'est bien connu et tout à fait justifié ici, il faut s'en méfier.
Avec cette histoire de manuscrit retrouvé en d'étranges circonstances et signée de la main d'un proche de Jésus, un de ces manuscrits à même de faire trembler jusqu'aux fondations de l'Eglise Catholique, le premier réflexe est de se dire : «Et voilà, c'est reparti pour une Da Vinci connerie! ». Sauf que d'entrée de jeu – il joue, je vous dis, il joue – l'auteur nous rassure sur ce point.
Je crois que plus personne n'oserait raconter ce genre de choses aujourd'hui. Les temps ne sont plus au Da Vinci Code, Dieu merci!
Ouf !
Ensuite, lorsque les heureux protagonistes de cette folle aventure - dans laquelle figurent au casting le père de Child Cachoudas, évaporé dans le temps, l'ancienne compagne de ce dernier, sa fille, un groupe de rockeurs sexagénaires ainsi qu'un fonctionnaire de L'ONU – font route ensemble pour tenter de remonter la piste du cher disparu et se retrouvent grâce au sous-marin Vertov pour assister à la crucifixion de Jésus, on se dit une nouvelle chose, à savoir que l'on va avoir droit à une version revisitée de Voici l'homme de Moorcock, où le voyageur temporel n'endosse rien de moins que l'habit et la personnalité de Jésus. Ben tiens!
Cependant, c'est dans un tout autre périple que nous emmène Frédéric Delmeulle, fait celui-ci du matériau de l'Histoire, de l'Humain, de la Religion et des croyances qui lui sont inhérentes. C'est un voyage à la saveur particulière, appréciable, où tous les éléments qui le constituent sont à leur place, imbriqués les uns dans les autres, infiltrés dans et par les éléments de la Parallèle Vertov pour constituer, tout compte fait, un ouvrage original à mille lieux des sentiers battus et rebattus dont je parlais plus haut. Le tout servi indéniablement par l'humour, la finesse, l'érudition, et le plaisir du jeu, de l'écriture.
Et pour ne rien oublier, il convient de parler du final parce que des comme ça, où on ne s'appuie pas cette fois-ci sur d'autres références, où on se laisse prendre par le vertige des révélations, où l'on mesure la dimension réelle du bouquin, alliant divertissement et réflexion, des finals comme ça, je vous dis, on n'en voit pas tous les jours. Alors on savoure... en attendant une prochaine pépite.
Les Manuscrits de Kinnereth / Frédéric Delmeulle.- éditions Mnémos (Dédales), 286 p.