Eddy L. Harris : Droit dans les yeux

Par Bscnews

Par BSCNEWS.FR

Propos recueillis par Nicolas Vidal / Photos Eric Galland

Eddy L. Harris est avant tout un écrivain chaleureux et étonnant. Il vous parle avec un grand sourire de ses livres, de son enfance, de son métier. Il se sent profondément américain, aime la France et adore par dessus tout Paris pour sa gastronomie, son style de vie et ses cafés. Son oeuvre littéraire traite principalement de la communauté noire américaine mais aussi de celle qui vit en France. Eddy L.Harris nous parle de toutes ces choses en nous regardant droit dans les yeux. Une oeuvre à découvrir sans attendre. 

Vous disiez récemment que le fait d’avoir le passeport américain tout en vivant en France, vous conférait quelque en chose en plus ?

J’ai surtout quelque chose de très américain dans mon comportement et dans mon accent. Cela m’apporte effectivement un statut. Être noir et américain en France est presque un luxe. On me voit avec toute la puissance américaine dans mon sac à dos culturel et imaginaire. Je suis vu comme un américain avant d’être vu comme un noir. J’ai donc deux choses qui jouent en ma faveur; le fait d’être noir et américain.

Pensez-vous que les français soient plus ouverts culturellement par rapport aux Américains ?

Aux USA, nous avons une histoire de l’esclavage. Nous admettons que le problème du racisme existe aux Etats-Unis. Le problème du racisme en France est vu totalement différemment que là-bas. Je ne peux pas dire que les français sont plus ouverts mais le problème du racisme est appréhendé différemment.

D’où vient votre passion pour la France ?

C’est presque une maladie. La France est un pays magnifique même si je le vois avec des yeux d’un touriste. J’ai un boulot qui me donne beaucoup de libertés et je vois une France très idéalisée. J’adore ce pays à ma façon. J’aime la gastronomie, la cuisine, le vin, flâner dans les cafés.

Vous avez dit récemment que vous étiez gêné par le fait qu’on vous classe dans la littérature purement afro-américaine ?

Oui et non. D’un premier côté, c’est un côté marketing pour vendre le livre. Il faut un genre pour chaque livre. Pourquoi ne pas dire que je suis un écrivain black ? Je le suis. En même temps, je n’aime pas trop qu’on ghettoïse les écrivains noirs. Ca dépend également de la définition que l’on donne à la culture noire. C’est gênant de savoir que les gens qui rentreront dans une librairie et qui ne sont pas intéressés par ces sujets n’iront jetés un coup d’oeil à ce genre. Ce classement tient un peu d’un ghetto culturel.

Quel est la situation du racisme aux USA après l’élection de Barack Obama ?

Le racisme aux USA est un quelque chose de très particulier et qui dure. Je crois que de toute façon que le monde est raciste. C’est aussi vrai aux USA. Mais il y a tout de même une implication noire importante dans la société américaine. Ici, en France, dès que l’on voit un noir, une question s’impose, c’est d’où venez vous ? Aux USA, il n’y pas cette question. Le racisme aux USA est complexe et bizarre. On a élu un président noir à la tête de la Maison Blanche mais depuis qu’est ce qui a véritablement changé ? Rien de mauvais mais rien de bien probant. Mais j’aurais espéré un président noir qui s’engage et qui fasse des choses pour les noirs, pour les pauvres et qui sache être différent. Finalement, je suis déçu mais heureux qu’un homme noir devienne président des USA. Et je pense que cela modifiera la façon de voir des Américains. On peut élire un noir sans connaître une révolution.

Vous espériez plus de l’élection de Barack Obama ?

Oui, j’espérais mieux mais je ne m’attendais pas à mieux au fond. Son élection a été tout de même très importante. Obama est un symbole pour tous les afro-américains. Cette élection va modeler la mentalité des américains.

Vous êtes américain et vous vivez en France. N’est-ce pas pour vous une grande chance ?

C’est une richesse importante qui me permet de prendre de la distance et du recul par rapport à mon sujet prédilection. J’écris tout le temps sur les USA. Cela me donne plusieurs perspectives réciproques entre la France et les USA.

Est-ce que Paris a toujours la même saveur pour vous que depuis la première fois où vous l’avez visité ?

Bien plus ! Il n’y aucune autre ville qui ne m’attire plus que Paris. Je suis heureux d’y être. C’est un style de vie à part entière qui me donne la passion de vivre à Paris. Ici, je vis activement et je profite de chaque petit moment plus qu’à New York ou San Francisco ou encore la Nouvelle-Orléans. Ici, j’ai la passion de vivre.

Vous disiez récemment que vous n’aviez jamais eu finalement la vie d’un noir parce que vous aviez eu une enfance et une éducation blanche. Qu’en est-il ?

J’ai eu une vie d’Eddy Harris. J’ai vécu avec mes parents, ma famille et dans un foyer. J’ai été entre deux mondes, celui des noirs et des blancs. Mais que veux dire finalement d’être blanc ou noir ? Il y a deux choses à dire. Ma famille contient de nombreux mélanges et dire que je suis noir fait oublier les autres. Je suis noir dans les yeux des autres. Cela n’est pas dans ma conscience en permanence. Je suis plus américain que noir en vérité. Et je me sens plus américain en France que là-bas où je ne suis finalement que type parmi tant d’autres.

En tant qu’américain, que pensez-vous du débat concernant l’identité nationale en France ?

Ce sujet est peu sensible. Je pense que cette question était d’ordre politique. Au-delà de çà, je pense que c’est un excellent sujet. Moi, étranger, américain, qui vit dans un pays qui n’est pas le sien, est-ce que je serais, si je prends la nationalité française, vraiment un français ? Si une guerre éclate entre les USA et la France, quel camp choisirais-je à ce moment-là ? Je n’ai pas envie de retourner aux USA et j’ai envie de rester en France où je fais ma vie à présent. La France est mon pays mais est-ce que je suis véritablement français? Voilà la question posée par Nicolas Sarkozy. Est-ce que les étrangers installés en France seront-ils un jour vraiment français et non plus français d’origine ?

La différence entre la France et les USA se situe dans la perception de l’étranger. Lorsqu’on voit un asiatique dans les rues de San Francisco, c’est avant tout un américain car il mange des hamburgers, il écoute la même radio, aime la même musique et il joue au même jeu. Car on partage la même culture.

Un de vos livres traite d’Harlem. A ce sujet, Harlem s’embourgeoise depuis quelques année déjà avec une nouvelle bourgeoisie noire?

Harlem a beaucoup changé. Il y a 15 ans lorsque je vivais à Harlem, il y avait des chicanos, des noirs, des portoricains et des dominicains. Tu traverses maintenant la 125ème rue de Broadway jusqu’à Parc Avenue, tu croises beaucoup plus de blancs qu’avant. Bill Clinton y est installé, les services de sécurité et la propreté de la ville New York aussi, il y a plus de magasins. Cela montre aussi l’évolution de l’Amérique

 

Finalement, Harlem n’incarne t-il pas à lui tout seul le développement des communautés à New York ?

Oui totalement ! C’est exact. Toutes ces vagues de différentes population le montrent très clairement.

Vous parlez également d’Harlem comme d’une mère patrie...

Dans mon livre, je parle de cela. Dans mon imaginaire, mais également depuis les années 1920, Harlem représente pour les noirs quelque chose de mythique. Harlem incarnait un ghetto dans son sens péjoratif mais a aussi été un foyer de culture avec les lettres, les musées, la musique. Harlem a été en quelque sorte une renaissance et un nouveau berceau de la culture noire américaine. Beaucoup d’écrivains ont par exemple trouvé leur voie à Harlem.

Harlem représente l’évolution d’un pays mais également d’un peuple. Ma famille faisait partie des classes moyennes. On a grimpé l’échelle sociale et la première chose que nous avons pensé à faire, c’est de quitter le quartier.

Une sorte de ghettoïsation à l’envers...

C’est exactement cela. Et ceux qui sont restés n’avaient pas les moyens de partir. Et nous sommes responsables de cela.  Quand j’étais jeune, j’avais autour de moi dans mon quartier noir des ingénieurs, des médecins, des institutrices, des voyous également. C’était varié. Avec le départ des nouvelles classes moyennes, qui est resté ? Les dealers, les junkies. Ainsi, tous les modèles sociaux pour les jeunes sont partis.

Ed Harris, n’êtes vous pas tout simplement un écrivain au-delà des considérations d’appartenance ethnique?

Oui oui et oui. Je suis noir, je suis américain et je suis homme. Je ne suis pas juste cela ou juste ceci. Je suis un homme humain tout simplement. J’essaie de trouver l’essentiel de qui je suis.