Nicolas Sarkozy
« Les témoignages s’effondrent les uns après les autres », prétendait Nicolas Sarkozy le 12 juillet sur France 2. Son Premier ministre François Fi(ll)on triomphait quant à lui à l’Assemblée nationale : « Vous avez voulu instrumentaliser des rumeurs qui font honte à ceux qui les ont lancées dans la presse. Vous avez joué, vous avez perdu, la démocratie a gagné ! » Las pour l’UMP – et heureusement pour la démocratie justement ! – ces cris de victoire tiennent de la méthode Coué, en même temps que de la sempiternelle tentative de manipulation de l’opinion chère aux sarkozystes, et l’affaire d’Etat est plus que jamais brûlante pour le pouvoir.
Ce sont d’abord trois nouveaux témoignages qui viennent conforter les accusations de l’ex-comptable Claire Thibout : « Entendue le 8 juillet, Chantal Trovel, 62 ans, secrétaire pendant dix ans d’André Bettencourt, a livré aux enquêteurs de la brigade financière un récit édifiant des pratiques en vigueur chez ses anciens employeurs. Dans un procès-verbal d’audition auquel Le Monde a eu accès, elle confirme les déclarations de l’ex-comptable Claire Thibout, et raconte à quel point le monde politique français est venu quémander les faveurs financières des milliardaires. « Je savais que M. et Mme Bettencourt aidaient financièrement des personnes politiques, assure ainsi Mme Trovel. C’était une évidence que ces personnes venaient pour cela ». Elle parle de « candidats qui cherchaient à financer leur campagne ou des candidats sortants ». Elle décrit les visites et les liasses de billets distribuées par M. Bettencourt. » On se souvient que Sarkozy avait quasiment sommé David Pujadas de confirmer que « ces gens », colportant des « rumeurs » et des « calomnies », n’avaient jamais parlé de lui – ce qui était évidemment faux, Thibout l’ayant nommément désigné. Rebelote avec Trovel, malgré la prudence que s’impose Le Monde : « De Nicolas Sarkozy, il n’est guère question, sauf épisodiquement ». Mais ça suffit ! Deuxième témoin, « Pascal Bonnefoy, l’ex-majordome de M. Bettencourt, qui a été auditionné le 9 juillet, (…) assure que Claire Thibout a bien dit la vérité, que les enveloppes mentionnées par l’ex-comptable ont bien existé. » L’indispensable Mediapart complète, sous les plumes de Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme : « Les hommes politiques que j’ai vus sont : M. Balladur, M. Wœrth, M. Kouchner, M. Messmer, M. et Mme Chirac, M. Sarkozy (à l’époque il était ministre de l’Intérieur je crois -période de 2002 à 2004 – et je ne l’ai vu qu’une fois). D’autres personnalités politiques sont peut-être venues mais je vous rappelle que je n’étais pas toujours présent au domicile de Monsieur et Madame. » Ce n’est pas tout : Mediapart convoque trois autres anciens membres du personnel du couple de milliardaires, qui confirmeraient l’existence d’enveloppes en liquide pour financer illégalement des personnalités politiques de droite (parmi les visiteurs des Bettencourt sont seulement nommés, en dehors de conservateurs, les Kouchner – désormais assimilables à la droite – et Danielle Mitterrand) : « Selon nos informations, d’autres anciens employés des Bettencourt qui ont témoigné récemment devant la PJ, ont conforté les déclarations de Mme Thibout s’agissant de la circulation d’espèces dans l’hôtel particulier. Par exemple Christiane Djenane, ancienne secrétaire personnelle de Liliane Bettencourt, ou Dominique Gaspard, employée de maison. Ou encore Dominique G., un ancien chauffeur d’André Bettencourt, questionné par la brigade financière mardi 13 juillet, et qui a accepté de répondre à Mediapart ». Trois et trois font six (plus Thibout) : tout ça fait quand même beaucoup pour des témoignages qui « s’effondrent les uns après les autres » !
Comme si ça ne suffisait pas, Marianne frappe un grand coup : en sus des 150 000 euros en liquide, dont 100 000 provenant de comptes suisses, destinés à financer la campagne présidentielle de Sarkozy dont Thibout a fait état, l’hebdomadaire révèle un autre retrait en liquide. « Quatre mois seulement avant le premier tour de la présidentielle de 2007, Lilianne Bettencourt avait procédé à un énorme retrait en liquide : 100 000 euros, qu’elle avait chargée sa comptable de tirer en espèces à la banque Dexia, grâce à un chèque auto-libellé dont Marianne s’est procuré le fac similé. Il n’y avait donc pas que les 180 000 euros de la BNP ! » Le journal s’interroge : « A qui ces 100 000 euros étaient-ils destinés, à quatre mois seulement du premier tour de l’élection présidentielle ? (…) La banque Dexia a-t-elle alerté Tracfin, l’organisme chargé de lutter contre les mouvements illicites de capitaux, à propos de cet énorme retrait ? Et si oui, les services de Tracfin ont-ils prévenu leur autorité de tutelle ? (…) Ces nouvelles révélations (…) devraient aussi passionner le procureur de Nanterre Philippe Courroye qui vient d’ouvrir deux nouvelles enquêtes préliminaires pour « blanchiment de fraude fiscale » et « financement illégal d’activités politiques. » Ils sont taquins, chez Marianne… Parlons-en de Courroye de transmission !
« Dans un entretien accordé au Monde, l’ex-juge et députée européenne (Europe Écologie) Eva Joly accuse le magistrat Philippe Courroye, qui a diligenté à Nanterre plusieurs enquêtes liées à l’affaire Woerth-Bettencourt, d’être « un procureur aux ordres ». Elle estime que M. Courroye « opère dans un cadre procédural inadéquat ». « Quand il frappe à la porte de Patrice de Maistre, c’est sur le mode : ’acceptez-vous que l’on perquisitionne chez vous ?’. Impossible de surprendre quelqu’un dans ces conditions. Croyez-moi, dans l’affaire Elf, on n’aurait pas trouvé grand-chose ainsi. En tant que procureur, depuis les lois Perben, il lui faut, pour perquisitionner, soit l’assentiment du perquisitionné, soit l’autorisation du juge des libertés et de la détention. On pourrait dire qu’il est coupable de complicité de destruction de preuves par abstention. Le juge d’instruction, lui, est seul maître à bord. » Et elle insiste, à propos de M. Courroye : « Qu’il se réveille (…) Il est trop orgueilleux et vaniteux désormais, il semble souffrir du même syndrome que Nicolas Sarkozy, celui de la toute-puissance et de l’impunité. D’autant que le procureur Courroye est au cœur d’un conflits d’intérêt… » Selon l’ancienne juge, « les observateurs étrangers sont effarés, ils parlent même d’un Watergate à la française ». Sur le conflit d’intérêts, rappelons que Courroye est nommément cité dans les enregistrements clandestins à l’origine de toute l’affaire – et qu’il ne cache pas son amitié avec Sarkozy. Eva Joly ne s’économise pas dans cette affaire, présente sur tous les fronts pour dénoncer le scandale : « Les enquêtes compliquées ne peuvent pas être faites dans le cadre d’une enquête préliminaire, a asséné Eva Joly sur Europe1, rapporte Le Parisien. L’enquête ne peut aboutir dans le cadre procédural actuel. Mais le juge Courroye a encore une chance. La sortie de garde à vue des quatre suspects doit aboutir à l’ouverture d’une information. Il doit ensuite confier cette enquête à un juge d’instruction, qui décidera ce qu’il convient de faire d’eux ». Et l’eurodéputée d’enfoncer le clou : « Les enquêtes compliquées qui nécessitent des investigations à l’étranger ne peuvent pas être faites dans le cadre d’une enquête préliminaire (ndlr : utilisée par le procureur Courroye). Qui est propriétaire de l’île d’Arros (ndlr : aux Seychelles, dont François-Marie Banier pourrait être le détenteur in fine) ? Il ne peut pas, à partir de son enquête de Nanterre, le prouver. Il va falloir envoyer une commission rogatoire au Liechtenstein, aux Seychelles. Or, seul un juge d’instruction peut le faire. » Que croyez-vous que Courroye ait décidé de faire ? Bingo : il a libéré les gardés à vue et continue d’enquêter tout seul, avec les limitations procédurales soulignées par Joly, en toute indépendance…
L’avocat de Thibout, Maître Alain Gillot, se fait lui aussi accusateur : « Au risque de choquer, la question fondamentale me semble être celle-ci : pourquoi le parquet de Nanterre n’a-t-il toujours pas entendu Mme Liliane Bettencourt sous le régime de la garde à vue ?, interroge-t-il dans Le Parisien. Son avocat, Me Georges Kiejman, passe son temps à dire qu’elle est en pleine forme et qu’elle a toute sa raison. Le parquet a rejeté la plainte pour « abus de faiblesse » déposée par sa fille. Mme Bettencourt elle-même reconnaît qu’elle a commis une fraude fiscale et a annoncé qu’elle rapatrierait ses fonds en Suisse. Et on ne l’interroge pas ? Et on ne la met pas en garde à vue ? » Le journaliste le questionne alors : « Pourquoi, selon vous ? » Réponse de Gillot : « Je vois deux raisons. La première, c’est que Liliane Bettencourt fait partie, en raison de ses liens avec le président de la République, de la caste des intouchables. Comme l’a révélé ma cliente Claire Thibout, l’héritière de L’Oréal est un des principaux bailleurs de fonds de l’Etat UMP. Elle a été reçue à l’Elysée alors que la procédure engagée par sa fille était toujours en cours. Les liens qu’elle entretient avec le plus haut sommet de l’Etat expliquent la mansuétude dont elle fait l’objet. » Deuxième raison annoncée : « Le procureur Philippe Courroye est, au fond, convaincu que cette vieille dame de 87 ans est affaiblie. Il sait que, face aux enquêteurs de la brigade financière, sa fragilité risque d’éclater au grand jour. En limitant ses auditions aux quatre collaborateurs de la milliardaire, il reconnaît implicitement qu’elle est vulnérable. Et si d’aventure il se contentait d’entendre Liliane Bettencourt chez elle, sans la soumettre au régime de la garde à vue, ce serait bien la preuve qu’il entend la ménager. » Le confrère du Parisien joue alors les naïfs : « Vous ne croyez pas à l’autonomie du procureur Philippe Courroye ? », interroge-t-il benoîtement. « C’est une fadaise ! Dans cette affaire, le parquet se décrédibilise chaque jour un peu plus. Les écoutes pirates ont été révélées il y a un mois. Immédiatement, Philippe Courroye a placé en garde à vue le majordome, qui les a réalisées. La comptable, Claire Thibout, a également subi le même sort. En revanche, le procureur a attendu jeudi dernier pour entendre les principaux protagonistes de ces enregistrements. Cela a laissé beaucoup de temps à ces personnes pour mettre les documents les plus compromettants à l’abri ! » Et l’avocat d’inlassablement réclamer l’ouverture d’une enquête confiée à un juge d’instruction indépendant : « je demande solennellement à Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux, d’intervenir. Il doit être mis fin à ce déni de justice. Dans cette affaire, le procureur Philippe Courroye a choisi son camp. Ce n’est pas celui de la vérité. Vendredi dernier, il s’est encore illustré en refusant de transmettre la transcription des écoutes à la juge Isabelle Prévost-Desprez. Ce que fait ce procureur porte un nom, c’est une obstruction à la justice. » Jusqu’à quand Courroye pourra-t-il continuer d’ainsi instruire à l’étouffée ?
Pendant ce temps-là, Eric Woerth, ayant enfin démissionné de son poste de trésorier de l’UMP après avoir prétendu, des mois durant, que le fait qu’il remplisse cette fonction en sus de sa charge de ministre ne causait aucun problème, est à nouveau démenti, comme le relate Rue89 : » Selon Le Monde, qui cite le procès verbal de l’audition, l’homme de confiance de Liliane Bettencourt est revenu sur ses contacts avec Eric Woerth et sur l’embauche de sa femme Florence : « Je l’ai vu […] deux ou trois fois début 2007, parce qu’il m’a demandé de recevoir sa femme et ce pour essayer de la conseiller sur sa carrière alors, me disait-il, qu’elle n’était pas entièrement satisfaite. » (…) Les nouvelles déclarations de Patrice de Maistre fragilisent pourtant les arguments d’Eric Woerth et de sa femme. Le 23 juin, dans Le Parisien, Florence Woerth présentait ainsi son embauche chez Clymène, la structure gérant la fortune de Liliane Bettencourt, et dirigée par Patrice de Maistre : « Je travaillais pour une banque, la Compagnie 1818, qui appartient au Groupe Caisse d’épargne et qui démarche les familles qui ont un patrimoine important pour leur proposer des services de gestion. Dans ce cadre, j’ai été amenée à rencontrer M. de Maistre pour lui proposer les services de cette banque. Quelques jours plus tard, il m’a rappelée et m’a proposé ce poste chez Clymène. » Ce n’est pas vraiment la version de Patrice de Maistre. Dans les enregistrements révélés par Mediapart et par Le Point, il expliquait à Liliane Bettencourt : « Quand je l’ai fait, son mari était ministre des Finances [du Budget en fait, ndlr], il m’a demandé de le faire […]. Je l’ai fait pour lui faire plaisir. » Florence Woerth a été embauchée en CDI chez Clymène en novembre 2007, avec un salaire de 140 000 euros, une prime annuelle de 60 000 euros et une voiture de fonction, selon Le Monde. Elle a démissionné de Clymène fin juin. » Conclusion de l’article, en forme de réquisitoire : Woerth « a d’abord affirmé ne pas avoir de relations avec Patrice de Maistre : pourtant, c’était l’employeur de sa femme et il lui avait remis la Légion d’honneur… Les agendas de Maistre font état de fréquentes rencontres, déjeuners ou autres : 19 janvier 2007 (au « café »), 7 février 2007 (au « café »), 12 septembre 2007 (déjeuner), 20 septembre 2007 (déjeuner), 23 janvier 2008 (légion d’honneur), 11 février 2009 (dîner à Bercy)… Il affirme ne pas être intervenu dans l’embauche de sa femme : les déclarations de Patrice de Maistre remettent en cause cette version, mais elles nécessitent évidemment d’être confirmées par l’enquête. Il estime qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre ses fonctions de ministre de Budget et de trésorier de l’UMP : l’UMP a bénéficié de dons de Liliane Bettencourt, tout comme le « parti de poche » d’Eric Woerth en Picardie ; Eric Woerth a annoncé qu’il abandonnerait son poste de trésorier fin juillet. Il assure qu’au Budget, il n’est pas intervenu sur le dossier fiscal de Liliane Bettencourt : un rapport contesté de l’Inspection générale des finances lui donne raison, mais évoque pourtant l’existence d’une « cellule fiscale » au sein du cabinet du ministre chargée des VIP… » Voilà le si « honnête » Woerth, qui a tout le soutien de Sarkozy, toujours davantage convaincu, au minimum, de dissimulation et de mensonges… Il doit quitter le gouvernement, et entraîner dans sa chute l’homme qui s’est vraisemblablement fait financer sa campagne présidentielle illégalement, grâce à des dons clandestins en liquide. Dehors, ceux qui déshonorent la République !
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Bettencourtgate : six nouveaux témoignages, 100 000 euros en liquide de plus, Woerth encore démenti et le procureur Courroye qui instruit à l’étouffée