Farnborough met en scčne le spectacle de la reprise.
Tout était prévisible de bout en bout : commandes spectaculaires annoncées par Airbus et Boeing, deux nouveautés trčs attendues, 787 et A400M, une petite déception du côté des avions régionaux et un sentiment d’immobilisme des grands programmes militaires. Du show, dans l’acception française du mot, un jeu, en quelque sorte, une grand mess un peu convenue, quelques effets de manche ici et lŕ. Personne n’est dupe mais c’est ainsi que cela doit se passer, pour respecter les traditions et permettre ŕ un secteur fragilisé par la récession de reprendre des couleurs.
Les novices, les béotiens, quelques analystes égarés dans un secteur qu’ils ne connaissent pas et, bien sűr, des journalistes peu désireux d’aller au fond des choses, tirent des conclusions erronées de déclarations qu’ils n’ont pas comprises. Ainsi, il est ŕ nouveau question ces jours-ci du risque de surcapacité qui pourrait naître de commandes d’avions difficiles ŕ justifier, un grand classique. Cela en oubliant de remettre en contexte les achats révélés en Angleterre par quelques ténors du transport aérien, en négligeant les projections des premiers intéressés, en ignorant qu’on ne s’organise par pour produire plus de 1.200 avions de plus de 100 places chaque année sans savoir oů l’on va. Avant de les construire, il faut évidemment les avoirs vendus et, accessoirement, le faire savoir urbi et orbi. Les salons sont aussi faits pour cela.
Déjŕ, on sait quelle image retenir du salon de Farnborough. Non pas les 787 et A400M, déjŕ vus et revus dans la presse, ŕ la télévision, sur Internet, au point d’ętre familiers au regard avant męme leur arrivée ŕ Farnborough. ŤLať photo est un trombinoscope (notre illustration) en apparence trčs banal. De gauche ŕ droite, John L. Plueger, directeur général délégué d’Air Lease Corporation, John Leahy, directeur commercial d’Airbus et Steven F. Udvar-Hazy, PDG d’ALC.
Tout est dit ŕ travers cette image symbolique : Plueger et Udvar-Hazy, ŕ peine sortis du guępier de l’International Lease Finance Corporation (propriété du groupe d’assurances AIG, au plus mal) viennent de créer ce nouveau loueur, trčs ambitieux. John Leahy, on le devine, est aux anges : c’est ŕ lui, et non pas ŕ ses Ťamis de Seattleť qu’ALC a confié sa toute premičre commande, vingt A320 et trente-et-un A321. Un pied de nez ŕ AIG, un autre ŕ Boeing. L’avenir est ŕ eux, trois citoyens américains et fiers de l’ętre, ou plus exactement citoyens du monde.
Dans la męme journée, Airbus a aussi annoncé la vente de soixante A320 ŕ GE Capital Aviation Services (comme s’il s’agissait de confirmer que la location d’avions reste un métier d’avenir), de onze A330-300 ŕ Aeroflot et de dix-sept avions du męme type ŕ Malaysian Airlines.
Boeing, qui affecte éviter les effets d’annonce et apprécie peu le barnum propre ŕ un grand salon, est quand męme entré dans la danse : trente 777-300ER pour Emirates, quarante 737-800 pour GECAS. Quelques jours plus tôt, Randy Tinseth, directeur du marketing, avait pourtant raillé la maničre de faire de son rival, et cela avec humour. Il avait en effet rappelé …qu’une année se compose de 52 semaines, toutes égales en durée et en valeur. En d’autres termes, on peut trčs bien survivre ŕ un salon de l’aéronautique sans commandes nouvelles, sachant qu’il reste 51 autres semaines pour signer des contrats.
Comme ce n’est pas le genre de la maison, Tinseth a soigneusement évité de se moquer des médias et de leurs incontournables comptes d’apothicaires. Au soir de fermeture du salon, Bloomberg, Reuters, AFP et les autres vont comme ŕ leur habitude dresser un bilan, totalisant pour ce faire les avions Ťvendusť au salon. Pour certains, c’est un jeu, pour d’autres la preuve qu’ils croient vraiment qu’une commande de plusieurs milliards de dollars se négocie en quelques heures, dans un chalet bruyant dont la climatisation est évidemment défaillante.
Si une certaine forme de lassitude risque de s’installer, c’est probablement parce que tout est désormais prévisible, les seules surprises étant précisément la révélation de commandes soigneusement tenues secrčtes au moment de leur signature, ensuite annoncées avec tambours et trompettes dans le cadre d’un plan de communication trčs rigoureux.
Ce faisant, le duopole Airbus-Boeing s’arroge un quasi monopole en matičre d’impact médiatique. Du coup, on ŕ peine remarqué que Sukhoď a vendu trente Superjet 100 ŕ Kartika (Indonésie) tandis qu’Embraer a placé cinq E-190 auprčs d’Azul Linhas Aereas. D’autres contrats suivront, ŕ coup sur, sans doute du côté d’ATR. Le tout est de ne pas se marcher sur les pieds, d’alimenter les médias du lundi au vendredi, ŕ commencer par ces étonnants quotidiens éphémčres, édités et distribués sur place, exclusivement porteurs de bonnes nouvelles.
Tout le monde est d’accord pour répéter qu’il y a trop de salons aéronautiques ŕ travers le monde, qu’ils coűtent trčs cher aux exposants. Lesquels, crise ou pas, restrictions ou pas, plans d’économies ou pas, reviennent imperturbablement, d’une fois ŕ l’autre. Grâce ŕ eux, męme quand le secteur se porte mal, les industriels assurent la prospérité de certains de leurs fournisseurs, constructeurs de chalets, traiteurs et loueurs de voitures. Dčs lors, tout n’est pas perdu.
Pierre Sparaco - AeroMorning