Et arrive ce qui devait arriver : les volontés de puissance des uns, les instincts de survie des autres… Tous s’affrontent une fois le fragile équilibre rompu en un kaléidoscope de passions humaines, souvent bien primaires, où règnent ceux qui ont le plus gros flingue mais aussi ceux au cerveau le plus habile – encore que pour ces derniers, posséder une constitution non humaine en dépit des apparences est aussi un avantage certain : les xénomorphes, en effet, ne s’intéressent pas aux formes de vie artificielles…
C’est donc l’occasion de voir toute l’ampleur du traumatisme de Newt, de la haine d’Hicks, du désarroi de Butler et du désespoir des quelques survivants qui errent au petit bonheur la chance sur une Terre aux mains d’envahisseurs comme personne n’en a jamais vus. Mais on peut aussi observer la folie de Spears, la stupidité de ses hommes et l’aveuglement de Powell qui tente là de prendre un poisson bien trop gros pour ses filets. Et puis, bien sûr, surtout, il y a la fureur des Aliens : comme tous les conquérants, ils détestent les cages et n’hésitent pas à le faire savoir – à leur manière – dès qu’ils en trouvent l’occasion – et celle-ci arrive toujours sans prévenir, de préférence dans un de ces moments de tension extrême où toute raison est abolie.
On retrouve dans cette cinquantaine de pages les ingrédients principaux des films – surtout le second –, tout ce qui fait leur atmosphère de folie furieuse et de vaine boucherie où ne règne plus que cet instinct de survie qui exsude tant des Aliens qu’ils finissent par contaminer tous ceux qui s’opposent à eux – ou du moins qui essayent. Le dicton est bien connu. Verheiden nous fait ici la preuve qu’il a parfaitement saisi toute l’essence de l’univers d’Alien, tout ce qu’il implique, tout ce dont il se nourrit avant d’en recracher une bouillie visqueuse et puante à la face du lecteur qui n’en demandait peut-être pas tant…
Pourtant, on y trouve aussi des éléments relativement nouveaux, que certains qualifieraient de « psychologiques » mais je ne suis pas de ceux-là – je préfère parler de caractérisation. Je parle bien entendu des personnages. Une fois laissés de côté les clichés de service dans leur rôle de chair à canon, il reste les pivots principaux de la narration qui, s’ils n’atteignent pas des abîmes de complexité, savent néanmoins s’imposer – au moins à leur manière. Ainsi le général Spears : loin du simple mégalomane typique de certains récits simples, il présente des cicatrices assez étonnantes de la part d’un tel personnage qu’on n’imagine pas forcément ainsi.
Mais les plus surprenants restent les Aliens eux-mêmes – qui, décidément, méritent bien leur nom (1). À travers les commentaires et les réflexions de quelques personnages, c’est leur personnalité qu’on découvre. Un esprit un peu trop vite qualifié « de ruche » et qui s’avère pour le moins surprenant par son intelligence retorse. Spears en fera d’ailleurs l’amère expérience – sa dernière, bien évidemment… Les Aliens ont-ils toujours été ainsi ou bien se sont-ils adaptés à leurs proies ? L’auteur laisse le choix au lecteur, ce qui est souvent le signe d’une narration de bonne qualité – par la possibilité qu’elle laisse à l’audience d’y participer en se faisant sa propre idée.
C’est dans ce genre de détails que l’univers d’Alien se trouve développé – d’une manière à la fois inattendue mais fidèle à la fois à l’esprit des productions originales pour le cinéma –, qu’il sort du carcan des films pour exposer un aspect en même temps plaisant – par son aspect « classique » (2) – et informatif – par le prolongement somme toute logique d’idées laissées en friche dans les films alors qu’elles présentent un potentiel certain, ici brillamment exploité pour étoffer l’univers tout en propulsant l’action vers son paroxysme. De là à dire que « Darwin avait raison« , comme le rappelle justement une des victimes de l’invasion de la Terre, il n’y a qu’un pas…
Mais c’est un discours encore bien trop convenu pour passionner vraiment. Du reste, c’est le genre de chose dont les productions artistiques, souvent un peu trop entravées par les aspects typiquement émotionnels, nous ont bien trop abreuvés pour ne pas finir par nous en lasser. Au moins un peu. Pourtant, c’est encore une fois un élément caractéristique des films, qui se trouve ici retranscrit de manière appropriée et qui permet aux aficionados de se retrouver en terrain connu.
Car c’est là la véritable force de cette série : si Aliens ne brille pas par ses idées, ce titre parvient néanmoins à capturer toute l’essence d’un univers dont il repousse les frontières imposées par ses auteurs originaux, comme le fit en son temps le film éponyme de James Cameron dont ce comics était supposé être une séquelle directe et qui s’avère au final son digne successeur…
(1) « alien » signifie « étranger » en anglais, et non « extraterrestre » comme bien trop de gens le croient.
(2) je parle en tant que lecteur assidu de science-fiction…
Note :
Bien que cette série soit actuellement épuisée, dans sa version française comme dans sa version originale américaine, les fans anglophones pourront se pencher avec bonheur sur sa récente réédition en six volumes omnibus parus chez Dark Horse Comics entre 2007 et 2009.
Aliens t.1, Mark Verheiden & Denis Beauvais, 1990
Zenda, collection Écran Total, mai 1991
48 pages, entre 5 et 8 € (occasions seulement), ISBN : 2-876870-80-0
- chronique du tome 1er
- le site officiel de la série Aliens chez Dark Horse Comics