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Le droit de propriété inclut le droit à la discrétion, et même au secret.
Dans un pays où tout un chacun doit payer l’ISF à partir du moment où il dispose d’un patrimoine égal ou supérieur à 790 000€ (antiquités et oeuvres d’art non-comprises), il est «normal» que l’Etat veuille savoir si quiconque n’aurait pas dissimulé quelque bien.
Et c’est comme ça que, dans «l’affaire Bettencourt», le procureur Philippe Courroye à fait mettre en garde à vue quatre personnes soupçonnées de «blanchiment de fraude fiscale». Parce que des avoirs sur des comptes en Suisse n’auraient pas été déclarés, ainsi qu’un bien immobilier dans l’archipel des Seychelles.
S’agissant de ce dernier bien, il est probable que les enquêteurs feront chou blanc. Même s’ils arrivent à démêler les écheveaux juridiques du dossier.
Car le montage mis au point relève d’un concept typiquement anglo-saxon : celui de la «fiducie», où le propriétaire apparent est différent de l’ayant droit.
Une «fondation» serait propriétaire de l’ile d’Arros ; M. Carlos Vejarano en serait le «gérant» ; Mme Bettencourt, à moins que ce soit Francois-Marie Banier, en serait l’ayant droit. Ou aurait vocation à le devenir… En application d’un acte sous seing privé, qui doit se trouver dans le coffre d’un avocat, à Genève ou à Mahé.
En droit français, qui ignore ce type de montage – pourtant courant dans beaucoup d’autres pays – qui est le véritable propriétaire de l’Ile d’Arros ? Certainement pas Mme Bettencourt ou M. Banier, qui n’ont que des droits futurs.
Selon cette analyse, ils n’avaient donc pas à déclarer ce bien à l’ISF. Le fait que des conversations aient été enregistrées entre les protagonistes concernant l’existence dudit bien ne change rien à l’affaire.
Il existe d’ailleurs beaucoup d’autres moyens de dissimuler la possession d’un bien. Certains sont légaux, et résultent de l’article 1589 du code civil selon lequel «promesse vaut vente», mais seulement entre les parties, pas pour les tiers, dont le fisc… D’autres sont plus douteux, mais pas forcément illégaux, comme le recours à des prête-noms…
Au-delà de cet aspect fiscal, on peut se demander si l’ISF, outre son aspect prélèvement, ne serait pas attentatoire au principe même du droit de propriété.
On sait que la pleine propriété d’une chose inclut le droit d’en user et même d’en abuser (abusus). Il serait douteux, dans ces conditions, que le droit de propriété plein et entier ne comporte pas le droit à la discrétion et même au secret.
Certaines personnes veulent faire étalage de leurs richesses. D’autres préférent les cacher. C’est strictement leurs droits. Sauf dans un pays qui pratique l’ISF…
De ce point de vue, les impôts ne sont pas seulement confiscatoires de nos biens, revenus ou patrimoines, ils sont aussi attentatoires au droit de propriété, pourtant reconnu comme fondamental par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Et ils le sont différemment, selon qu’ils sont prélevés sur les salaires, sur les revenus, sur la consommation ou sur les «fortunes». Les impôts sur celles-ci peuvent bien être «légers» (3,2 milliards d’euros pour l’ISF en 2008), ils sont «lourds» du point de vue de l’atteinte au droit de propriété. Alors que les impôts sur la consommation (TVA) et les salaires (cotisations, dont CSG), autrement plus lourds (ils rapportent près de 100 fois plus), sont bien plus légers au regard de l’atteinte au droit de propriété…