Avenir Suisse ici a publié le 15 juillet dernier un document sur la mise en cause de la souveraineté de la Suisse dans le contexte économico-politique actuel. Cet ouvrage de 334 pages est en allemand et il faut le commander ici pour pouvoir le lire.
Fort opportunément le think tank, qui se veut libéral, et qui le serait d'après les média ici, mais qui en fait a été fondé - en 1999 - et financé par les quatorze plus importantes multinationales du pays, a mis en ligne, et en français, le dernier chapitre de l'opus en question. Il s'agit là d'un résumé ici qui permet de comprendre où Avenir Suisse veut en venir.
Avenir Suisse fait mine de ne pas se prononcer clairement sur les voies qui s'offrent à la Suisse pour conserver au maximum sa souveraineté dans le contexte actuel. Mais il envisage en définitive seulement deux voies qu'il propose à la discussion : une adhésion à l'Espace économique européen, qui avait été rejetée par le peuple en 1992, ou une adhésion à l'Union européenne en conservant le franc suisse.
La publication aboutit à ces deux voies parce qu'elle ne retient comme hypothèse de travail que le scénario du "renforcement institutionnel" de l'Union européenne. A partir de là le think tank conclut que la voie bilatérale, choisie jusqu'à présent par la Suisse et l'UE, est devenue une impasse. Il balaye un peu vite l'hypothèse d'une désintégration de l'Union, qui est pourtant beaucoup plus probable, du fait que la construction qui a été adoptée est complètement artificielle et qu'elle ne peut se perpétuer que par une coercition de plus en plus grande, qui sera de moins en moins supportée.
En effet les locomotives de l'Union que sont la France et l'Allemagne sont fortement endettées, incapables de respecter les critères de Maestricht qu'elles avaient voulu imposer aux autres membres, comme l'a souligné avec ironie la présidente de la Confédération Doris Leuthard aujourd'hui à Bruxelles ici ; l'Union a choisi la réglementation et la centralisation, c'est-à-dire la bureaucratie, les directives venues d'en haut, au mépris du principe de subsidiarité dont elle se réclame, ce qui ne peut aboutir qu'à un échec à plus ou moins long terme ; l'Union a fait le mauvais choix en optant pour une monnaie unique pour un ensemble de pays parfaitement hétéroclites et dont les économies sont divergentes.
La Suisse n'a aucun intérêt d'adhérer à l'EEE ou à l'UE, sinon celui défaitiste, sans batailler, de sauver à tout prix ses relations avec l'Europe. Dans les deux cas, sur le marché intérieur de l'Union, la Suisse serait obligée d'adopter automatiquement les lois européennes (500'000 pages !) et d'adapter les lois suisses en conséquence. Son taux de TVA passerait au minimum à 15%, alors qu'il est de 7,6% aujourd'hui, et, temporairement, à partir du 1er janvier prochain, de 8%.
La Suisse devrait en outre adopter une grande partie de la protection sociale européenne, laquelle permet à l'Europe d'afficher le mirobolant taux de chômage que l'on sait. Sans compter que la démocratie directe serait réduite à la portion congrue, notamment en matière de fiscalité, sujet sur lequel les citoyens n'ont aucun moyen légal de se prononcer et sur lequel ils ne sont pas près d'avoir l'opportunité de se prononcer, puisque l'édifice entier repose sur la confiscation obligatoire, la redistribution arbitraire et l'enrichissement personnel des hauts fonctionnaires.
Dans le cas d'une adhésion à l'EEE la Suisse pourrait continuer à conclure des accords de libre-échange avec des pays hors de l'UE, maigre compensation de son importante perte réelle de souveraineté politique et économique. Une adhésion à l'UE ne serait pas plus enthousiasmante puisque la Suisse non seulement ne pourrait plus traiter librement avec les pays extérieurs à l'Europe, mais, en tant que pays riche, et bien géré en comparaison des autres, elle devrait verser une contribution annuelle nette estimée à 3,5 milliards de francs, ce qui serait cher payé pour de bien maigres avantages.
La voie bilatérale a permis de préserver dans une certaine mesure l'indépendance politique de la Suisse. C'est un leurre de croire qu'elle serait davantage indépendante si elle entrait dans les institutions européennes par une adhésion à l'UE. En effet, que péserait la petite Suisse au milieu de ses 27 collègues de la Commission ou au sein d'un Parlement où ses députés seraient noyés au milieu des députations des 27 autres pays ? Elle pourrait toujours causer, elle serait moins entendue qu'aujourd'hui, parce qu'aujourd'hui sa voix se distingue nettement de celles des autres.
La voie bilatérale entre la Suisse et l'UE est en quelque sorte la porte étroite de leurs relations, ce qui ne signifie pas qu'elle doit être abandonnée. Par paresse les fonctionnaires européens voudraient qu'elles soient rendues plus simples, mais elles ne sont pas simples parce que l'eurocratie complexifie les choses à plaisir. Ils feraient mieux de tirer des leçons du modèle suisse, qui, tout en étant évolutif, et imparfait, évite de couper les cheveux en quatre et de tout réglementer, sans doute parce que la sanction populaire est comme une épée de Damoclès qui s'agite au-dessus des têtes. Ils feraient mieux de se souvenir que la Suisse est le troisième client de l'UE, derrière les Etats-Unis et la Chine ici et que la balance commerciale avec elle est positive. Ce qui n'est pas rien et vaut peut-être quelques efforts.
Francis Richard