Propos recueillis par Emmanuelle De Boysson / Photos Didier Pruvot (Flammarion)
Parmi les romancières américaines actuelles, Lisa See est sans doute celle qui s’apparente le plus à Margaret Mitchell. Son roman, « Filles de Shanghaï » paru chez Flammarion le 5 mai 2010, est en effet une fresque qui retrace, à travers le destin de deux sœurs, une part de l’histoire des Etats-Unis et de la Chine avec ses drames, ses guerres, ses amours contrariés et cette évocation du rêve américain qu’ « Autant en emporte le vent » sut révéler. Chine 1937.
Lisa See vit à Los Angeles, non loin de l’ancien Chinatown. Son arrière-grand-père quitta son village chinois au début du siècle dernier pour devenir le parrain du Chinatown de Los Angeles. Née à Paris, Lisa Lee est l’auteur de trois romans salués par la critique. L’Organisation des Femmes Chinoises Américaines l’a nommée en 2001 Femme de l’Année.
Shanghaï est le joyau de l’Asie, ville lumière, colorée et tumultueuse, abritant millionnaires et mendiants, patriotes et révolutionnaires, artistes et seigneurs. C’est aussi là que vivent les sœurs Chin : Perle et May, magnifiques jeunes femmes, aisées et rebelles, aux tempéraments pourtant opposés. Perle est du signe du Dragon, elle est têtue et persévérante alors que la douce May est née sous le signe de la Chèvre. Mais l’insouciance s’arrête brutalement pour les deux sœurs le jour où leur père, ruiné, décide de les vendre à des Chinois de Californie, venus chercher des épouses en Chine. Alors que les bombes japonaises s’abattent sur leur ville natale, une nouvelle vie commence à Los Angeles, au cœur de Chinatown pour les jeunes femmes. Perle et May, résolument modernes, tentent de s’adapter au rêve américain, elles cherchent l’amour, la célébrité à Hollywood tout en bravant le racisme et les préjugés de l’époque.
« Filles de Shanghaï » est une histoire de sœurs, amies inséparables et parfois rivales qui partagent les mêmes rêves et espoirs. Un roman chargé de lyrisme et d’émotion qui pénètre l’un des mystères des relations humaines : la fraternité. Nous avons rencontré Lisa See à Paris.
Comment vous est venue l’idée de ce roman. S’inspire-t-il de votre famille ?
J’ai voulu parler de Shanghaï avant la chute, du passage du rêve américain à la réalité. Je me suis inspirée de la vie de mon arrière grand-père qui quitta la Chine dans les années trente pour devenir le parrain du Chinatown de L. A. Je me suis sentie appeler à transmettre la mémoire d’un monde disparu : j’ai fait de longues recherches en Chine et recueilli de nombreux témoignages parmi les anciens de Chinatown. J’ai même rencontré une femme qui a fui la Chine en bateau en 1937. Malheureusement, il ne reste plus rien de Chinatown.
Avez-vous des souvenirs de l’ancien Chinatown de L. A ?
Je me souviens du magasin de ma famille : deux grands lions de marbre flanquaient la porte de lune devant laquelle mon grand-père garait tous les jours son pousse-pousse pour attirer les clients. La longue halle centrale était bordée par ce qui avait été à une époque quelques-uns des petits magasins et kiosques de China City. Le magasin était rempli d’antiquités asiatiques.
Après la famille, l’amitié, vous explorez la relation de deux sœurs : en quoi celle-ci vous intéresse ?
J’ai trois sœurs, j’avais envie de sonder les forces et les zones d’ombre de ce lien. Fatalement, il y a de la rivalité : celle qui est la plus aimée, celle qui a les plus beaux enfants, la plus jolie, celle qui a le mari le plus aimant : autant de raisons de susciter des jalousies et des rancoeurs. Perle et May sont inséparables, rivales, unies par les mêmes souvenirs, les mêmes espoirs jusqu’à ce que les rôles s’inversent. Face au malheur, May finit par se résigner, Pearl se bat.
Y avait-il beaucoup de femmes vendues en Chine ?
Surtout des mariages arrangés où le père du mari devait donner de l’argent aux parents. Les femmes étaient vendues surtout comme courtisanes ou prostituées.
Quelles causes défendez-vous ?
Celles des chinoises qui veulent garder leurs filles. En Chine, se pratique toujours l’avortement sélectif. On paye une amende quand on a deux enfants, mais maintenant, les riches Chinois peuvent se le permettre.
Comment la communauté américaine accueille-t-elle votre livre ?
J’ai encore 400 personnes de ma famille, Américains et Chinois qui apprécient mes livres. En Chine, j’ai été juge au concours de Miss Chine, c’est dire !