Lundi dernier, Nicolas Sarkozy niait avoir le temps de se préoccuper de sa réélection en 2012. Il
«travaille.» Quand on apprend, quatre jours plus tard, qu'il s'apprête à dépenser 120 millions d'euros sur les deux prochaines années, aux frais des contribuables, pour moderniser sa
communication gouvernementale, on manque de s'étrangler. Après le financement politique «modernisé», les conflits
d'intérêts «institutionnalisés», la propagande politique serait-elle industrialisée ?
Informations... ?
Dans son édition du 16 juillet, Libérationproduction de contenus, sans la mesure où cela
permet une visibilité et une perception du message par le public, qui ne le considère alors pas comme de la publicité. (...) Le titulaire doit alors pouvoir en assurer la mise en oeuvre et le
suivi avec les différents interlocuteurs concernés à toutes les étapes (scénaristes, production, régies publicitaires, chaînes, agences de communication, etc).»
Ce contrat a été attribué à AEGIS, détenu à 29,8% par le groupe Bolloré, le 30 juin dernier. Concrètement, AEGIS ferait produire sites Web, reportages video et campagnes publi-rédactionnelles en
tous genres vantant les réformes sarkozyennes.
Rien que ça.
La réponse de Thierry Saussez
Vendredi matin, nous avons demandé une précision à Thierry Saussez : «A la lecture des informations publiées par le quotidien Libération ce vendredi 16 juillet, souhaitez-vous préciser la
nature de l'appel d'offre portant sur les futures campagnes de communication pour 120 millions d'euros pour 2011 et 2012 ?» Le Service d'Information du Gouvernement nous a envoyé la réponse
qu'il avait auparavant transmise à Bruno Roger-Petit après son billet sur le Post intitulé : «Sarkozy se fait-il offrir une campagne
de pub perso de 120 millions d'euros aux frais de l'Etat ?». La voici :
révélait en effet l'existence d'un appel d'offre lancé le 19 avril dernier par le Service d'Information
du Gouvernement : un contrat faramineux de 120 millions d'euros annuels pour la communication gouvernementale en 2011 et 2012. Le SIG insiste sur les techniques qu'il entend utiliser : la
«
«Vous avez bondi sur le sujet de Libé pour, vous aussi, libérer quelques fantasmes. La centrale d'achat d'espace de toutes les campagnes de communication des opérateurs publics et des ministères n'est en rien chargée, dans un marché mutualisé parfaitement transparent, de mobiliser des équipes dédiées au story telling et encore moins pour le chef de l'Etat.
Elle est chargée de la recommandation média et de l'achat d'espace des campagnes publiques - les fameux 120 millions d'euros dont vous parlez et qui ne sont que prévisionnels - dont les deux tiers sont consacrés à la sécurité routière, la santé, l'environnement et la lutte contre le cancer, le tiers restant se partageant entre la promotion des métiers ainsi que les campagnes de recrutement des administrations et l'information de service sur les mesures et les réformes (RSA, mesures de solidarité, auto-entrepreneur, réforme des retraites, etc.).
C'est uniquement dans ce cadre et pour faire face à l'évolution de la consommation des médias que nous cherchons effectivement à avoir de nouvelles approches, produire des contenus, nouer des partenariats qui ne soient pas de la publicité classique. C'est vrai de la plate forme jeunes avec Skyrock, de formats courts réalisés avec la Commission européenne ou sur la biodiversité, de la campagne de recrutement de l'armée qui commençait à la télévision et se poursuivait sur Internet, de certains messages de la sécurité routière uniquement réalisés pour le Net ou de la campagne en cours sur les gestes de l'été (avec un supplément dans les magazines télé).
Je suis sincèrement désolé de vous décevoir, d'autant plus que chacun de nos marchés est nécessairement public comme chacune de nos actions est clairement signée. Je vous laisse donc à vos propres histoires de story telling, votre billet en étant un bon exemple.»
Publicité clandestine illégale
Cette réponse appelle quelques rappels et commentaires. Le SIG, dirigé par Thierry
Saussez, centralise l'ensemble de la propagande communication gouvernementale, et notamment :
- la plate-forme Web (4000 videos à ce jour, 7 personnes dédiées), pour 2,7 millions d'euros.
- le site France.fr, pour 1,6 millions d'euros (un site toujours en panne depuis son ouverture le 14 juillet, «victime de son succès»),
- les enquêtes d'opinions, pour 3,9 millions d'euros (en plus de 1,8 millions d'euros toujours gérés directement pas la cellule de l'Elysée)
- les campagnes de publicité classiques (14 millions d'euros par an), dont 7 millions récemment dépensés
pour les retraites entre avril et juin.
- la veille du Net : un appel d'offre avait été remporté en octobre 2009 par Fleishman-Hillard, sur la base d'un édifiant cahier des charges. Le SIG s'était déjà doté de Watch deux ans auparavant pour surveiller une cinquantaine de sites médias et blogs
associés.
Globalement, le budget du SIG s'est élevé à 6,9 millions d'euros en 2006, 6,2 millions en 2007, 10,7 millions en 2008, et 27 millions en 2009. Pour 2010, son budget initial se chiffrait à 22 millions d'euros et 105
collaborateurs. Il a été porté à 27,95 millions d'euros par la loi de finances rectificative.
Ces dépenses n'intègrent pas l'ensemble des dépenses de communication gouvernementale. Ces dernières s'élèveraient à quelques 100 millions d'euros par an, contre 49 millions d'euros en 2008. Cet «effort» fait
partie du plan de soutien à la presse décidé à l'issue des Etats Généraux de la presse début 2009. A la demande d'un député UMP, Lionel Tardy, différents ministères ont ainsi communiqué le coût de fonctionnement et de promotion de leur
propre site internet. En 2009, le total avoisine déjà les 6 millions d'euros :
-
Premier ministre (la réponse) : 1,02 million d’euros
- Affaires étrangères et européennes (MAEE) (la réponse) : 140 401 euros
- Économie, industrie et emploi (la réponse) : 1 942 032 euros.
- Espace rural et aménagement du territoire (la réponse) : 273 132 euros
- Alimentation, agriculture et pêche (la réponse) : 137 513 euros
- Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales (la réponse) : 13 950 euros
- Éducation nationale (la réponse) : 1 244 386 euros
- Enseignement supérieur et recherche (la réponse) : 567 815 euros
- Défense (la réponse) : 380 000 euros
- Justice (la réponse) : 29 000 euros
Avec 120 millions d'euros annuels à sa disposition (+20%), la propagande semble donc changer d'ampleur et de
nature. Le gouvernement cherche de nouveaux modes de communications, moins évidemment publicitaires.
Dans la communication gouvernementale, on peut ainsi distinguer trois catégories : l'information du public de nouveaux dispositifs (vaccination contre la grippe A, mise en place
du RSA), la prévention (alcool, cancer, sécurité routière, etc) et... la promotion de l'action du gouvernement. Cette dernière catégorie est purement et simplement de la
propagande. Sarkozy a ainsi fait dépenser des millions d'euros pour vanter le plan de relance (en 2009), sa réforme des retraites (en 2010) ou s'adresser aux jeunes via un skyblog dédié.
Ce type de publicité devrait être soumis aux règles habituelles régissant le secteur : des espaces dédiés, une mention explicite de son caractère publicitaire, et une part de voix attribuée à
l'opposition. Par exemple, les mairies publient souvent des bulletins d'information qui doivent laisser quelques pages aux représentants de l'opposition. Cette nouvelle commande de 120 millions
d'euros s'apparente donc pour partie à une vaste opération de publicité clandestine. Primo, s'agissant de communication politique, elle est d'autant plus anti-démocratique que les oppositions au
gouvernement Sarkozy ne disposent évidemment pas des mêmes moyens. Deuxio, quelles sont les parts relatives des dépenses de communication simplement informative et de la promotion des réformes ?
Thierry Saussez reconnaît, dans les colonnes de Libération : «il y aura évidemment beaucoup de service après-vente des
réformes», sans plus de précisions.
... à l'Elysée aussi
Dans le récent rapport de la Cour des Comptes sur l'année 2009, cette dernière s'inquiète déjà de l'inflation incontrôlée des dépenses de communication du président français: «La
médiatisation des déplacements engendre des coûts de plus en plus élevés». Les dépenses du service audiovisuel d'Elysee.fr sont passées de 465 000 euros en 2008 à plus de 1,2 millions
d'euros en 2009 pour les déplacements en France ou à l'étranger. Sarkozy s'est fait fabriquer un décor pour 141 000 euros pour habiller chacune de ses tables-rondes lors de ses «visites de
terrain» aux quatre coins du pays.
La semaine prochaine, Nicolas Sarkozy a déjà prévu deux nouveaux déplacements en province, les 22 et 23 juillet. L'occasion de médiatiser qu'il «travaille», alors qu'il sortira de
8 jours de vacances. Son agenda officiel est vide depuis le 14
juillet au soir.
Bonne rentrée.
Sarkofrance